À l’été 1990, mes préférences musicales ont brutalement basculé du Requiem de Mozart à ‘Appetite for Destruction’ des Guns n’Roses. Je vivais alors le déchirement accéléré de ma chrysalide, engoncé dans des pantalons Jacadi et me débattant sans grâce avec des ailes à demi déployées et une libido livrée sans mode d’emploi.
Il était enfin temps pour moi de prendre parti dans des débats que j’avais jusqu’alors couverts du mépris souverain de l’amateur de grande musique, autrement dit le polard égaré très bas sur l’échelle du cool : soit les orgies de synthétiseurs pessimistes des produits dérivés de la New Wave, soit le rock gras, sale et puant des vrais mauvais garçons. À l’époque, hurler à peu de frais sa personnalité d’écorché vif à la face du monde revenait à choisir le logo du groupe à dessiner sur sa trousse ou son cartable, voire à graver à la pointe du compas sur son pupitre, pour les plus déviants des rebelles de classe de seconde dans un lycée non mixte.
Ce mois d’août fut pour moi décisif. Les grandes épopées se jouant souvent à bien peu de choses, le hasard avait voulu que Guns n’Roses devienne plus populaire que The Cure chez les membres du stage simili-UCPA auquel je participais. Au choc initial d’une première écoute attentive de l’introduction sinusoïdale de Sweet child O’mine succédèrent alors des mois de ferveur compulsive à apprendre par cœur le contenu des livrets de leurs premiers disques, jusqu’aux plus insignifiants ragots relayés par Hard Rock Magazine. Il faut avoir grandi avant la démocratisation d’internet pour comprendre le mélange de frustration et d’imaginaire sur lequel se construisait la culture musicale d’un fan de l’époque.