La dernière fois qu'il est venu jouer avec nous, Globo était accompagné d'une théorie très pertinente sur la distinction entre le système de jeu et le système de résolution. Après une longue discussion sur le sujet, Globo m'a finalement convaincu qu'il avait encore quelques éléments très intéressants à tirer de cette distinction. Aujourd'hui, Globo nous fait l'honneur de choisir La Cellule pour présenter sa propre théorie sur le sujet. Voici son article.
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Système de résolution vs. Système de jeu !


Si vous avez eu la chance de vivre un week-end à La Cellule, vous savez que c’est un moment riche en relations humaines et que c’est aussi l’occasion de se nourrir intellectuellement. Or, parmi nos nombreuses discutions, nous en sommes venus à constater que nous n’avions pas la même compréhension de ce qu’était un système de jeu et un système de résolution.
Je propose ici de vous expliquer de quoi je parle quand j’utilise l’un ou l’autre.
La théorie du maelstrom(1) amène Romaric Briand à penser que, si la distinction système de jeu/de résolution a pu avoir une utilité, elle est aujourd’hui dépassée du fait des réponses apportés par la compréhension du maelstrom. Je soutiens moi que cette distinction s’inscrit parfaitement dans la théorie du maelstrom et, surtout, je crois qu’elle a une utilité en matière de conception de règles.



Voici ma proposition :



Le système de jeu aide à faire des propositions nouvelles pour le maelstrom et le système de résolution permet de discriminer les propositions, d’écarter celles que l’on ne souhaite pas conserver pour le contenu fictionnel malléable.


Je comprends le point de vue de Romaric quand il dit que le maelstrom s’auto-génère et je ne remets pas en cause ce point. Mon propos est de dire que, bien qu’il s’auto-génère, il est possible d’emballer la machine en l’alimentant. La raison d’être du système de jeu est justement d’alimenter le maelstrom. Mais, si faire du JDR c’est jouer avec le maelstrom, la production attendue d’une partie c’est du contenu fictionnel malléable. Pour obtenir cela, il faut sélectionner des propositions dans le maelstrom. Les critères et la méthode de sélection sont, selon moi, de la responsabilité du système de résolution.


Avant de poursuivre avec les systèmes, j’aimerais définir deux notions que j’utiliserai pour mes explications.
1) Une proposition initiale est une proposition instable qui ne peut pas rester sans réponses et qui va générer d’autres propositions en réaction à cette instabilité.
2) Une proposition secondaire est une des réponses apportées à une proposition initiale. Une proposition secondaire est généralement stable et n’appelle pas particulièrement à faire de contreproposition.


Prenons un exemple : 


le joueur A souhaite que « son personnage ouvre une porte » ce qui est une proposition initiale. Il annonce l’action de son personnage à la table. Cette intention fait émerger dans le maelstrom plusieurs possibilités qui sont des propositions secondaires :
1) il peut réussir à ouvrir la porte
2) il peut ne pas réussir à ouvrir la porte
3) cela peut se passer mieux que prévu
4) cela peut se passer plus mal que prévu.




Le Système de jeu dans cet exemple


Le système de jeu c’est l’ensemble des règles/des routines qui vont permettre de nourrir le maelstrom. Elles vont permettre de générer de nouvelles propositions et, plus largement, elles vont ouvrir le champ des possibles, soit pendant, soit en préparation de la partie.
Reprenons l’exemple de mon joueur A qui souhaite ouvrir une porte. Le système de jeu, c’est ce qui permet à ce joueur de faire la proposition « mon personnage ouvre la porte ». Dans le contexte du jeu de rôle traditionnel, la base définit que le joueur a toute autorité quant aux actions entreprises par son personnage. Il a donc le droit de faire cette proposition pour son personnage.
Faire une nouvelle proposition est du domaine du système de jeu, si cette proposition est dite initiale c'est-à-dire si elle engendre au sein du maelstrom d’autres propositions.
La base (d’un jeu) pourrait tout aussi bien nous imposer que, si un personnage arrive devant une porte, il doit alors nécessairement l’ouvrir. Il n’y aucun choix possible ici, mais on est toujours dans le domaine du système de jeu car cette proposition est initiale et qu'elle génère les mêmes propositions secondaires.

