Mission encre noire Tome 28 Chapitre 329 Tireur embusqué de Jean-Pierre Gorkynian paru en 2020 aux éditions Mémoire d'encrier. Il y a des sons familiers qui peuvent devenir obsession. Dans ce cri étouffé, ce corps qui chute dans la neige, c'est le souvenir des bombes, des balles traçantes, du sol brûlant d'Alep qui resurgit. Shams vit son premier hiver à Montréal. Il s'est lié d'amitié avec Kevin, un poké, qui fait des runs pour un dealer quand celui-ci est trop pété. Adolescent rescapé de la guerre en Syrie, Shams arrive péniblement à contenir ce monstre qui le broie de l'intérieur. Pris à parti dans une violente bagarre à l'école, il consent à suivre une psychothérapie. Le divan de Sylvain Ménard prend des allures de scènes de guerre, de zone sinistrée, Alep, la guerre civile, la mort qui rôde, les derniers éclats du souvenir de Zeina qui blesse encore...Lorsque Shams se remémore ses derniers mois syriens, il se demande s'il a vraiment quitté le pays pour de bon. Assurément la guerre civile a profondément influé sur la genèse de ce très convaincant second roman. Les portraits percutants de figures de guerre nous ramènent à une réalité qui nous échappe trop souvent. Le passé violent ne s'efface pas si facilement. Né à Montréal et originaire de Syrie, l'auteur a signé deux articles dans Le devoir relatant ses deux voyages de recherche au pays. Dans l'évocation de l'odeur âcre des éclats d'obus et de la poussière des rues dévastée, le Tireur embusqué dans les rues enneigées de Montréal n'est peut-être pas celui qu'on croit. Jean-Pierre Gorkynian est notre invité, ce soir, à Mission encre noire.
Extrait:« J'ai pris une grande inspiration. Je m'apprêtais à plonger en apnée, dans l'âme fracturée d'un désert aride. Je ne me rappelle plus du tout ce que je lui ai dit, ni dans quel ordre. Ménard se gardait bien de m'interrompre. Il voulait me donner du temps, et je l'ai pris. Et sans m'en rendre compte, les murs de cette prison se sont affaissés et la neige s'est transformée en sable. À défaut de mourir, le temps s'est suspendu. L'été était brûlant. La terre cuisait sous un soleil impitoyable. Le pays traversait sa pire sécheresse. Année après année, des récoltes toujours plus désastreuses. Partout, du Maghreb jusqu'au Levant, l'esprit de révolte qui avait su renverser des régimes de terreur quasi immémoriaux soufflait désormais sur notre pays. Comme un vent de fraîcheur, apportant avec lui son lot de rêves et d'espoirs. Le peuple exigeait plus de liberté et de dignité. Ne tolérait plus de se laisser humilier. Mais notre gouvernement ne l'entendait pas ainsi.»
Chairs sous la direction de Marie-Ève Blais et Olivia Tapiero paru en 2019 aux éditions Triptyque dans la collection Encrages. Avec des textes inédits de Mykalle Bielinski, Marie-Ève Blais, Laurence Bourdon, Philippe Dumaine, Erin Hill, Lorrie Jean-Louis, Catherine Mavrikakis, Nathanaël, Charlie Prince, Olivia Tapiero, Sarah Walou et Ouanessa Younsi ce recueil engage une réflexion passionnante à douze voix autour de la notion de chairs. Chaque texte engage sa plume, son stylet, sa pointe acérée dans le brut du corps, dans l'épaisseur de sa résistance, dans l'abandon et la mollesse parfois douloureuse d'une chair vaincue ou triomphante. Les autrices et auteurs invité.e.s viennent d'origines diverses, la danse, l'écriture, le théâtre, la chorégraphie, la musique, donnant ainsi plusieurs correspondances et un regard neuf sur un sujet  méconnu. De quel espace parle-t-on lorsque l'on évoque les chairs? (dedans/dehors) Où se terre notre mémoire, nos héritages dans ses méandres sinueux? Préfère-t-on les oublier ? Quel rapport y-a-t-il entre le temps et nos chairs? Où se glissent nos désirs sur cet étal carné frémissant? Je reçois Olivia Tapiero, ce soir, à Mission encre noire. (extrait lu à l'antenne: Marquer le temps: ce que le souvenir raconte de la chair Marie-Ève Blais Chairs Triptyque (2020).)
Extrait: « La ville de Lisbonne est aujourd'hui tatouée par des milliers de graffitis, alors que chaque guide touristique me convie à visiter le Musée de l'azulejo, qui rappelle un passé où les murs n'étaient pas dénudés non plus. Ils se montraient recouverts de mosaïque colorées et tarabiscotées. Les murs de la ville à l'époque moderne ne sont pas plus gris qu'ils ne l'étaient par le passé. On les voit peints de mots, de crocodiles, de lézards, de phallus tronqués, de seins énormes, d'injures et de signatures. J'aime cette pudeur de la ville qui se refuse à se montrer sans fard. J'aime ces dessins qui se chevauchent, s'appellent. Si Lisbonne a une chair, cette chair est couverte. À Lisbonne, même les plantes et les arbres sont tatoués: j'ai vu, sur des agaves, des figuiers géants et des cactus, que Pedro aimait Maria, que Nene aimait Nana. On parle de plantes à messages dans les livres. Les humains ont-ils vraiment besoin d'incarner dans la chair des plantes les détails de leurs petites vies insignifiantes? » Viande à penser Catherine Mavrikakis Chairs Triptyque (2020).