Mission encre noire Tome 30 Chapitre 351. Buveurs de vents de Franck Bouysse paru en 2020 aux éditions Albin Michel. Trois frères et une soeur nés du Gour noir contemplent leur monde de haut. Suspendus par des cordes au viaduc qui surplombe la rivière, ils dominent la ville et sa vallée. Personne ne se doute encore que le cadavre qui se cogne dans les rochers, en bas dans les eaux tumultueuses va tout changer. Joyce Principale, encore moins, lui, qui règne en maître absolu sur tout ce qui bouge dans la région. Propriétaire de la centrale électrique et du barrage, en amont, de la carrière en aval, l'homme marque ce territoire de son empreinte indélébile. Dans ce coin perdu des montagnes, les gens, d'une génération à l'autre, se soumettent et courbent l'échine. Dans ce monde humiliant et stérile, la colère a pris, malgré tout, sa source, menaçant de tout emporter. Franck Bouysse nous offre un véritable portrait social, d'une famille, d'une ville, d'un peuple, d'une région, qui se doivent d'affronter l'avidité destructrice d'un seul et unique tyran capable de reprendre ce qu'il a créé en un claquement de doigt. Une situation qui semble si futile, au regard de la puissance des eaux de la rivière, car chacun le sait, humains comme animaux, il faut se méfier de l'eau qui dort. Franck Bouysse confirme une fois de plus la virtuosité de sa plume, en se frottant aux grands espaces et aux remous qui irriguent l'esprit de révolte au Gour noir. Il est invité à Mission encre noire.
Extrait:« L'aube venue, les portes s'ouvrirent sur des visages hagards, des mines blafardes. On sortit constater les dégâts. Partout en ville, les rues étaient jonchées d'ardoises brisées, comme si un grand écailler était passé par là. Le clocher dénudé de l'église laissait apparaître la cloche entre les poutres de la charpente. Et, avant même les sept heures, la cloche bascula d'un côté en silence, puis de l'autre, et se mit à sonner, à la manière d'un coeur se remettant en marche après un infarctus. Ce n'était pas la première fois que l'on reconstruisait, ni même la dernière. Les catastrophes grandissent les humains, se plaisait à dire l'homme à la robe empesée, ornée d'une croix en forme de glaive. La lumière revint dans les foyers au fil des jours, une durée qui s'étira selon l'éloignement d'avec la centrale. Chaque famille remisa ensuite les lampes à pétrole dans les armoires et les bougies dans les tiroirs. Les habitants effaceraient peu à peu les traces visibles de la tempête, mais en porteraient toujours les stigmates dans leur chair ; quant à la forêt, elle se débrouillerait. Elle se moquait du temps et du désordre. Elle se moquait des hommes, de tous les hommes. »
La valse de Karine Geoffrion paru en 2021 aux éditions Sémaphore. Marie pleure, son mari a une maîtresse. Son choix est fait, elle le quitte. Isabelle Lalande soupire devant les jérémiades de sa soeur, son monde à elle, lui paraît, en comparaison, indestructible. Xavier Sauriol, associé directeur dans l'un des plus grands cabinet d'avocat en droit des affaires de Montréal, son époux, est si différent de martin, ce loser. Elle fixe son patio, satisfaite de sa nouvelle piscine creusée, de son grand jardin aménagé pour l'hiver, son spa contigu. Ses enfants, si charmants et dévoués l'enchantent. pourtant Xavier la délaisse ces derniers temps, son visage impassible, ces retards répétés, lui donnent secrètement l'envie de crier. Elle préfère oublier. La préparation de leur dixième anniversaire de mariage doit la stresser voilà tout. Pourtant les confidences de Marie lui tournent dans la tête. Trop. Karine Geoffrion ouvre une brèche douloureuse dans le scénario d'une vie de château. Un simple détail, sous la griffe éclairée de l'autrice, devient, à s'y méprendre, un gouffre béant dans lequel le chaos menace d'engloutir ce qui a pris dans de temps à se construire. Pourquoi tout gâcher pour si peu ? Karine Geoffrion est invité à Mission encre noire.
Extrait:« Dans le stationnement, j'ai envie de la retenir. De lui parler de mes doutes quant à Xavier, de mon malaise persistant depuis l'annonce de sa rupture. Je voudrais lui poser mille questions sur les agissements de Martin des derniers mois, sur son attitude cachottière, lui avouer dans le creux de l'oreille que je me sens perdue. Que je n'arrive plus à dormir ni à fonctionner normalement. En silence, je la regarde s'engouffrer dans sa petite voiture sur laquelle je remarque un début de rouille. Je la salue distraitement et demeure près de la porte du garage jusqu'à ce qu'elle disparaisse au bout de la rue. De nouveau seule, je m'assois, les deux jambes repliées contre ma poitrine, sur une marche de l'escalier avant. Je dépose ma tête contre mes genoux, le visage balayé par mes cheveux dégringolant de tous bords tous côtés. J'ai envie de crier, de pleurer. Rien ne sort. Je ferme les yeux, serre ma tête de mes mains crispées et, pour une rare fois, m'offre entièrement à ce sentiment destructeur, me laisser posséder.»