A priori, le système de jeu peut :

- Offrir une liberté et se contenter de définir qui a la responsabilité d’énoncer la proposition initiale. - Offrir un choix guidé, c’est-à-dire définir qui a la responsabilité de choisir une proposition initiale parmi une liste. - Imposer quelque chose et alors personne n’a rien à dire ! Mais ce dictat génèrera des propositions initiales.

Le Système de résolution dans cet exemple


Le système de résolution permet de choisir, parmi les propositions du maelstrom, celles que l’on va conserver pour le contenu fictionnel malléable (toujours en référence à la terminologie du maelstrom). Si l’on parle en langage commun, le système de résolution permet de déterminer ce qui sera vrai en jeu.
Le système de résolution définit comment décider qu’une proposition secondaire est vraie. Pour cela on utilise généralement soit :

- Le hasard (cartes, dés, etc.)
- Le consensus social (vote, négociation, joute orale, etc.)
- La comparaison (celui qui a la plus grosse l’emporte)
- Des mises de ressources
- L’autorité (dans le jeu Sombre par exemple, on réussit toujours à fuir)

Etc…

Une fois la méthode de validation définie, il devient alors possible de connaître la(les) proposition(s) qui est(sont) alors considérée(s) comme vraie(s).
Pour résumer, nous avons une proposition initiale. Elle va engendrer un certain nombre de propositions secondaires. Puis, il arrive un moment où, pour pouvoir continuer à jouer, il faut décider quelles propositions seront considérées comme vraies. C'est-à-dire quelles propositions seront conservées pour la suite du jeu. C’est alors le système de résolution qui permet de lever l’indétermination engendrée par la proposition initiale en sélectionnant quelles propositions secondaires sont vraies.


A quoi cela sert-il de faire ce genre de distinction ?


Cette distinction système de jeu/de résolution permet d’éclairer l’utilité de l’un comme de l’autre.
Le système de jeu, c’est ce qui permet de générer des propositions initiales et le système de résolution, c’est ce qui permet des choisir celles qui nous intéressent parmi les propositions secondaires qui en découlent.
Faire cette distinction permet aussi de juger de la qualité des systèmes mis en œuvres.
Un système de jeu pourra être évalué en fonction de sa capacité à générer les propositions initiales qui elles même génèreront des propositions secondaires plus riches et/ou intéressantes en jeu.
Un système de résolution pourra être évalué en fonction de sa capacité à générer une méthode de discrimination des propositions secondaires qui rendent à la foi intéressant le processus de choix et qui permettent aussi de discriminer le ou les choix les plus intéressants pour la suite de la partie.
Dans les deux cas, la « qualité » des propositions dépendra principalement du propos du jeu.
La distinction est non seulement intéressante et cohérente avec le maelstrom, mais elle résonne aussi avec le concept d’agentivité. L’agentivité sera d’autant plus forte que les choix des joueurs, définis et encadrés par le système, auront de l’importance pour la suite de la partie.


Si vous n’avez rien compris.


Je vous propose alors de basculer en fin d’article pour vérifier grâce aux exemples mis en annexe soit que nous ne sommes pas d’accord soit que vous n’avez rien compris. (C’est un article dont vous êtes le héros !)
Dans tous les cas, voici la genèse de mon idée avec l’espoir que cela éclaircisse les choses.
Tout commence avec l’écoute des podcasts de La Cellule, il y a quelques années et la découverte des théories de The Forge(2). Avant La Cellule, j’avais bien connaissance du GNS(3) mais, au-delà de l’anecdote, je ne voyais pas bien où cela nous menait.

Selon certains des auteurs de The Forge, il y a les règles (ce qui est écrit par l’auteur du jeu dans sa base) et le système (ce que les joueurs utilisent à la table). Ce qui n’est pas un scoop pour moi. The Forge ne fait que mettre des mots sur une évidence. En effet, je suis un joueur de AD&D de la première heure et je sais depuis longtemps qu’il y a :
- Les règles tels qu’écrites dans la base (base qui est parfois quasi inintelligible en ce qui concerne AD&D(4)). - La jurisprudence (parce qu’on n’a pas compris les règles …) . - Les règles maisons (généralement parce qu’on trouve cela plus fun)(5).

