
Ce mercredi, Sebastian Franco du GRESEA viendra présenter le numéro du GRESEA Echos qu'il a coordonné et qui revient, via différents articles , sur la marchandisation de la santé.
En avant goût, vous pouvez retrouver l'éditorial ci-dessous.
En 1978, la conférence d’Alma-Ata de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait posé les principes suivants : la santé est un droit humain fondamental, la santé se définit par ses déterminants sociaux, l’accès aux soins primaires doit être universel et les systèmes de soins de santé doivent être démocratiques. Aujourd’hui, pourtant, la privatisation des soins de santé et la marchandisation de tous ses aspects exacerbent les inégalités et favorisent les soins coûteux ; de plus en plus de personnes, même en Belgique, n’arrivent plus à se soigner.
La logique marchande s’est emparée du secteur des soins de santé où le profit prime désormais sur le bien-être des patients. Comme nous l’a rappelé la pandémie de COVID-19, cette dérive marchande affaiblit largement la capacité des systèmes de soins à répondre aux besoins de santé des populations.
Désormais, ce sont les assureurs et l’industrie qui dictent les règles du jeu. Revenir aux principes de la conférence de 1978 est plus urgent que jamais pour contrer la marchandisation de la santé et garantir un accès réel et universel aux soins.

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Édito
Faire résonner à nouveau l’esprit d’Alma-Ata
Sebastian Franco, mars 2025
La santé est une dimension fondamentale de la vie collective et individuelle. Au-delà de l’accès à des soins de qualité, elle est largement définie par les déterminants sociaux et environnementaux qui nous affectent toutes et tous. Pour cette raison, les luttes pour le droit à la santé sont nombreuses et multiformes. Ainsi, revendiquer le droit à la santé, c’est défendre un monde en paix, où chacun peut vivre dignement de son activité et étudier davantage, bénéficier d’un environnement sain, se nourrir de manière équilibrée et vivre dans un logement salubre entouré d’une famille et d’une communauté attentionnée.
Mais dans le monde qui est le nôtre, celui des grandes puissances, des entreprises multinationales, du capitalisme néolibéral, les intérêts marchands et la recherche du profit s’opposent de fait au droit à la santé. Qu’il s’agisse d’accéder à des soins de santé adéquats, à une éducation de qualité ou à un logement salubre à un prix correct, la logique marchande précarise celles et ceux qui n’ont pas les moyens de se les procurer.
Tant au sein des institutions internationales qui régissent l’architecture financière mondiale (Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce) que dans l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) elle-même, dans les institutions européennes ou nationales, les politiques mises en place ont largement favorisé le développement d’une offre lucrative dans le domaine de la santé : libéralisation, privatisation et dérégulation sont devenues les nouveaux mantras des décideur·euses politiques. Il n’en a pas toujours été ainsi…
D’Alma-Ata à Washington
En 1978, la Conférence internationale de l’OMS d’Alma-Ata (ville kazakhe, aujourd’hui Almaty) débouche sur la déclaration du même nom sur les soins de santé primaires [1]. Ce texte présente la vision progressiste de la santé la plus aboutie, depuis la création de l’institution onusienne en 1948 [2]. Elle s’articule sur trois concepts qui restent particulièrement pertinents aujourd’hui : la détermination sociale de la santé, les soins de santé primaires et la démocratie sanitaire.
En affirmant que « l’accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socioéconomiques autres que celui de la santé », la déclaration rappelle que ce sont d’abord les contextes sociaux, économiques et environnementaux qui définissent l’état de santé des individus et des populations [3]. Cette approche globale et préventive se double dès lors d’un appel à la justice sociale entre pays et au sein de chaque État membre.
Les systèmes de soins primaires, proches de la population sont « rendus universellement accessibles à tous les individus et à toutes les familles de la communauté avec leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent assumer » et doivent faire « intervenir […] tous les secteurs et domaines connexes du développement national et communautaire, en particulier l’agriculture, l’élevage, la production alimentaire, l’industrie, l’éducation, le logement, les travaux publics et les communications, et requièrent l’action coordonnée de tous ces secteurs. »
Affirmant « l’autoresponsabilité de la collectivité et des individus et leur participation à la planification, à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle des soins de santé primaires », la déclaration appelle au contrôle citoyen et démocratique sur les systèmes de santé. Enfin, « tous les pays se doivent de coopérer dans un esprit de solidarité […] puisque l’accession de la population d’un pays donné à un niveau de santé satisfaisant intéresse directement tous les autres pays et leur profite à tous. »
Ironie de l’histoire, la conférence d’Alma-Ata se tient en pleine contre-révolution néolibérale, ce que l’on nommera plus tard le « consensus de Washington ». Comme l’explique le regretté Amit Sengupta dans le premier article de ce Gresea Échos, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce émergent successivement comme des acteurs des politiques de santé : c’est l’époque des aides au développement conditionnées à des réformes de politiques de santé, de plans d’ajustement structurel ou encore d’accords sur la propriété intellectuelle des médicaments.
Ce changement de paradigme complique l’accès aux soins et renforce la puissance des intérêts commerciaux, spécialement celui des multinationales et des fondations privées (par exemple la Fondation Gates, du nom du fondateur de Microsoft) qui deviennent incontournables au sein de l’OMS. Les programmes de l’organisation sont progressivement réorientés au travers de partenariats public-privé globaux.
Après la COVID-19, un monde à reconstruire !
Cette dérive marchande, décrite de manière précise dans le second article, affaiblit largement la capacité des systèmes de soins à répondre aux besoins de santé des populations. La crise de la COVID-19 a jeté une lumière crue sur cette réalité ; les pays les plus riches du monde sont contraints de recourir à des méthodes de confinement face aux défaillances de leur système de santé, abimé par des décennies d’austérité budgétaire et de privatisations [4] à tout-va.
Paradoxalement, malgré l’incapacité de la santé marchandisée de répondre à nos besoins collectifs, celle-ci ressort renforcée de la pandémie grâce à son immense pouvoir d’influence sur le monde politique qu’Olivier Petitjean de l’Observatoire des multinationales dépeint dans le troisième article de ce numéro.
La multinationale des maisons de repos Orpea, aujourd’hui renommée Emeis suite à l’immense scandale suscité par les pratiques de maltraitance en vigueur en son sein [5], reflète parfaitement les dérives de cette marchandisation [6] de la santé. Dans le quatrième article de ce Gresea Échos, nous détaillons comment au sein de cette entreprise la recherche effrénée de profits a levé tout obstacle au traitement inhumain des résidents et des travailleurs.
Alors que faire ? Quelles sont les alternatives à la santé marchandise ? Comment construire le droit à la santé en partant des besoins des populations ? Comment s’opposer à la marchandisation de tous les aspects de la santé ? Autant de questions abordées en conclusion de ce Gresea Échos avec deux actrices de terrain, impliquées dans les soins de première ligne : Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales et Hanne Bosselaers, médecin généraliste dans une maison médicale de Médecine pour le Peuple.
Il y a 46 ans, la Conférence d’Alma-Ata nous donnait déjà les outils sur lesquels construire nos propositions pour un véritable droit à la santé. À nous de faire vivre son esprit pour reprendre la bataille des idées !