Hybridation pédagogique et scolaire.
Le confinement a nécessité la mise en place de nouvelles modalités de travail pour les enseignants. Cela conduit à développer une communication plus spécifique avec les élèves et une plus grande créativité dans l'approche pédagogique. Le regard de Stéphane Jach, IA-IPR de Lettres dans l'académie de Lille.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Interview animée en mai 2020 par : Laëtitia Pourel  

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir 

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Valérie Sourdieux

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr 

© Réseau Canopé, 2020


Transcription :

LAËTITIA POUREL | La crise du Covid-19 a placé, les enseignants devant un nouveau défi : comment continuer la classe à distance ? La fin du confinement ne signifie pas un retour à un enseignement en présentiel total comme au cours des mois précédents. Nous sommes en ligne avec Stéphane Jach, IA-IPR de lettres dans l'académie de Lille, pour revenir sur la nécessité de s'inspirer des pratiques développées pendant le confinement et souligner l'importance de la créativité dans l'approche pédagogique. Stéphane Jach, bonjour ! En quoi cela peut-il s'être révélé positif selon vous ?

STÉPHANE JACH | Pour moi, l'expérience du confinement a, malgré la situation stressante que nous avons traversée et ses complications, eu un aspect positif sur l'approche pédagogique. En ceci qu'elle a mobilisé autrement les enseignants et les élèves dans la pratique scolaire. Et cette double motivation qui jusque-là semblait couler de source, avait imposé d'une certaine façon, et je n'oserais absolument pas le reprocher, certains éléments de sclérose. Donc cette réinvention complète des situations, ce qui est né, c'est une mobilisation d'une nature différente et la prise en compte de la nécessité d'adopter véritablement toutes les propositions pédagogiques non seulement aux classes mais presque à l'intérieur des classes à chaque élève. Alors, cela semble démesuré de s'engager dans « cette dentelle ». Mais on se rend compte que l'enjeu finalement est de déclencher par les bons conseils les bonnes analyses, par le suivi pas à pas et parfois par de simples annotations — des choses qu'on faisait déjà —, la mise en œuvre progressive de l'élaboration du savoir chez les élèves, et de poser ce mot-là, la nécessité de penser une progression. Je vais conclure la réponse en un mot. Cette question de la progression, on l’envisage souvent en termes de progression annuelle ou de progression à l’intérieur des séquences, c'est vrai. Or l'enjeu est de penser la progression des élèves au sein de chaque étape de l'année, de chaque séquence pour arriver à la fin, à l'autonomie.

LP | Et dans ce cas-là, ce temps d'expérimentation, selon vous, peut-il ouvrir une période plus ouverte à l'innovation, à la recherche, comme vous l’évoquiez auparavant ?

SJ | Oui, il y a une nécessité effectivement d'exploiter cette période-ci. Cette période-ci, de confinement, a mis en œuvre justement des pratiques assez expérimentales, donc on peut les présenter comme telles, et finalement elles ont ouvert la porte à beaucoup d'innovations. Ces innovations existaient déjà, c'est-à-dire qu'il y avait déjà la tentation de faire autrement, il y avait déjà des tâtonnements ouverts à de nouvelles pratiques. Ça, je ne le remets absolument pas en question. Ce qui est intéressant, c'est que dans le temps où il a fallu absolument réinventer très vite, nécessité a fait loi, et l'ensemble du corps professoral s’est lancé dans cette innovation sur laquelle nous avons tout intérêt, je crois, à capitaliser en reprenant les gestes qui ont fonctionné, en questionnant les audaces que les uns et les autres se sont permises et qui sont souvent des audaces mesurées mais très intéressantes, de sentir où sont les limites, de repenser parfois la posture et d'aller plus loin dans cette logique de suivi et d'accompagnement qui a pris une nouvelle forme. Et je pense que c'est là que nous avons véritablement un beau terrain d'expérimentation. Comment réinventer un suivi tel que l’élève puisse trouver une cote très bien taillée dans le cours qui lui ressemble, alors même que le cours est produit aussi pour une classe où il y a une vingtaine d'élèves au moins. Il me semble qu'il y a là des choses qui sont tout à fait exploitables. C'est une période d'innovation, des choses se sont créées. Je pense qu'il faut absolument entrer dans la logique des bilans maintenant, c'est-à-dire par la logique de réunion pédagogique, réunion d’établissement ou groupe de travail, pointer tout ce qui était très fonctionnant, les bonnes idées, essayer de les développer, essayer de les pérenniser et surtout ne pas s’en faire des modèles. Un enseignant n’en n'étant pas un autre, l'enjeu n'est pas que chacun se mette à faire la même innovation que celle qui a bien fonctionné pour l'un, et que chacun trouve dans ses propres audaces la possibilité d'innover.