Arrive un moment où, ne comprenant pas trop l’intérêt de distinguer les « règles » du « système », j’en arrive à la conclusion que je dois avoir mal compris les théories exposées sur The Forge. En parallèle, émerge à La Cellule les notions de « systèmes de jeu » et de « systèmes de résolution ». J’imagine alors que La Cellule clarifie la pensée de The Forge et j’en arrive à la conclusion que :
- Le système de jeu est l’ensemble des règles qui vont permettre de créer « du jeu ». - Le système de résolution est l’ensemble des règles qui permettent de trouver « des solutions » (dans le sens de résoudre des trucs).

Quelle n’est pas ma surprise lorsque je constate durant mon premier week-end à La Cellule que nous ne parlons pas de la même chose !
Autant je ne voyais pas bien ce que je pouvais faire des distinctions forgiennes entre règles et systèmes qui me paraissaient n’être qu’une lapalissade. Autant la distinction systèmes de jeu/de résolution me parlait.
Ce qui génère du jeu, c’est intuitivement, pour moi, ce qui propose des choix à faire, ce qui produit de l’histoire, ce qui produit de la couleur, ce qui produit des dilemmes moraux etc…
Ce qui génère du jeu, ce serait donc : les règles pour créer son BG (BackGround), les règles pour peupler une ville, les règles pour écrire un scenario etc…
Et les règles qui génèrent des solutions, c’est ce qui me permet de surmonter des obstacles. Dans la mesure où il n’y a pas de solutions tant qu’il n’y a pas de problèmes.
Ce qui génère des solutions intervient donc pour : ouvrir une porte, lancer une boule de feu, convaincre le roi gobelin d’un truc, séduire la James Bond girl, déterminer qui agit le premier en combat, savoir si je survis à une chute, etc.
Cette distinction me parle car elle m’aide à créer mes règles maison, mes aides de jeu. Cela m’aide, car cela me donne des axes de créations. Soit j’ai besoin d’une aide de jeu pour rendre l’histoire plus intéressante. Soit j’ai besoin d’une aide de jeu pour rendre la résolution des conflits plus intéressante. Si je caricature : dans un cas, je me plonge dans un livre de français pour comprendre comment construire une tragédie grec. Dans l’autre, je me plonge dans des livres de maths et de statistiques pour doser la mortalité de ma boule de feu.
Quand je découvre le maelstrom, grâce à La Cellule, je comprends que cela peut m’aider à penser des concepts qui vont me permettre d’éviter de sombrer dans la dialectique du « bon chasseur/mauvais chasseur ». On tombe facilement dans cette caricature si on se contente d'une notion aussi vague que : un « truc qui génère du Jeu ». C’est en voulant expliquer ce qui ce passe, dans le maelstrom, quand on utilise le système de jeu, que j’en viens à comprendre la nécessité de distinguer les propositions initiales des propositions secondaires.
Avec l’espoir que ce soit maintenant plus clair pour vous, voici les exemples.



Annexes / exemples


Je vous propose de décortiquer certains exemples tirés des deux jeux testés lors du week-end passé en compagnie de La Cellule : des exemples tirées de Sombre et de Miles Christi. Vous verrez que, si dans l’absolu la distinction semble évidente, en réalité, il est parfois difficile de définir clairement si une affirmation est de l’ordre du système de jeu ou du système de résolution.
Il y a des tendances cependant. Quand on veut connaître les résultats d’une action d’un personnage, il y a de fortes chances pour que les règles édictées appartiennent alors au domaine du système de résolution. Il faudra cependant étudier attentivement chaque cas.
Dans le même ordre d’idée, les règles qui ont tendance à générer du BG sont souvent du domaine du système de jeu. Car ce BG sera une source d’inspiration pour les propositions énoncées en cours de jeu. Mais, encore une fois, il peut y avoir des cas litigieux.
Il faut noter enfin qu’une proposition initiale ne génère pas forcement uniquement des propositions secondaires. Elle peut aussi générer d’autres propositions initiales et générer une cascade de propositions.

Sombre


Exemple 1 :
La base définit qu’un joueur doit, à la création de son personnage, choisir une personnalité parmi 24. C’est du système de jeu car ce choix ne résout rien, il établit simplement un fait qui permettra au joueur de générer des propositions en s’y référant.
Il est à noter que la description des personnalités qui se trouvent sur les cartes de personnalités de Sombre est du domaine de la couleur(5). Par extrapolation, on peut considérer que ce texte est du domaine du système de jeu. C’est cependant abusif, dans la mesure où il est dit, dans la base, que ce ne sont que des conseils d’interprétation et que le joueur est libre de ne pas en tenir compte. S’il en tient compte, alors on est dans la définition du système de jeu puisque ces textes seront à l’origine de propositions, de la part du joueur, en cours de jeu. Mais, si le joueur n’en tient pas compte, alors ce texte n’est ni de l’ordre du système de jeu ni de l’ordre du système de résolution puisqu’il n’aura aucune incidence en jeu. Il sera uniquement du domaine de la couleur, au même titre qu’une musique d’ambiance par exemple.

