Dans une interview conjointe à RFI et France 24 accordée à New York à l’occasion de l’AG de l’ONU, le Président du Niger, Mohamed Bazoum, affirme que, dans le Nord-Est du Mali, « la situation dans la région de Ménaka s’est totalement dégradée depuis le départ de Barkhane ».
RFI / France 24 : M. le président, au Mali et au Burkina Faso, les djihadistes contrôlent des pans entiers du territoire. Le G5 Sahel est fini, l'opération Barkhane est partie donc, une question se pose, le Niger est-il en danger ? Est-ce qu’il pourrait être le prochain domino à tomber ?
Mohamed Bazoum : La situation dans l’espace de nos trois pays, sur le plan sécuritaire, s’est dégradée, c’est incontestable. Est-ce que, pour autant, elle aura pour effet de faire ce que vous dites que le Niger aussi tombe ? Je ne le pense pas. Je le pense d’autant moins que nous avons depuis longtemps eu une situation différente du Mali et elle s’avère aussi, à a posteriori, différente du Burkina Faso.
En plus, nous avons désormais une situation plus confortable à cause de la coopération que nous avons nouée avec nos partenaires extérieurs, et la France notamment. La présence de Barkhane sur notre territoire et son engagement aux côtés de notre armée à la frontière du Mali renforce nos positions et créer une situation beaucoup plus favorable. Il faut aussi dire que lorsque vous comparez notre situation aujourd'hui à ce qu'elle était en 2019, en 2020, c'est sans commune mesure. Nous avons renforcé les effectifs de notre armée. Nous avons renforcé les capacités de nos soldats. Nous avons réalisé des acquisitions en termes d'équipements, qui font qu'aujourd'hui, nous avons une armée beaucoup plus solide et donc beaucoup plus apte à faire face à la situation, même dégradée d'aujourd'hui au Sahel.
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Depuis le mois de novembre et la mort de trois civils nigériens lors d’affrontement avec l’armée française à Téra, il y a épisodiquement des manifestations antifrançaises à Niamey. Il y en a encore eu une, il y a quelques jours. Vous avez souvent dit que ce sentiment antifrançais n’était pas très important au Niger, mais est-ce que vous ne vous voilez pas la face sur une réalité que l’on voit ailleurs dans le Sahel ?
Moi, je parle du Niger. Je ne sais pas ce qu’il se passe ailleurs au Sahel. Au Niger, moi qui suis élu de façon démocratique et qui ai pour ambition de faire en sorte que notre parti reste au pouvoir le plus longtemps possible, je fais très attention à mon opinion et je me garderai absolument d’être en décalage avec elle. Si ce que vous dites est vrai, je serai le premier à le sentir et je serai, par conséquent, le premier à avoir l’attitude que me commandent mes intérêts.
Le phénomène dont vous parlez est un phénomène surtout propre aux réseaux sociaux, du moins, au Niger. Je ne pense pas que ce soit une préoccupation des citoyens nigériens quand je sais les problèmes auxquels ils sont confrontés et quand je sais que leur plus grande demande vis-à-vis de l’état est de leur assurer la sécurité. Quand je sais tout cela, je me dis qu'être contre les Français ou contre les Américains n’a pas de sens. Au demeurant, vous l’avez constaté, une manifestation a été organisée le dimanche passé et elle a réuni moins de 500 personnes, donc ça veut dire que c’est davantage un phénomène médiatique qu’une opinion vraiment ancrée dans les populations du Niger.
Au début de cette année, monsieur le président, vous avez annoncé que des discussions étaient amorcées avec certains djihadistes. Alors, concrètement, est-ce que cela donne des résultats sur le terrain ? Est-ce la raison pour laquelle il y a une certaine accalmie, apparemment, dans votre pays ? Et est-ce grâce à ce dialogue que la religieuse américaine Suellen Tennyson a été libérée le 29 août sur votre territoire ?
Oui, il faut comprendre le phénomène. Nous n’avons pas affaire à des organisations qui sont animées par des cadres politiques qui ont une vision. Nous avons affaire à des jeunes bergers qui sont engagés dans ce phénomène qui est plus de bande qu’au fondement alimentaire qu’autre chose. Et leurs agissements ont un grand impact sur la cohabitation entre communautés. Puisque nous ne pouvons pas nous adresser à eux pour en faire des partenaires politiques avec lesquels nous pourrions avoir des discussions politiques d’un niveau élevé, nous avons privilégié des contacts à la base, qui associent des représentants des communautés, pour expliquer, dans le cadre de la mission de la Haute autorité à la consolidation de la paix, que le plus important, c’est d’abord que nos communautés s'entendent entre elles, qu’il n’y ait pas de tensions entre elles. Nous faisons ce travail-là.
Mais excusez-moi, monsieur le président, pour obtenir la libération d’une religieuse américaine, il faut parler avec les chefs djihadistes.
Non, nous n’avons pas parlé avec les chefs, si tant est qu’il y en ait au sens où vous, vous l’entendez. Nous avons parlé avec des sous-chefs avec qui nous sommes en contact permanent pour leur expliquer qu’ils n’ont aucun intérêt dans ce qu’ils font. Et ce travail-là, nous le maintenons. Il ne donne pas des résultats spectaculaires, mais il crée des conditions d’accalmie entre notre armée et eux d’une part, mais surtout au sein des communautés.
Monsieur le président, depuis le départ de Barkhane du Mali, ce sont les forces maliennes, les Fama, avec la société russe Wagner, qui mènent le combat contre les terroristes. Font-ils mieux que la France, et notamment, sont-ils présents et agissent-ils dans le Nord-est frontalier avec votre pays ?
La situation dans la région de Ménaka s’est totalement dégradée depuis le départ de Barkhane. Depuis la fin du mois de mars, les terroristes ont conquis des territoires encore plus vastes. Ils ont tué plus de personnes et ont créé encore plus de tensions entre communautés comme cela ne s’est jamais passé. Les forces armées sont à Ménaka, elles y seraient avec leurs supplétifs russes, mais je constate que cela n’a pas empêché que la situation se dégrade davantage. La situation à Gao, aussi, est en train de se dégrader. Et jamais la tension entre les communautés peules et touaregs n’a été aussi vive qu’aujourd’hui. Et il y a des risques de massacres entre ces communautés à grande échelle.
Est-ce que vous pensez que le drapeau djihadiste pourrait bientôt flotter sur Ménaka et Gao ?
Sur Ménaka, c’est très probable. En tout cas, je suis convaincu que l’EIGS comptent attaquer Ménaka. Est-ce que ce sera pour y rester ? ce n’est pas leur mode d’action que de rester dans des localités importantes comme Ménaka. Ils n’ont jamais eu de vocation à administrer quoique ce soit. Mais ils sont militairement capables d’attaquer Ménaka. Est-ce qu’ils sont capables d’attaquer Gao aujourd’hui ? Non, je ne le pense pas, mais autour de Gao, ils ont réalisé de grandes avancées.