Pendant des décennies, en Guyane, et jusqu’à aujourd’hui encore, des milliers d’enfants issus des différentes communautés autochtones ont grandi dans des pensionnats catholiques. La journaliste Hélène Ferrarini a enquêté sur cette politique d’assimilation forcée menée par le clergé catholique.

L'invitée : Hélène Ferrarini, journaliste et autrice du livre-enquête Allons enfants de la Guyane. Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République

Sélection prix Albert Londres 2023

Allons enfants de la Guyane

Les “homes indiens” existent en Guyane depuis plusieurs décennies. Ce sont des pensionnats catholiques gérés par des prêtres et des sœurs qui appartiennent à différentes congrégations. Ces internats, qui ont pour objectif de scolariser, assimiler et évangéliser les enfants amérindiens et noir-marron, sont financés par de l’argent public, explique la journaliste Hélène Ferrarini dans son livre Allons enfants de la Guyane (Éd. Anacharsis). Car en Guyane, la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État n’est toujours pas appliquée à ce jour, “aujourd'hui, quelques prêtres catholiques sont toujours rémunérés par la collectivité territoriale de Guyane”.

Les religieux se rendent auprès des familles autochtones pour les convaincre de leur confier leurs enfants. Après la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’administration préfectorale finance encore les “homes”, "les gendarmes peuvent prêter main forte aux religieux quand il s'agit de convaincre des familles récalcitrantes”, précise Hélène Ferrarini. Il arrive aussi que des religieux utilisent les soins médicaux pour gagner la confiance de certaines familles. “Il faut inscrire ça dans un contexte plus large. Les communautés amérindiennes, lorsque les pensionnats se mettent en place, sont très fragilisées. Elles sont peu nombreuses et aussi sujettes à toutes sortes de maladies.” Selon Hélène Ferrarini, environ 2 000 enfants seraient ainsi passés par ces homes indiens.

Une fois dans les pensionnats, on leur interdit tout ce qui les rattache à leur culture, comme leur langue natale ou leur vêtement traditionnel. Filles et garçons doivent s’habiller à l'européenne et s’adapter à un nouveau régime alimentaire. “Plongés dans un contexte de violence qui est celui de la vie dans les internats, où ils sont mis sous pression et en perte de repères, des enfants qui ne sont pas violents à la base le deviennent”, poursuit la journaliste.

Des dissensions apparaissent au sein du clergé dans les années 70. Puis les mouvements autochtones dénoncent l’assimilation autoritaire qui est conduite par le biais des homes indiens. Peu à peu, les pensionnats du littoral ferment. Celui de Maripasoula cessera ses activités en 2012, mais celui de Saint-Georges-de-l'Oyapock est encore ouvert aujourd’hui. Lorsqu'il sera fermé, “la question du déracinement des enfants qui poursuivent leur scolarité et vivent à deux jours de pirogue de leur famille, dans un contexte culturel extrêmement différent de celui du village dans lequel ils ont grandi se posera toujours”, relève cependant Hélène Ferrarini.