Exemple 2 :

« Si le personnage n’est pas soumis à un stress intense, l’action qu’il entreprend réussi si elle est cohérente avec sa Profession. » (Système de résolution)

Exemple 3 :

« L’échec est définitif et collectif. » (Système de jeu) Cette règle ne résout rien, elle force les joueurs à faire de nouvelles propositions initiales. Étrangement, cette proposition ne génère qu’indirectement des propositions secondaires par le biais de l’obligation de formuler de nouvelles propositions initiales.


Miles Christi


Exemple 1 :

Lors de la création, le joueur choisit ce qui s’est passé au cours de son enfance parmi une liste de 10 enfances possibles. C’est du système de jeu, car ce choix ne résout rien, il établit simplement un fait qui permettra au joueur de générer des propositions en s’y référant.

Exemple 2 :

« A tout moment, un joueur a la possibilité de proposer un dilemme entre les vertus, les vœux, les commandements et les humeurs de son personnage. » (système de jeu) Cette proposition offre la possibilité de générer une proposition initiale qui sera le dilemme.
« En cas de dilemme, le jouer décide de la posture qu’il va défendre (vertu, vœu, commandement ou humeur), l’autre posture du dilemme sera défendu par le maitre de jeu ». (Système de résolution) Cette règle ne propose pas de nouvelles propositions mais explique comment le dilemme en cours sera résolu.


Apocalypse World



Je vous avais promis de ne sortir des exemples que de ces deux jeux, je sais. Mais le travail de Vincent Baker me fascine et c’est l’opportunité d’étudier des cas litigieux, où la frontière entre les deux systèmes n’est pas claire.

Exemple 1 :

« Le MJ terminera toutes ses interventions par la question : que faites-vous ? » 
Cette célèbre question est un poncif du jeu de rôle. Il n’a pas fallu attendre AW pour qu’on l’entende à une table de JDR mais, c’est AW qui la grave officiellement dans le marbre de sa base. C’est typiquement une règle du domaine du système de jeu. En effet, cette proposition va obliger les joueurs à faire des propositions. Mon intuition me dit cependant que l’on pourrait peut-être la classer parfois dans le système de résolution. Cette idée me trotte dans la tête mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur un exemple, et vous ?

Exemple 2 :

« Faire le point de la situation »

Comme la plus part des « moves » d’AW, celui-ci prend l’apparence du système de résolution d’AW : lancez 2d6+caractéristique. Mais en fait il ne résout rien. Au contraire, le propos de « faire le point » c’est de générer de nouvelles propositions initiales. Donc, cette règle qui a l’apparence du système de résolution est en fait du domaine du système de jeu.



Exercice


Il y arrive un moment où il faut voler de ses propres ailes. Aussi, laissez-moi vous poser quelques questions.
Je me demande quelle est la place respective du système de jeu et du système de résolution dans AW. Selon vous lequel des deux prédomine ?
En question subsidiaire, pensez-vous que ce n’est pas cet équilibrage qui pourrait être une des raisons de son succès ?


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Mes références :



1 "Le Maelstrom", article de Romaric Briand écrit en 2014 et publié dans le recueil du même nom.
2 "The Forge" est un forum de jeuderôlogie américain qui a théoriser le jeu de rôle dans les années 2000. On peut trouver une partie des articles de l’époque traduits sur le site PTGPTB.
3 "LNS et autres sujets de discussion rôliste" en français est un des articles célèbre du forum "The Forge", il a été traduit en français par Christoph Boeckle.
4 Je parle ici de "Advanced Dungeons & Dragons" et notamment de la première édition du jeu.
5 Dans un "Sage advice" de DD5, l’équipe de WOTC fait plusieurs distinctions intéressantes quant aux règles. Ces distinctions permettent le commentaire. Ils distinguent les règles telles qu’écrites (Rules As Writent ou RAW), les règles telles que voulues (Rules As Intended ou RAI) et les règles telles qu’amusantes (Rules As Fun ou RAF).