Mission Encre Noire Tome 16 Chapitre 210 Aujourd’hui à DésOrienté, une émission vraiment spéciale, car Jean-Pierre vous présente Naguib Mahfouz, un des auteurs les plus marquants de la littérature arabe moderne, avec une carrière qui s’étend sur près de 60 ans et qui a donné le jour à plus de 50 romans et recueils de nouvelles, carrière aussi qui lui a valu le Prix Nobel de Littérature en 1988. À l’émission, nous nous penchons sur Karnak Café, paru en langue arabe en 1974 et disponible en français depuis 2010 aux éditions Actes Sud, Babel. L’histoire se déroule au Caire, capitale égyptienne, vers la fin des années 1960, en pleine période nassérienne.  Mahfouz y fait un compte rendu amer du nouveau socialisme arabe, à travers l’histoire de 3 étudiants, trois amis dont la vie bascule après un passage dans les geôles du pouvoir. Roman politique, roman troublant, il demeure un ouvrage d’actualité, 40 ans après sa publication, parce qu’il met en exergue les dissensions au sein d’une société qui, d’une part aspire à une révolution, et de l’autre, toute l’impasse politique et social qui l’empêche. 

 

Extrait:

Je découvris le Karnak par hasard. J’étais allé porter ma montre à réparer, rue Mahdi, et devais la récupérer quelques heures plus tard. Puisqu’il me fallait attendre, je décidai de tuer le temps en admirant les bijoux et bibelots exposés dans les boutiques qui bordaient la chaussée. Ce fut au cours de ma promenade que je tombai sur ce café. Et, malgré son exiguïté et sa situation en retrait de la rue principale, il devint dès ce jour-là mon repaire favori. Il est vrai que j’hésitai un instant sur le seuil, jusqu’à ce que j’aperçoive, assise à la caisse, une femme. Une femme d’un certain âge, mais qui gardait l’empreinte d’une beauté passée. Ses traits fins et nets caressèrent les fibres de ma mémoire et firent jaillir le flot des souvenirs. J’entendis résonner l’écho d’un tambourin, un parfum d’encens titilla mes narines, un corps ondula, celui d’une danseuse orientale! Oui, c’était elle, l’étoile de l’Imad Addine, Qurunfula, la star, le rêve incarné des florissantes années 1940. 

Éric profite de l'actualité littéraire des dernières semaines pour présenter deux auteurs incontournables. Je soussigné Mahmoud Darwich paru en 2015 aux éditions Actes Sud/l'orient des livres de Ivana Marchalian, comme son titre l'indique est l'occasion rêvée de découvrir le fameux poète. Un livre entretien avec la journaliste libanaise Ivana Marchalian qui réussi à approcher en douceur l'écrivain, encore réticent à donner des entrevues en 1991. La Palestine est au coeur de cette oeuvre immense, ses textes interprétés et chantés par des millions d'arabes dans le monde sont des symboles de la liberté et de la révolution. Mahmoud Darwich décédé en 2008, recevra des obsèques nationales à Ramallah.

Extrait: 

Ma mère, c'est ma mère. Si je pouvais défaire sa taille et sa chevelure de la malédiction des symboles, je le ferais. Oui, j'ai laissé mon visage dans son mouchoir, car loin d'elle, je perds mes rêves. Et lorsque, de toute la tragédie qui se déroule dans et autour de mon pays, je ne revendique que le mouchoir de ma mère, je recouvre ma véritable personnalité, une image conforme à ce que je suis et non telle qu'elle a été définie par le grand crime commis dans mon pays d'une part, ni par l'héroïsme d'autre part.

 

Paru aux éditions Mémoire d'Encrier en 2016. Sur Fanon, le second ouvrage est à porter à l'initiative de Bernard Magnier, journaliste français et conseiller littéraire au théatre du Tarmac à Paris. Lors d'une représentation en 2013 de l'oeuvre de Franz Fanon, Les damnés de la terre, une invitation a été lancée à une trentaine d'écrivains (es):

Comment parler de l'immense héritage de l'écrivain Franz Fanon aujourd'hui ? Comment nous faire vivre et vibrer à la lecture de ses mots ? Comment faire ressentir la brûlure matricielle de la découverte de ses textes initiatiques ?

Franz Fanon, c'est cette lumière dans les ténèbres de la colonisation. Mort en 1966, il aura cherché toute sa vie, dans le combat, à libérer l'homme, pour le salut commun. Né en Martinique, résistant de la première dans la France occupée, il sera combattant du côté du FLN algérien.Son oeuvre reste diablement d'actualité. C'est avec ferveur et admiration que ces trente auteurs(es) replacent Franz Fanon dans le débat actuel et de la plus brillante façon possible: du bout de leur plume, originale, personnelle et militante. 

Extrait:

Et si Saint-John Perse, autre antillais, m'émerveillait par la beauté de sa poésie et son univers, l'heure était à l'attachement à Franz Fanon qui nous incitait avec son écriture enflammée jusqu'à contester Léopold Sédar Senghor à cause de sa proximité avec le président habib Bourguiba. Ses deux esprits, pères de leur nation, adhéraient à la francophonie, à l'internationale socialiste, se comportaient avec modération à l'égard de l'ancien colonisateur. Sans laisser de place au doute, nos convictions prenaient fait et cause pour Fanon: voilà un martiniquais qui choisit de devenir Algérien par amour de la justice. Grand frère et défenseur des opprimés. Comment ne pas le faire figurer dans notre panthéon ? Fallait-il pour cela sacrifier l'immense poète qu'est Senghor ? Trop pressés pour apprécier les oeuvres à leur juste valeur !