Mission encre noire Tome 26 Chapitre 312. La Pomme et l'Étoile d'Étienne Beaulieu paru en 2019 aux éditions Varia. Alors que l'auteur médite sur la plage, en face de Provincetown, à Eastham Nord, il trace mentalement dans le sable une comédie automatiste que la mer vient balayer. Il songe à Paul-Émile Borduas et à sa peinture venu de nulle part, à l'étrangeté de la matière. Ou bien envisage-t-il sa maison de Sherbrooke, si proche en terme de distance, qui le relie plus volontiers au besoin d'enracinement d'un Ozias Leduc. Lui, qui avoue y avoir installé du bois de grange décoratif, sa manière d'établir, à la façon du peintre du Mont-Saint-Hilaire, un lieu d'enracinement. La pomme C'est Ozias Leduc. L'étoile, Paul-Émile Borduas. Ces deux peintres vont servir de carburant colérique, suite à son divorce, à l'écriture de cet essai littéraire sans pareil, qui poursuit l'objectif de «mettre des mots justes sur ce que vous ressentez depuis l'enfance sans trop y penser.» Le livre que vous tenez dans les mains va vous parler d'amour fou, de femmes, d'art et du Québec, vous faire traverser deux mondes, et faire naître un écrivain sous vos yeux ébahis. Pour René Girard, il y a trois personnes en amour comme en littérature, vous, le livre et l'auteur, Étienne Beaulieu est notre invité ce soir à Mission encre noire.  
Extrait: « Borduas semble avoir été fasciné par la puissance annonciatrice des départs. Une toile peinte au début des années 1930, La jeune fille au bouquet ou le départ, montre avec nostalgie cet engouement pour le moment sentimental et déchirant des adieux. Il peut s'agir bien sûr du départ de la France, que Borduas quitte alors avec beaucoup de regrets semble-t-il. Est-ce la fameuse Lulu que l'on voit apparaître dans le Journal que tient Borduas pendant son séjour d'un an en France ? Mais on peut voir dans cette étrange figure de jeune femme au regard perdu dans un bouquet de fleurs un départ plus fondamental, de nature ontologique: le départ vers une autre aventure que celle du réel.»
Moebius 161 est en librairie ! La citation-thème est une phrase choisie de l'Amèr ou le chapitre effrité de Nicole Brossard paru chez Typo en 2013: « La matière s'est, de tout temps, mise à bouger seule.» Ce numéro se veut exclusivement féminin, à part la présence de Marc-André Baron associé à Chloé Savoie-Bernard pour la direction littéraire. Nonobstant le somptueux objet livre mis en forme et en couleur par Julie Delporte, artiste en résidence, à découvrir, vous y trouverez des textes inédits de Lucile de Pesloüan, écrivaine en résidence, Mélodie Bujold, Marie-Hélène Constant, Mégane Desrosiers, Caroline Guindon, Mimi Haddam, Patricia Houle, Mélanie Landreville, Valérie Lefebvre-Faucher, Nancy Rivest, Sanna, Brigitte Vaillancourt, ainsi que Laurance Ouellet Tremblay dans la rubrique « Penser la création » et Daria Colonna qui écrit à la poète Emmanuelle Riendeau.

Extrait: « Je guette le bruit des gens qui tombent/acquiesce et redescends/traverse la route du dehors/mon terrain arrête ici/la maison a le toit défoncé/la neige entrée par la bouche/sous la langue/le silence.» Marie-Hélène Constant, Les arbres d'ornement.
 
Fracking de François Roux paru en 2019 aux éditions Albin Michel. Si ce roman se déroule en Amérique du nord, plus précisément dans les vastes plaines du Dakota, le couteau qui se plante en terre et qui intoxique les champs et les cours d'eau nous concerne toutes et tous. Fracking: Fracturation hydraulique qui permet de forer à la verticale puis à l'horizontale un puits d'acier, pour capturer les hydrocarbures emprisonnés en profondeur dans les pores de formations schisteuses, en provoquant une fissuration de la roche par une série d'explosions et libérer le pétrole qui s'écoule. Dans l'Amérique de Donald Trump, c'est toute une communauté locale du Dakota qui va devoir s'entre-déchirer, autour des ambitions extractrices de la compagnie pétrolière Global Ressource et des mouvements contestataires de Standing Rock. Au-dessus des nappes d'hydrocarbures flottent un parfum de désastre annoncé. C'est la débandade d'un rêve américain qui se liquéfie sous nos yeux. Dans le soleil couchant des vastes prairies du Dakota, aucun troupeau ni l'ombre d'un cow-boys couvrent l'horizon, seule demeure la silhouette mortifère du nouvel eldorado de l'or noir, des puits de pétrole.
 
Extrait: « Avec le fracking, le rêve éternel d'indépendance énergétique de l'Amérique allait enfin se réaliser. Les prévisions les moins optimistes tablaient sur douze millions de barils de pétrole par jour en 2020 - soit pratiquement deux fois plus qu'en 2006 - qui ferait des États-Unis le premier pays producteur au monde, loin devant l'Arabie saoudite. Au-delà des retombées économiques, les plus radicaux - et il y en avait quelques-uns dans le comté - y voyaient une revanche politico-stratégique sur ces États du Golfe qui, non contents d'imposer leurs vues au gouvernement le plus puissant de la planète, nourrissaient en leur sein d'effroyables terroristes dont l'imagination macabre paraissait n'avoir aucune limite.»