La semaine dernière, Extra classe était dans le massif des Corbières pour parler de la classe dehors. Nous avons voulu savoir si le milieu urbain, voire hyper-urbain, était aussi propice à cette forme d’enseignement que la campagne. Réponse avec Alexandre Ribeaud, enseignant en classe de maternelle dans une école parisienne du XIXe arrondissement, située entre le périphérique extérieur et un grand boulevard.

Référence citée par Alexandre Ribeaud : 

  • Chéreau Matthieu, Fauchier-Delavigne Moïna, L'enfant dans la nature, Fayard, 2019. 


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2021


Transcription :

Je suis Alexandre Ribeaud, enseignant en école maternelle à Paris (dans le 19e). J'ai une classe de 22 élèves de petite et moyenne sections. C'est une école polyvalente qui est située dans le quartier Rosa Parks, en zone d'éducation prioritaire. On a une grande fenêtre qui donne sur une rue. On aperçoit quand même quelques arbres. C’est typiquement parisien. On est dans un quartier qui est assez urbain, dans une zone qui était séparée de Paris par des entrepôts qui ont été rasés. Pendant plus d'une dizaine d'années, voire plus, il n’y avait rien à part cette barre d'immeuble où habitent tous les enfants de l'école.

Comme tous les jeudis, on a été dehors ce matin. Le dehors, pour nous, c'est le square d'à côté qui au départ n’est pas beaucoup apprécié par les parents parce que ce n’est pas forcément bien fréquenté le soir. Faute de mieux, on a été dans ce square qui, finalement, est super. On a trouvé un arbre qu'on peut escalader, on a tout un taillis d'arbres dans lequel on peut passer. Il y a une énorme diversité de végétaux, tout un parterre aussi de fleurs qui est changé régulièrement par les jardiniers.

Ce qui m'a incité à démarrer cette pratique de la classe dehors, c'est la lecture d'un livre de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne [L’Enfant dans la nature, Fayard, 2019] qui a déclenché quelque chose d'important chez moi. J'ai compris que la classe dehors n’était pas une lubie de développement durable ou d'écologie, ce qui aurait pu être en phase avec mes valeurs. Mais j’ai l'impression que c'était un besoin essentiel de l'enfant. Le besoin d'être dehors, c'est plus du tout un réflexe que les jeunes ont aujourd'hui. La principale cause est les écrans évidemment mais aussi la crainte des parents qui préfèrent avoir les enfants tranquillement à la maison, devant un écran. Ils ont une impression de sécurité comme ça.

Les premières choses qu'on observe quand on est dehors, c'est déjà une énorme sensation de bien-être et d'apaisement. Pour les élèves évidemment mais aussi pour les enseignants. Tout d'un coup, on se retrouve dans un endroit où on n'a pas de problème de bruit, de matériel et de place. La deuxième chose qu'on va vite observer, c'est une cohésion de classe qui se crée. Quand il pleut, c'est encore mieux : on revient de cette matinée, on est plein de boue, on a l'impression d'avoir fait un stage de survie. On a vraiment vécu une expérience collective. Le troisième aspect, c'est une capacité de concentration des élèves qui augmente. J’ai un exemple très précis à ce sujet. J'avais une jeune élève qui s'appelle Mariam. Quand elle est arrivée en petite section, elle était très agitée dans la classe, elle dérangeait beaucoup ses camarades, elle ne rangeait rien. Elle avait envie de tout faire en même temps. C’était une « catastrophe ». Lors de la première séance dehors, je propose de faire des herbiers, c’est-à-dire une petite feuille de carton avec un scotch double face dessus : les élèves vont chercher des feuilles et font quelque chose avec. Et on voit cette petite Mariam se concentrer sur un herbier puis finalement deux herbiers successifs pendant plus de 30 minutes. On l'a regardée avec Concilia (mon Atsem) et on s'est dit qu’elle était capable de se concentrer longtemps. Elle n’a pas changé, le fait d'être dehors n’a pas changé sa personnalité en une fois mais elle nous a montré qu'elle était capable de se concentrer. Elle a changé notre regard et on l'a abordée complètement différemment dans la classe. On lui a proposé des choses beaucoup plus ambitieuses et, en milieu de petite section, elle faisait des puzzles de 100 pièces, passait 3/4 d'heure sur ses peintures à faire des choses très colorées, très longues. Je pense que ça a vraiment changé son année.

