Témoignage d'une enseignante en cycle 3, épisode 2.
Deuxième épisode de notre série qui suit Claire Perrillat. Après quatre semaines de confinement, nous échangeons dans cet épisode avec Claire sur la manière de « tenir » dans la durée les liens avec les élèves et les familles.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits. 


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Interview animée en avril 2020 par : Silvère Chéret 

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir 

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Laurent Gaillard 

Secrétariat de rédaction : Valérie Sourdieux

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr 

© Réseau Canopé, 2020 


Transcription :

SILVÈRE CHÉRET | Bonjour, nous sommes à nouveau avec Claire Perrillat. Je rappelle Claire que tu es enseignante à l'école élémentaire en classe de CM1-CM2, que tu as aussi par ailleurs deux enfants scolarisés, l’un en classe de CM1 et l'autre en quatrième. Tout ça pour comprendre aussi que tu es dans un contexte, où tu as plusieurs chats à fouetter. Je te remercie par avance d'avoir encore accepté ce second entretien. J'espère qu'il y en aura d'autres, enfin pas pour dire que le confinement doit durer, mais pour pouvoir faire des points réguliers. Et nous allons poursuivre sur le thème du lien qu'on avait entamé tous les deux, le lien et la motivation. Donc ma première question, ce serait après 4 semaines de confinement, pourrais-tu nous faire un état des lieux sur cette question des liens avec les élèves et les familles, nous dire s'il a été nécessaire de les redéfinir ? Comment on les maintient sur la durée et comment les as-tu redéfinis si ça a été nécessaire ?

CLAIRE PERRILLAT | Alors effectivement cette question de liens, elle est au cœur de tout, en fait ! Le plus difficile a été de redéfinir l'équilibre de notre classe coopérative et de tout faire pour conserver cet équilibre. On se retrouve en fait chacun chez soi. Il a fallu trouver un moyen pour casser les murs et transformer notre blog de classe en quartier général où on prend plaisir à se retrouver pour recevoir, mais aussi pour apporter, pour garder le moral, moins se sentir isolé, par exemple, et rester motivé. Il y a la messagerie qui tourne à plein régime en ce moment entre eux, mais aussi avec moi. Les articles du blog deviennent les reflets des différentes propositions de chacun ou des pistes à exploiter. Et le problème, c'est que cet équilibre, il reste très précaire avec ce confinement qui ne fait que se prolonger et on a tous besoin de garder confiance en nous, en tant qu’élève, en tant que parent et en tant qu’enseignant. Et pour cela, les encouragements et les félicitations sont d'autant plus importants. On se nourrit plus que jamais des retours positifs par mail, par SMS ou sur le blog. On désamorce les problèmes, on traduit, on reformule, on propose entre nous. En fait, il y a vraiment une question du nous. Voilà ! Les interactions, elles restent à la base de tout, même en ce moment, même si c'est difficile.

SC | Concernant les élèves et leurs familles, quelles nouvelles stratégies as-tu expérimenté si tu as dû en expérimenter et sur quel point clé t’es-tu appuyée pour maintenir ses liens ?

CP | La première chose, ça a été d'outiller, d'outiller absolument tout le monde, d'abord les élèves pour qu'ils soient le plus autonome possible. C'est vraiment ça, je pense le plus important, les rendre autonomes, alors déjà évidemment par la gestion du blog, ça c'était l'énorme point. Mais aussi en postant des petites vidéos, alors totalement bricolées par la maîtresse à moitié en pyjama, pour expliquer — c’est-à-dire que quand on lit, ça va bien, mais quand c’est imagé c'est encore plus intéressant — pour expliquer le plan de vol de la semaine, les points importants, les situations de recherche, les jeux, les défis, les corrections clés. Et puis pour réactiver en permanence les mots-clés, les stratégies propres à notre vécu. Il a fallu aussi outiller les élèves pour qu'ils restent connectés, qu'ils puissent raccrocher leurs petites expériences individuelles à notre projet collectif. Même loin de la classe, on essaye, c'est vraiment, « on essaye », de nourrir notre projet interdisciplinaire qui a été évidemment avorté trop tôt, avec par exemple Ulysse, en ce moment, parce qu'on est à fond dans la mythologie, qui ramène une tonne de souvenirs de son voyage retour : peluche bélier, tee-shirt I love Ithaque, collier de dents de Scylla, voilà parmi les propositions. On réalise des beaux cerb’aires sur des papiers quadrillés avec des surfaces détaillées, toutes les productions, tous les retours, même juste en quelques mots avec un petit SMS, sont mis en valeur sur le blog, au fur et à mesure, et surtout le week-end. Du coup, dès le lundi, la première chose à faire pour tout le monde, c'est de donner ses impressions aux copains, de les féliciter, de leur proposer d'autres choses, des pistes à exploiter. Et puis le dernier point, évidemment, ça a été d’outiller les parents pour qu'ils se sentent impliqués, qu'ils se sentent compétents et qu'ils restent motivés eux aussi. Alors c'est sur ce point où je dois vraiment rester à l'écoute. Ma pédagogie, elle vient déjà heurter pas mal d'habitude et de représentations en temps normal, alors en temps de confinement, il faut vraiment que je sois là à 100 %. Et que je n'hésite pas à relancer, à encourager.

