Mission encre noire Tome 29 Chapitre 342. Bermudes de Claire Legendre paru en 2020 aux éditions Leméac. La narratrice qui débarque en 2011, en provenance de Prague, à Montréal, y a perdu une histoire d'amour. Elle se lance sur les traces d'une écrivaine disparue dans les eaux glacées du Saint-Laurent en 2005, entre Natashquan et Labrador. Alors qu'elle vient de quitter les cendres chaudes chaudes de sa rupture douloureuse en Europe, elle poursuit le fantôme d'une autrichienne qui lui ressemble. Petit à petit, elle prend la mesure de ce double d'elle-même, qui la fascine et l'attire, jusqu'à revivre certains aspects de son histoire. Elle prend la mesure d'un voyage énigmatique qui la conduit de Montréal à la côte nord, où elle fera la rencontre d'un homme politique séducteur, d'un musicien à la gloire montante et de naufragé.e.s de la vie exilé.e.s sur des îles glacées d'une grande beauté. Qui sait ce qui l'attend sur le quai de l'archipel de Saint-Augustin, le fleuve couvert de glace ? Va-t-elle se laisser prendre ? En 2019, Claire Legendre a réalisé sur l'île d'Anticosti un film documentaire, Bermudes (nord) qui sera l'amorce de ce roman, dans lequel figure quelques-uns de ses personnages. Nous partons à la recherche de Nicole Franzl désespérément en compagnie de Claire Legendre à Mission encre noire.
Extrait: « Franza n'a jamais pris ce cargo. En 2005, c'était le Nordik, un express, celui qu'on appelait « le bateau de la poste », qui prenait les cargaisons mais moins de passagers, et qui avait moins de cabines surtout. Je me demande si elle en avait une, jusqu'où elle comptait aller, et si elle avait réservé. Je l'ai imaginée en princesse mais je me trompe sûrement. Elle était peut-être casse-cou et peut-être capable de ne pas se doucher d'une semaine, peut-être qu'elle était au bout, vraiment au bout du désespoir et à ce moment-là est-ce qu'on se soucie encore de l'odorat des autres? J'ai peut-être un surmoi trop développé pour me laisser aller au désespoir. Quand j'ai envie de mourir je me demande qui va trouver le cadavre et je ne peux me résoudre à être vue sans consentement, à laisser mon visage hors de contrôle. Si je me noie il me faut du fond de teint waterproof.»
Abandon de Joanna Pocock traduit par Véronique Lessard et Marc Charron paru en 2020 aux éditions Mémoire d'encrier. Joanna Pocock, son mari et sa fille de six ans découvrent Missoula, une ville universitaire d'environ 65 000 habitants, sous un soleil de plomb, ses routes larges, ses cours d'eau pollués, une vision bien éloignée de ce à quoi elle s'attendait. Ils resteront deux ans dans l'ouest américain. À l'aube de ses 50 ans, elle quitte sa vie londonienne pour tenter de refaire sa vie ailleurs, différemment. L'Amérique qui s'ouvre à elle, dans ses derniers territoires sauvages, est bien plus complexe qu'il n'y paraît. En quête d'une réinvention personnelle, le Montana représente une porte d'entrée inédite vers un vaste éventail de cultures et de pensées propres à l'Ouest: des chasseurs de loup, des survivalistes, des milices d'extrême droite, des charognards, des réensauvageur.e.s nomades, des écoguerrier.e.s, des écosexuel.l.e.s etc... Consciente de l'écoanxiété qui habite son livre, Joanna Pocock envisage ce voyage intérieur vers l'Ouest américain et ses extrêmes, comme un rite de passage consenti vers d'autres modes de vie envisageables. Et si c'était possible ? Rien n'indique pourtant qu'elle n'y trouvera pas sa place, et vous ? J'accueille, ce soir, à Mission encre noire, l'équipe de traduction, Véronique Lessard et Marc Charron.
Extrait: « Finisia Medrano était devenue une obsession. Je googlais à son sujet jusque tard dans la nuit à la table de la cuisine dans notre petit bungalow humide de Missoula. les champignons qui poussaient sur nos tapis florissaient. Les araignées clochardes continuaient à se prendre dans mes pièges et j'examinais leurs corps gras et rayés avant de les jeter à la poubelle. Les guêpes qui infestaient le plafond de la cuisine étaient sorties de leur hibernation avec le début de l'été et bourdonnaient fort au-dessus de ma tête, comme un rasoir électrique. En tapant sur mon MacBook pro, j'avais conscience de l'arsenic et du cuivre qu'il contenait, deux minerais probablement extraits au Chili. Je savais que leur processus d'extraction tuait des villages entiers et empoisonnait les rivières. Au congo, des enfants d'à peine sept ans extraient le cobalt de la terre à mains nues. On écourtait leur vie pour allonger celle de ma pile. Même chose pour le bismuth du Mexique, le gallium de Guinée, le cadmium, le chrome, le manganèse et le platine d'Afrique du Sud, le lithium du Zimbabwe, le mercure de la seule mine de mercure au monde au Kirghizstan, le vanadium du Kazakhstan, l'antimoine du Tadjikistan, et ainsi de suite.»