Tout le lien qui va avoir lieu entre le dedans et le dehors est très important. J'ai décidé de me concentrer sur deux choses : le jeu libre, qui est une notion tout à fait intéressante et qui est dans les programmes depuis 2015. Et puis le langage. Dans la classe, au retour de cette expérience du jeudi matin en dehors, chacun va verbaliser ce qu’il a fait. Ils me font une phrase qui commence par : « Ce matin en forêt, j'ai... » J’ai noté toutes ces phrases toute l'année, ce qui m'a permis de constater que, en fin d'année, les phrases étaient quand même beaucoup plus longues qu’au début. J'imagine qu'il n’y a pas que le dehors qui a joué là-dessus. Évidemment, ils ont grandi et ont fait d’autres choses dans la classe. Mais il y a du langage qui s’est créé. On est parfois revenu sur des phrases dites par untel : « Ah, tu te souviens, t'avais dit que t'avais fait un câlin à l'arbre. Donc est-ce que t'as fait un câlin à l’arbre cette fois-ci ? » Après, j'ai enregistré en mettant des fiches, j'ai appelé des photos « action » où on voit un enfant en action. Et dessous c'est marqué : « Malio fait un câlin à l'arbre. » Ça marche très bien parce que ça leur donne aussi des idées de ce qu’ils vont faire la prochaine fois. Je prends l'exemple du câlin à l’arbre car, typiquement, la fois d'après j'ai eu des élèves qui sont allés faire un câlin à l'arbre.

Prendre des risques pour grandir, ça veut tout dire. C'est aussi ce qui est complexe dans cette pédagogie, dans cette pratique. Culturellement, j'en parlais tout à l'heure, les parents ont la crainte aujourd’hui de voir leurs enfants dehors. Et puis on est dans une société où il faut absolument maîtriser tous les risques. Mais essayer de ne pas prendre de risque, c'est à long terme faire beaucoup plus de tort à la société et aux enfants que d'essayer d’en prendre. Il ne s'agit pas de prendre des risques mais que l'enfant, l'élève, sache lui-même ce qu’est un danger. Mes élèves grimpent à l'arbre mais personne n'est jamais tombé. Ils jouent avec des bâtons. Autour de moi, j'ai assez peu de gens qui se sont fait crever l'œil par un bâton quand ils étaient jeunes, c'est quand même assez rare. J'ai beaucoup plus de bobos le jeudi après-midi dans la cour de récréation. Être capable d'accepter les risques, c'est aussi être capable de faire confiance à l'enfant.

Je trouve que c'est intéressant aussi dans la pratique du jeu libre car, à un moment donné, on lâche un peu prise et on suggère à l'enfant d'apprendre par lui-même, d'aller chercher ce dont il a besoin. L'enseignant a un vrai rôle dans ce jeu libre : verbaliser, en faire un apprentissage, faire confiance.

Ça m'a plus surpris cette année que l'année dernière mais quand je leur ai dit, lors de la première séance cette année : « Vous avez le droit de jouer avec un bâton et de grimper à l’arbre », ils m'ont vraiment fait répéter, ils n’y croyaient pas, me regardaient avec des grands yeux. J'ai compris qu’ils n’avaient pas cette liberté même avec leurs parents. Si l'enfant ne l'a jamais, il ne peut pas se construire complètement. Il se construit pleinement parce qu'il a cette liberté, qu’il va devoir faire des choix, devoir apprendre à maîtriser son corps, ses risques, etc. En plus, il est dans la nature donc le corps est entièrement mis à contribution. Donc, sortons !