SC | J'aimerais te demander avec le temps qui passe, peux-tu nous dire, toi, en tant qu'enseignante, en tant que personne aussi, ce qui te fait tenir ? Si tu as des moments où tu te démobilises et puis comment rebondis-tu ?

CP | Alors j'ai une tête qui d'habitude n’arrêtes pas de cogiter, planifier, inventer, proposer. En temps normal, c'est juste hyper lourd ! Je cherche régulièrement à débrancher. On va dire qu'en ce moment, c'est vraiment ce qui me fait tenir en fait, pour ne pas sombrer du côté obscur. J'ai un mari qui est médecin. Aussi, moi j'ai besoin de me sentir utile à ma manière et très humblement j'ai essayé tant bien que mal de maintenir ce petit bouillon de connaissances et d'implications. J'envoie des 33 tonnes d'encouragements, je mets en valeur toutes les implications de chacun à n'importe quelle échelle mais je doute énormément comme n'importe qui, que ce soit du côté des enseignants, des parents ou des élèves. On avance tous à tâtons et du coup le lundi, quand je me connecte sur le blog et que je vois comment ils exploitent les pistes proposées, chacun à leur niveau, comment ils s'approprient, même carrément le blog en postant des productions personnelles, des compositions, des histoires, des dessins, je suis regonflée à bloc. Et c'est vraiment ma vitamine C, là en ce moment, ça, et le café.

SC | Justement, cet envoi du plan de vol du début de semaine avec une vidéo, est-ce ta manière à toi d'être présente avec eux ou est-ce simplement parce que c'est plus parlant techniquement, au niveau des consignes, des explications ou est-ce un peu des deux ?

CP | C'est un peu des deux, c'est-à-dire qu’on va essayer de recréer virtuellement le lien. Il y en a qui ont besoin que je réexplique, que je traduise autrement, avec beaucoup de gestes, mais aussi des accessoires, parce qu'on a beaucoup de petits liens comme ça à côté, et ça les rend tout de suite autonomes. Et dès qu’il y a quoi que ce soit, hop, petit message et je rebondis ! La mise en route a été difficile, elle l’est encore des fois, de temps en temps. Mais là, je sens que le groupe est parti et quand je dis « nous », c’est-à-dire que tout le monde s’aide, tout le monde récupère, motive, encourage et me seconde en fait. C'est vraiment une équipe qui commence à bien prendre son envol. C'est compliqué. Je réexplique bien, c'est très très précaire, surtout avec ce temps de confinement dont on ne voit pas la fin. Et ce week-end, on va tous se retrouver pour une petite visioconférence. Finalement, notre petit cheminement de cette semaine nous amène, avec des petites épreuves, à se retrouver tous ensemble connectés. Je pense que ça va être un grand brouhaha. Il n'y a aucune attente pédagogique derrière, si ce n'est simplement se voir, se dire bonjour, prendre des nouvelles, peut-être tous parler ensemble, faire des grimaces, mais ça va nous faire énormément de bien.

SC | Tu le dis de manière générale, mais peux-tu nous donner un petit exemple succinct d'un lien que tu croyais perdu et que tu as récupéré par exemple, il s'est passé ça ces derniers temps dans cette durée, juste par un exemple concret ?

CP | Alors oui, tout à fait ! Il y a des fois j'ai des silences radio qui s'accentuent. Alors j'ai plein de manières en fait de vérifier qu'ils sont tous là, évidemment avec les connexions, les différents petits sites sur lesquels je vois leur participation et leur implication. Et puis, tout le reste en fait, tous les petits messages qui viennent à rebours parce que chacun avance à son rythme, ça c'est sûr. J'ai des petits messages qui viennent de très très très loin, car l'élève, des fois souvent a dû franchir carrément un Everest de contraintes pour y parvenir…

SC | Excuse-moi Claire, pourrais-tu nous en donner un extrait, une phrase, un petit mot, comme ça, sans nous dire qui ?

CP | Eh bien tout simplement : « Maîtresse, j'ai pris plaisir à », voilà, des choses comme ça ! Ou « j'ai adoré », voilà ! « J'ai adoré faire ». Et alors là, ça, c'est impeccable. On a ensuite des ailes pour avancer pour la suite. Voilà ça, c'est vraiment le coup de cœur. Sachant d’où ils viennent et d'où ils partent et à quel point ils ont réussi à être autonomes et motivés dans ces cas-là. Donc ça, c'est carton plein !

SC | Claire, je te remercie beaucoup pour ce témoignage. J'espère te retrouver en pleine forme dans quelques jours pour faire un point puisque le temps aura encore passé. Il y aura peut-être encore des nouvelles choses à raconter sur ces événements que l'on vit, toi et tes élèves. Je te souhaite une très belle journée, je te dis au revoir.

CP | Merci beaucoup, très bonne journée !