Comment valoriser des actions ou des compétences que le diplôme n’évalue pas ? Comment rendre visibles des engagements personnels ? C’est tout l’enjeu des actions menées par Philippe Petitqueux, enseignant en lycée agricole pendant 10 ans, et désormais délégué régional au numérique et à l’innovation pédagogique pour les établissements d’enseignement agricole de Normandie. Engagé dans différents projets autour de la reconnaissance et de la valorisation des compétences, il anime notamment des ateliers de coconception d’Open Badges dans les lycées pour permettre à chacun d'intégrer ces outils dans son parcours et de devenir acteur de son projet professionnel. 


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


Retrouvez-nous sur :

Extraclasse.reseau-canope.fr

Apple Podcasts

Spotify

Deezer

Google Podcasts

Podcast Addict


Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Fanny Milhe Poutingon

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Myriam Naciri

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2021


Transcription :

Je m’appelle Philippe Petitqueux, je suis délégué régional au numérique à la Draaf Normandie. La Draaf, c’est la direction régionale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt. C’est l’autorité académique pour l’enseignement agricole. J’étais auparavant formateur dans un centre de formation, puis enseignant de technologie de l’informatique et du multimédia dans un lycée, dans le sud de l’Eure.

Ce qui a guidé mon parcours, je pense, c’est mon côté autodidacte. J’ai souvent appris beaucoup de choses tout seul – et comme tout le monde – mais j’avais toujours du mal à valoriser ce que j’apprenais seul ou avec les autres. Lorsqu’on étudie un CV, traditionnellement, on met en premier les diplômes, les parcours de formation et un petit peu tout en bas, ce qu’on appelle les loisirs ou « autres », assez bizarrement. Et cette partie-là, j’ai toujours trouvé que c’était injustement valorisé. Et quand je suis arrivé dans l’enseignement agricole… On est un petit enseignement, on est sur des lycées à faibles effectifs, souvent en mode rural et avec un internat – 60 à 70 % en interne ; beaucoup d’activités extrascolaires, des engagements associatifs, des projets artistiques et culturels, des projets d’animation du territoire. Tout ça, ça fait partie des missions de l’enseignement agricole. Et toutes ces expériences riches étaient très peu ou mal valorisées, ou voire pas du tout valorisées, dans les parcours de nos élèves, étudiants ou apprentis. Après avoir expérimenté les portfolios comme moyens de valoriser ces apprentissages dits « informels », on a découvert les Open Badges en 2010, lorsque j’étais encore enseignant.

Un badge, c’est un objet dynamique qu’on peut alimenter avec des éléments d’information au format numérique, des textes, des images, des vidéos, qui vont pouvoir attester, témoigner de ce qu’on reconnaît avec le badge. Mais c’est aussi des endossements, donc des approbations, des recommandations, des témoignages de personnes avec qui on a travaillé sur le projet ou sur le badge, et des partenaires ou des personnes qui vont reconnaître la qualité du badge, ou qui vont reconnaître des qualités au porteur du badge. Et ces informations, elles apparaissent aussi sur le badge.

On a par exemple chez nous des écoresponsables. Ce sont des élèves, étudiants, apprentis volontaires, qui vont donc donner de leur temps bénévolement en faveur d’actions individuelles ou collectives au service du développement durable. Les écoresponsables, contrairement aux écodélégués dans l’Éducation nationale, ne sont pas élus, ils sont volontaires. Et on a cherché un moyen de les valoriser. C’est en 2015 qu’on a produit le premier badge avec des collègues de la Draaf Normandie, dans le cadre de la relance de l’innovation pédagogique de notre ministère. Et ce qui est intéressant, c’est qu’on a cheminé au moins deux ou trois ans avant de trouver la bonne formule. La bonne formule qui marche. C’est quoi, une formule qui marche ? Ben, c’est un badge qui va être demandé ou accepté par les bénéficiaires, ceux pour qui on l’a conçu. Et ça, c’est très important lorsqu’on conçoit un badge. C’est qu’il faut penser aux bénéficiaires. Parce qu’on doit toujours accepter un badge, on ne peut pas recevoir un badge malgré soi. Alors, quelle était la bonne méthode ? La bonne méthode, ce n’est pas penser comme on le fait d’habitude, avec nos évaluations formatives, certificatives, où le badge, la reconnaissance, vient à la fin. Ici, on était dans un cas où on souhaitait reconnaître un engagement. Or, l’engagement, il se fait au début. Donc, on a travaillé en région, puis après on a travaillé avec notre ministère : la Direction générale Enseignement-Recherche, et notamment le Bureau de la vie scolaire et de l’action éducative – qui aujourd’hui, d’ailleurs, émet ce badge nationalement. On a travaillé un badge qui reconnaît l’engagement du jeune dès le départ. Donc, le badge est proposé au jeune à partir du moment où il est volontaire et écoresponsable.