LP | Justement pour revenir sur la question de l'innovation et du changement d'approche, est-ce qu'on peut conseiller aux enseignants d'oser oser notamment en laissant les élèves faire preuve d'initiative ?

SJ | Oui, il s'agit effectivement d’inviter les enseignants à oser et à laisser une place, j'oserais dire démesurée à l'initiative des élèves. Il y a mille possibilités, mais j'ai envie d'en sourire et de citer Alain Bashung en disant qu'il faut dire à Joséphine d’oser, en effet, mais d'accompagner Joséphine, il ne s'agit pas de la rendre folle. L'idée est toujours la même, c'est-à-dire que si l'enseignant s'autorise des pratiques neuves, il se met en danger dans une certaine mesure parce qu'il n'est pas certain de tout maîtriser. En revanche, ce que l'on remarque, c'est que s’autoriser des pratiques neuves autorise les élèves à pratiquer des réponses neuves aussi, des réponses qui les impliquent davantage et qui permettent ainsi d'apprendre mieux et autrement. C'est finalement en apprenant à battre des ailes qu'on apprend à voler. Donc c'est ce qui m'intéresse le plus, à vrai dire. Dire d’oser, ce n'est pas aller dans le mur, la plupart des collègues le savent déjà. Nous avons des habitudes de travail telles, que jamais nous ne mettons en danger une classe, même quand nous expérimentons de façon complètement démesurée à nos propres yeux. Or c’est dans ces moments-là que la création est pleine et que l'on est attentif à tout. Il vaut mieux à vrai dire, innover trop que de risquer la sclérose et de ne plus voir les besoins réels des élèves ou de faire cours seul. Les enseignants le comprennent bien cela et c'est une chose absolument essentielle. Aussi faut-il les autoriser à oser, les encourager à cela et leur donner la possibilité de maturer le geste audacieux. C'est-à-dire qu’il ne s'agit pas de faire de l'audace pour l'audace, mais d'amener des enseignants à penser ce qu'ils ont fait de neuf pour le défendre, en précisant bien les contours de l'expérience, ce qu'elle amène de positif, ce qu'elle a eu de plus fragile et comment dépasser fragilité et rendre pérenne l'expérience positive. Dès lors, nous avons des enseignants extrêmement solides.

LP | Justement pour conclure, comment pourriez-vous évoquer la nécessité peut-être, de faire évoluer la formation des enseignants pour inclure la créativité dans leur approche pédagogique ? En quelques mots, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

SJ | Au risque de passer pour provocateur, il me semble que la formation des enseignants a souvent, voire toujours, mis en avant la nécessité d'innovation. Pourtant, dans les faits, on se rend compte que des phénomènes d'imitation ou de pratiques un peu enfermées se développent assez rapidement. Que rares sont les enseignants qui commencent leur carrière par des grands champs d'innovation. Ce qui est d'ailleurs dommage. Donc oui, je pense qu'il faut donner dans la formation initiale et dans la formation continue, une place très grande à cette innovation, aux gestes posés, aux gestes osés, dirais-je, professionnels, de telle façon que les enseignants s'aventurent sur des sentiers un peu neufs et qu'ils identifient leurs propres couleurs d'enseignement, leurs pratiques préférées et puissent accompagner les élèves justement dans le risque de cette innovation qui est finement tout mesuré. Je reviens sur un point : la question de l'autoévaluation, nous la posons beaucoup pour les élèves. Il s'agit aussi de la poser pour les enseignants. Plus un enseignant s’autoévalue, plus il a des chances d'avoir une pratique innovante, saine, c'est-à-dire dont il a conscience et qu'il peut pérenniser dans ses effets les plus positifs. Deux outils institutionnels nous y aident, et le PPCR au travers du rendez-vous de carrière dans lequel l'enseignant prend la parole non pas pour écouter la bonne parole de l'inspecteur, mais pour expliquer de quelle façon il produit ses cours et cela renvoie finalement à ce que j'ai appris moi-même quand j'ai été enseignant, c'est-à-dire que dans le temps où je faisais mon mémoire pour la partie pratique du Capes, il s'agissait déjà d'une pratique autoréflexive, donc il s'agit de renvoyer l'enseignant en début de carrière, comme en cours de carrière, à la nécessité d'une pratique autoréflexive et de l'aider à l'assumer cette pratique autoréflexive. Certes il questionne, mais il n'est pas en train de demander la permission d’oser, il l'assume. Il justifie sa démarche par le diagnostic, ce qu'il fait, sa pratique dans un lieu donné et à partir de cela, c'est une leçon d'autonomie de l'enseignant qu'il faut penser aussi.

LP | Je pense que pour conclure, on pourra garder ces mots, encourager la pratique autoréflexive de l'enseignant. Stéphane Jach, je vous remercie d'avoir partagé votre analyse avec les auditeurs.