Mission encre noire Tome 21 Chapitre 264. Animitas de Nicholas Dawson paru en 2017 aux éditions La mèche. Animitas: édicules, petites constructions isolées dans l'espace public. Une famille chilienne fuit le régime et pose ses valises sur la rue Ontario à Montréal en 1990. Dans leur bagages se trouvent des silences, des coutumes, des larmes, une langue qui parfois menace de les engloutir. Et pourtant, sous le regard de ses parents, de son frère et de sa soeur, l'enfant s'invente une nouvelle vie, à Hochelaga et en banlieue, à Brossard. Parfois baroque tantôt flamboyant, plus tard lourd et oppressant, Animitas est traversé de la rumeur du déracinement, cette charge qui colore les esprits d'une génération à l'autre. Nicholas Dawson ouvre une fenêtre sur l'éclatement que peut provoquer la roche de l'exil au fond de la bottine de cette famille de réfugiés. De Nine Inch Nails, de Madonna ou de Bowie, de valparaiso au désert d'Atacama, Nicholas Dawson vient nous jaser des vérités folles de l'adolescence qui traversent son très réussi roman/animitas. Il est notre invité ce soir à Mission encre noire.
Extrait:«L'enfant se souvient des maintes fois où son père parlait des autres là-bas, de ceux qui attendront éternellement leur retour. Il l'entend souvent dire qu'ils peuvent bien attendre, qu'il ne remettra jamais les pieds là, qu'ils devront venir le chercher de force pour le replacer dans ce pays maudit, tout comme, de force, il l'a quitté. L'enfant se dit alors qu'ils sont venus le chercher, qu'il est parti. Il croit que l'éclatement inévitable de sa famille se produit déjà par un départ de son père vers le Chili. Il ne s'étonne pas de son calme. Il parvient à cette conclusion sans drame, sans inquiétude. Au contraire, il est apaisé, il se sent libre. Le parc se remplit peu à peu de ses créatures, et l'enfant est le seul à sourire.»
Une toile large comme le monde de Aude Seigne paru en 2017 aux éditions Zoé. L'internet existe vraiment ! Vous le saviez j'imagine. Ce vulgaire câble noir jeté comme un sac de noeuds autour du globe, C'est lui ! Anonyme et silencieux, il assure l'essentiel de nos échanges électroniques, autant dire l'avenir de la planète. Cependant, une petite communauté d'internautes dispersée autour du globe planifie un sabotage généralisé du Worl Wide Web. Ce récit choral et éclaté n'est pas un roman d'anticipation. Aude Seigne dissèque froidement le cadavre encore chaud de l'internet, le bras armé, polluant, aliénant et énergivore du progrès. Ce roman génial nous garde bien les pieds sur terre, le style est concis et le ton convaincant. Voici un portrait glaçant d'une génération qui est née avec l'internet, un compagnon privilégié du réveil au couché.
Extrait:«Samuel est le seul à connaître l'existence de FLIN et de ses cousins, qui, dans la région de Baotou, sont peu nombreux, étroits, fragiles, ankylosés dans le sol aride. Il l'a constaté dès son arrivée, soupirant devant la lenteur du wifi de l'hôtel, tâchant de compenser par la réflexion. Comment se fait-il que la région soit si peu connectée alors que la plupart des matériaux qui constituent internet - le germanium des fibres optiques, l'indium des écrans tactiles - viennent d'ici ? Si l'adolescent à ses côtés lui posait la question, Samuel lui parlerait probablement des terres rares. Comme il le fait dans les colloques où il croise cette Birgit qu'il trouve sympathique, il préciserait qu'elles ne sont pas si rares, mais qu'elles sont difficiles à localiser en grande quantité, puis à isoler chimiquement, et que leur processus d'extraction est très polluant. Il ne sait pas ce que représente Baotou pour ce garçon trop bien habillé pour y habiter, mais il conclurait, quand même, sur la spécificité phénoménale de la région: ici, les terres rares sont presque toutes présentes et couvrent la moitié des besoins de la planète.»
Le corps des ruines de Juan Gabriel Vasquez paru en 2017 aux éditions du Seuil. On ne s'attend pas vraiment à ce qu'un morceau de calotte crânienne datant de 1914 et un morceau de vertèbre de 1948 viennent perturber la marche inexorable de l'Histoire. Juan Gabriel Vasquez se met en scène, un de ses amis, le docteur Benavides, vient appuyer son propos avec ces preuves. Ces restes humains appartiennent à des personnalités célèbres du monde politique colombiens, à des hommes assassinés. L'histoire de la Colombie est un fatras de mensonges, Carlos Carballo en est intimement convaincu. Il se présente, un brin farfelu et miné par les nombreuses théorie du complot qu'il rumine depuis toujours. Est-ce que l'écrivain et essayiste Juan Gabriel Vasquez va se laisser tenter de dévoiler la vérité au monde entier ? De J-F Kennedy à la princesse Diana, de Rafael Uribe Uribe à Jorge Eliecer Gaitan, l'auteur creuse le socle de la mémoire enfoui sous la croûte apparente de l'Histoire officielle. Le corps des ruines est un thriller politique aux mailles étroites. C'est aussi un objet fascinant ou tous les coups sont permis.
Extrait:«Non, on n'échappe pas à la violence colombienne, j'aurais dû le savoir. Personne n'y arrive, d'autant moins les gens de ma génération, qui ont vu le jour en même temps que le trafic de drogue et sont devenus des adultes quand le pays sombrait dans le sang répandu par la guerre que Pablo Escobar lui avait déclarée. On peut quitter le pays, comme je l'ai fait en 1996, et croire qu'on laisse ces réalités derrière soi, mais on se trompe, tout le monde se trompe. Je serai toujours surpris par le maître que la vie a choisi de placer sur ma route pour m'enseigner cette leçon qu'il aurait pu me dispenser de nombreuses autres manières.»