Pour présenter les Open Badges aux jeunes, on leur parle de leur futur parcours professionnel, leurs futures études, et on leur montre qu’ils vont devoir se valoriser tout au long de leur parcours, tout au long de leur vie, et que les Open Badges sont un bon outil pour cela parce que, contrairement à ce qui est écrit sur un CV qui est déclaratif, avec les Open Badges, c’est vérifiable. Par exemple, on a une élève dans un lycée agricole, je crois dans les Pays de la Loire, qui faisait partie du programme « Sentinelle ». C’est un dispositif qui vise à la prévention du harcèlement. Elle avait créé un badge, ou obtenu un badge, qui valorisait son rôle de sentinelle. Lorsqu’elle a recherché un stage, ce badge, en fait, il a été un objet de discussion avec l’employeur, qui lui a demandé : « Parle-moi de ce que tu as fait. » Et grâce au badge, elle a pu plus facilement valoriser son engagement. Ça lui a permis d’obtenir un stage. En travaillant avec les personnes sur les badges, on leur permet d’obtenir des éléments qui vont leur permettre de se valoriser auprès de potentiels employeurs ou de se rendre compte qu’ils savent faire des choses, tout simplement parce qu’on met des mots dessus ; enfin, on met des badges dessus. Et ce sont des outils qu’ils peuvent utiliser directement pour alimenter un CV, par exemple.

La semaine dernière, je suis intervenu à l’invitation du lycée agricole de Sées. Donc j’ai conduit un atelier pendant deux heures à peu près, où on a d’abord découvert ensemble ce qu’étaient les Open Badges. Ils ont expérimenté la création d’un badge, le partage, la création de leur passeport et ensuite, on a travaillé ensemble à créer le badge de la journée. Dans l’après-midi, on s’est dit : « Mais qu’est-ce qu’on a appris aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on a fait ? » Et on a décrit la journée. On a ajouté dans le badge des liens vers le résumé de la journée, vers des vidéos de la journée et donc, on a documenté toute notre journée. Lorsqu’on a conçu le badge, ce n’était pas un badge uniquement pour les jeunes, mais c’était bien un badge aussi pour les enseignants. Là, on a créé collectivement un badge qui donnait à voir que chacun avait contribué à sa façon. Et c’est ça, un peu, la philosophie qu’on défend avec les badges. C’est ce qu’on appelle « l’ouverture de la reconnaissance » ou « la reconnaissance ouverte ». C’est assez proche de la philosophie des réseaux d’échanges réciproques de savoirs, où on est à la fois sachant et ignorant. On a tous quelque chose à apporter et ça a un effet positif sur les rapports entre les enseignants et les élèves.

La reconnaissance, les gens en ont besoin. On le voit à travers les « likes », on le voit à travers les abonnés sur YouTube, on le voit à travers les profils LinkedIn. Et donc, cet outil Open Badge, il est Open Source, n’importe qui peut l’installer – un établissement, un territoire – pour permettre aux personnes de valoriser leur expérience, valoriser leur reconnaissance, d’être aussi acteurs de la reconnaissance. Et donc, ce qui me motive aujourd’hui, c’est que c’est un projet qui a du sens, et qui est dans le sens de l’histoire. Ce que j’imagine dans dix ans, c’est que chaque apprenti, étudiant, élève, adulte qui passe chez nous, dans l’enseignement agricole, puisse être équipé, outillé, avec un passeport de reconnaissance ; qu’on l’accompagne, qu’on le forme à se reconnaître lui-même, à reconnaître les autres, pour soutenir son pouvoir d’agir et qu’il puisse être acteur de son projet de vie, tout simplement.