(RV) Entretien - Un important incendie a ravagé lundi en Libye un immense dépôt de stockage d’hydrocarbures. Il n’a pas pu être maitrisé à cause des combats, non loin de la capitale. Les autorités ont mis en garde contre cette « catastrophe » et ont appelé les habitants à quitter la zone.

Ce n’est qu’un nouvel épisode d’une série qui est en train d’entrainer le pays dans une crise toujours plus profonde. De violents affrontements secouent l’aéroport de Tripoli depuis plus de deux semaines. 97 personnes ont été tués, 400 blessées. Plusieurs pays ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays.

Derrière ces combats se cache en fait une lutte d’influence politique dont les courants sont représentés aussi bien sur le terrain que dans les chambres parlementaires. C’est l’analyse de Hasni Abidi, le directeur du Cermam, le Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève, interrogé par Antonino Galofaro 00:03:34:46

Il existe aujourd’hui une lutte multiforme entre les différentes milices mais aussi entre le gouvernement qui est défaillant et les autres milices. Le résultat des dernières élections n’a pas arrangé les choses dans la mesure où le courant le plus présent sur le terrain, le mieux armé et celui qui a gouverné la Libye depuis la chute de Kadhafi se trouve en situation difficile puisqu’il n’a pas gagné les élections. Et le courant qu’on peut appeler libéral avec des anciens révolutionnaires soutenus en partie par un général putschiste ne se trouve pas en position très forte sur le plan militaire. On voit bien qu’il y a un glissement du conflit politique vers le conflit militaire avec un risque que toutes les parties s’épuisent. La situation est très compliquée puisqu’aujourd’hui, aucune partie n’est capable de veiller à un règlement pacifique ou même à engager une réconciliation car toutes les parties politiques et toutes les parties militaires sont parties prenantes dans ce conflit.

Le gouvernement a parlé d’un possible effondrement de l’État.

On a presque dépassé la ligne rouge. Le gouvernement a demandé de l’aide international mais ses appels n’ont pas eu beaucoup d’échos. Il y a en effet un gouvernement qui est fortement critiqué et qui est en principe partant et démissionnaire parce que le prochain gouvernement qui sera issu de ce parlement n’arrive pas encore à siéger. Aujourd’hui, les institutions qui fonctionnent sont menacées de paralysie totale.

Les autorités n’ont-ils aucun moyen pour mettre un terme à cette crise ?

Les ministres n’arrivent pas à s’entendre et il n’y a aucune force sur le terrain capable d’entamer un désarmement. Le prochain parlement est théoriquement un parlement plutôt favorable au courant libéral de Monsieur Jibril. Cela m’étonnerait que les révolutionnaires soient issus de Misrata, de Tripoli ou d’autres villes. Cela laisserait l’aéroport et Bengazi aux mains de la brigade de Zanten. Aujourd’hui, on peut vraiment dire que la Lybie est devenue une grande menace pour elle-même et une grande menace pour ses voisins mais aussi pour l’Europe.

Est-ce qu’il y a un risque de « somalisation » de la Lybie ?

Oui, le scénario somalien est tout à fait probable dans cette situation libyenne. Je dirais même une « somalisation » plus riche avec des moyens beaucoup plus importants que la Somalie parce que vous avez une rampe pétrolière et vous avez un trafic d’armes qui dépassent largement ce qu’on avait vu en Somalie lors de la guerre civile. Et d’ailleurs, la bataille autour de l’aéroport de Tripoli ressemble beaucoup à la bataille qui a eu lieu autour du port de Mogadiscio. Certains parlent de la juridiction internationale, ce qui veut dire que les britanniques, les américains et les français peuvent traduire certains chefs de guerre. Certains disent qu’ils ne veulent pas accepter la légalité, en tout cas libyenne et poursuivre sur le plan international. C’est la seule arme qui existe aux mains de la Communauté Internationale parce qu’aucun pays n’est en mesure d’envoyer ses hommes sur le sol libyen.

Comment expliquez-vous ce manque de réaction internationale ?

Lors de l’intervention contre Kadhafi, on avait demandé à ce que la Communauté Internationale n’abandonne pas la Lybie parce qu’on ne peut pas abandonner un pays qui ne dispose d’aucune institution capable d’assumer et d’assurer la sécurité. Un point qui est important, c’est que les Français ont décidé de changer de quartier général. Après l’opération Serval au Mali, ils sont partis un peu plus vers l’est, au Tchad. Cela montre que les Français sont très inquiets de la situation en Lybie qui risque de déstabiliser des pays importants et qui sont également importants pour la France.

Photo : des pompiers libyens luttent contre l'incendie d'un dépôt de stockage d’hydrocarbures, près de Tripoli