Mission encre noire Tome 24 Chapitre 290 Birdie de Tracey Lindberg traduit par Catherine Ego paru en 2018 aux éditions Boréal. Le premier roman de L'autrice a atteint la finale du concours Canada reads en 2016, voici enfin sa traduction. La voix de Bernice Meetoos traverse la page avec force. Héroïne, malgré elle, Bernice quitte son Alberta natale pour Gibson en Colombie Britannique. Une lente dérive, pour fuir les remous tumultueux d'un passé marqué par de nombreux abus. Munie de sa valise galeuse, d'un sac et d'un tube de carton, elle s'installe au Paradis des pâtisseries de Lola. Elle tombe dans un comas profond. Tracey Lindberg qui est professeure de droit à l'université Athabasca en Alberta, use habilement de la tradition orale des contes et du pouvoir rédempteur des songes sur l'esprit. L'autrice vous met la langue Cri des montagnes rocheuses en bouche pour enrichir son propos. Vous devriez vous perdre dans les sinuosités inédites des contes et des fables pour mieux nourrir l'arbre de vie, Pimatisewin, agissant comme le poul de la communauté. Dans ce magnifique livre, il est, tout comme Bernice, dans un triste état. Grâce à la force des femmes de sa vie, de sa famille, qui vont la soigner, Bernice dit Birdie: la petite chouette qui fonce droit dans l'oeil de l'homme, entame un nouveau voyage. Tracey Lindberg trace un sentier pour relier les silences de Bernice à notre regard de lectrice/teur. Alors comme son ElleOiseau et tous les autres animaux venus entourer le petit arbre, écoutez son appel. J'existe, nous existons, voici notre langue, voici notre musique, voici mon histoire. Elle vous concerne aussi.
Extrait:« Son premier Blanc, c'était au secondaire. Phil Filmore. Elle l'a cherché sur Facebook l'année dernière et l'a trouvé: un chauve au teint blême qu'elle n'aurait pas reconnu en le croisant dans la rue. Il était comme tous les moniawak qui sortent avec des Indiennes, du moins tous ceux qu'elle a connus: marginal, un peu à part, fasciné par l'exotisme, mais insistant sans cesse sur ce qu,elle et lui avaient en commun. Il était aussi excessivement doux. Tellement passif que son souvenir s,est gravé pour toujours dans la mémoire de Freda. Il exprimait son affection seulement quand elle le voulait bien, osait un geste spontané seulement quand elle l'ignorait.»
Les spectres de la terre brisée de S.Craig Zahler paru en 2018 traduit par Janique Jouin-de Laurens aux éditions Gallmeister. Romancier et scénariste, l'auteur, qui est également fan de métal, dépoussière le genre western. Déjà croisé, ici, avec Une assemblée de chacals (Gallmeister), nous retrouvons le désert aride mexicain, l'été 1902. Les soeurs Plugford, Dolores et Yvette, ont été enlevées et violées par des membres d'une sombre confrérie, avec à leur tête, l'implacable Gris. Elles demeurent désormais à la merci des clients qui paient pour leurs services. Victimes, à leur corps défendant d'une dette de jeu, elles sont détenues dans une forteresse aztèque nommée Catacumbas. Le père, John Lawrence Plugford, ancien chef de gang, rassemble une furieuse horde sauvage et se lance à leur poursuite. Les soeurs auront leur mot à dire. Scotch et tequila, les lignes qui suivent vous brûlent la gorge, les spectres du titre jonchent les pages mieux que n'importe quelle série de zombies. Enjouée et colérique, la plume de S.Craig Zahler se manie du six coups aussi facilement que des dialogues grotesques et crus qui ne dénoteraient pas chez Erskine Caldwell ou Quentin Tarentino. Le monde de la famille Plugford vole en éclat. Cette traque impitoyable révèle un monde incorrigiblement violent, et que, la rédemption a un prix. Moralisateur ! avez-vous dit ? Le western revisité par S.Craig Zahler vous plante ses griffes de loup-garou et s'approche de l'horreur moderne.
Extrait:« Les gentlemen approchaient d'un carré rouge orangé qui tranchait sur le reste des ruines gris ocre et, peu après, Nathaniel vit que la décoloration provenait des briques modernes et du mortier utilisés pour sceller la vaste entrée d'origine de la ziggourat. Au milieu de la zone rénovée se trouvait une unique porte en fer. Tous les gentlemen discutaient filles, jeu, alcool et feuilles de tabac, hormis le gringo qui n'était capable de rien d'autre que fixer l'entrée en métal, dont dix pas de plus révélèrent qu'elle était couverte de rangées de gros clous en acier saillants. Nathaniel était habité de sérieux doutes quant aux chances des Plugford - même avec l'aide de leur autochtone entraîné et du tireur impitoyable - de pouvoir sauver leurs parentes captives d'un tel endroit. Les Hopis et les prisonniers de la guerre hispano-américaine incarcérés à Alcatraz semblaient aussi faciles à atteindre qu'une personne enfermée à l'intérieur de Catacumbas.»
Désinhibée de Emmanuelle Riendeau paru en 2018 aux éditions de l'Écrou. Born to be vulgaire, Emmanuelle Riendeau est une voix singulière et puissante de la poésie québécoise. L'autrice mixe Drake, Simone de Beauvoir et Miley Cyrus dans le texte. Maximum fun et derniers crachats, il serait facile de prendre au premier degré cette langue sauvage et indomptée. Outrageusement biographique, on y parle de sang froid, des femmes en marge, de baise, de dope, de boisson, de vomi, de tristesse, de solitude, de désamour et d'écriture, rappelant l'éructation d'autres Filles-missiles. Emmanuelle Riendeau pète des verres, altière et met ses tripes sur la table. Âpres et percutants, ses textes sont un chiffon rouge agité à la face des esprits tièdes aux mains baladeuses. Posture arrogante ou pas, l'autrice s'installe dans le paysage et ça fait du bien. Que la fureur soit sous les pancartes électorales ! I.N.D.I.S.P.E.N.S.A.B.L.E
Extrait:« Shut'em all/vomir dangereusement/je vous attends à la sortie/de la librairie/un ouvre-bouteille/en guise d'argument.»
Moebius 158 Un numéro très réussi est déjà en kiosque. La citation thème est tirée de Personne de Gwenaelle Aubry paru en 2009 aux éditions Mercure de France: «Filles, soeurs et complices de ceux qui vont pieds nus à l'envers de la vie». Le magazine réunit une diversité de textes autour de la résistance et de la révolte à des assignations que depuis toujours on attribue aux unes et aux autres. Ces femmes et complices évoluent à l'envers des pouvoirs, à l'envers des codes et préfèrent les enjeux de l'entre-deux, comme une danse qui interroge l'autre et l'inclut. On règle ses comptes et on désobéit. Dirigé par Chloé Savoie Bernard et Karianne Trudeau Beaunoyer, je vous recommande la lecture du nouveau Moebius, pour la richesse de tous ces textes, mais également, par choix personnel, celui, splendide, signé par Julie Delporte, dans sa Lettre à Patti O' Green.
Extrait:« C'est d'ici que je regarde la catastrophe. Je compte les oiseaux qu'il nous reste. J'envoie des dessins à des poètes et des poèmes dans l'univers pour exister encore un peu. Sébastien B. Gagnon écrit qu'il connaît «des mots simples pour convaincre les oiseaux qu'ils pourront revenir.»» Julie Delporte, Lettre à Pattie O'Green, Moebius 158