De Barbe Noire à Barberousse, en passant par Jack Sparrow, le capitaine Crochet ou Rackham le Rouge, les pirates, corsaires et flibustiers sont devenus des mythes de la culture populaire. Mais qui sont-ils véritablement ?
Avec
Maxime Martignon - Docteur en histoire moderne, spécialiste des pratiques d'écritures au XVIIe siècle, préfacier de l'Histoire du sieur de Montauban
Frantz Olivié - Historien et éditeur, cofondateur des éditions Anacharsis, auteur de L'Enfer de la flibuste
Valérie Hannin - Directrice de la rédaction du magazine L'Histoire

L'Enfer de la flibuste
Histoire du sieur de Montauban

Une étude du vocabulaire de la piraterie s’impose pour commencer, car les corsaires, les pirates et les flibustiers ne sont pas exactement faits du même bois. Si les uns, les corsaires, sont légalement investis par les États pour dépouiller des navires ennemis, les autres, les pirates, sont de véritables bandits des mers. Quant aux flibustiers, ils se situent quelque part entre corsaires et pirates : ils travaillent tantôt dans la légalité, en temps de guerre, tantôt dans l’illégalité, en temps de paix.

La flibuste apparaît au début du XVIIe siècle et prend fin avec la paix d’Utrecht de 1713. Elle concerne essentiellement les Caraïbes, les Antilles, mais aussi, de manière plus marginale, la mer du Sud, c’est-à-dire l’actuel océan Pacifique. La flibuste est un phénomène politique, et même géopolitique, qui met en jeu les rapports de pouvoir des États présents dans la zone caraïbe, et les liens coloniaux qu’ils entretiennent avec des territoires fraîchement accostés et conquis, aux marges de leurs empires. C’est aussi un phénomène social et économique, car les flibustiers ont une organisation bien particulière, des équipages très hiérarchisés, où règne une certaine égalité, qui a souvent été louée, en particulier dans le processus de prise de décision à bord et dans le partage des butins. La flibuste attire des renégats de toutes sortes, engagés perdus ou en fuite, marins déserteurs, petits colons et planteurs… "Le sieur de Montauban est un flibustier de la deuxième moitié du règne de Louis XIV. Il a vraisemblablement beaucoup vagabondé autour de l'Atlantique et s'est mis dans le circuit de la traite négrière. Est-ce qu'il négocie directement ? Ce n'est pas sûr. Son livre raconte l'histoire d'un flibustier qui se met au large du golfe de Guinée et qui essaye d'arraisonner des vaisseaux négriers pour en prendre le contrôle, prendre leur 'cargaison' et ensuite aller revendre cette 'cargaison' dans les Antilles.", rapporte Maxime Martignon, historien spécialiste des pratiques d'écritures au XVIIe siècle.

Certains historiens ont pu proposer une lecture politique de la flibuste, qui fait des flibustiers des agents de contestation de l’ordre établi. Un véritable mythe de la république pirate, égalitaire et démocratique, a pris corps au fil des siècles. Une république des Corsaires a bien existé entre 1706 et 1718 à Nassau, mais Libertalia, l’utopie pirate de Madagascar, est en revanche probablement une invention de l’écrivain Daniel Defoe, à qui on prête un récit anonyme paru en 1724, l’Histoire générale des plus fameux pirates, parfois aussi attribuée au capitaine Charles Johnson. "Toute une mythologie s'est construite sur ce qu'on appelle les exploits des flibustiers : des gens très peu nombreux, jeunes, qui ont une vie très courte, vivent dans un danger extrême et s'en vont à l'aventure piller sur les mers. Ce sont des personnes qui ont défrayé la chronique au sens où, dans les Caraïbes, ils sont parvenus à terroriser l'entièreté de l'empire espagnol de l'Amérique.", explique Frantz Olivié, éditeur et cofondateur des éditions Anacharsis, qui fait paraître L’Enfer de la flibuste. Pirates français dans la mer du Sud,

Alors, comment expliquer et analyser la présence de pirates au XVIIe siècle dans les Caraïbes ? Les témoignages des principaux intéressés sont des documents précieux pour éclairer le quotidien des flibustiers et leurs motivations. Il existe de nombreuses informations dans le Voyage du sieur de Montauban Capitaine des flibustiers En Guinée, en l’Année 1695 Avec une Description du royaume du Cap de Lopez, des mœurs, des coutumes, & de la Religion du Pays, paru en 1697 à Bordeaux, dans les Histoires d’aventuriers qui se sont signalés dans les Indes (1678) d’Alexandre-Olivier Exquemelin, ou encore dans les textes d’Étienne Massertie récemment édités par Frantz Olivié aux éditions Anacharsis. Ces témoignages sont néanmoins à prendre avec des pincettes… Car les flibustiers ne sont pas avares d’hyperboles, aiment à enjoliver leurs récits et à donner de leurs aventures sur mer une vision absolument rocambolesque !

Bibliographie

L’Enfer de la flibuste. Pirates français dans la mer du Sud (édité par Frantz Olivié et Raynald Laprise, Anacharsis, 2021) 
  • Histoire du sieur de Montauban, capitaine flibustier : course, traite et littérature* (édité par Maxime Martignon, Anacharsis, 2021)
  • Les Atrocités des pirates. Récit véridique des souffrances sans exemple endurées par l'auteur pendant sa captivité parmi les pirates de l'île de Cuba, avec l'exposé des outrances barbares de ces forbans inhumains d'Aaron Smith* (1824) (traduit de l'anglais par Frantz Olivié et Laura Brignon, Anacharsis, 2018)