Le fait de séparer les mots par un espace nous semble une évidence. Et pourtant il n'en a pas toujours été ainsi. Dans l'Antiquité gréco-romaine, notamment, les phrases étaient souvent écrites sans aucune séparation.
C'était l'époque de la "scriptio continua", l'"écriture continue". Les textes se présentaient donc sous la forme d'une suite de signes que rien ne venait aérer. Ni d'éventuels espaces, ni même la ponctuation, bien qu'il ait existé quelques points médians dans les manuscrits antiques.
Aussi le sens des phrases n'apparaissait pas de manière spontanée au lecteur. Pour le comprendre, il lui fallait lire à voix haute. C'est par cet exercice qu'il marquait des pauses dans le texte et le dotait d'une sorte de ponctuation orale.
Trouver la césure entre les mots, et donc saisir le sens du texte, ne pouvait vraiment se faire qu'à l'oral. Un exercice que nous avons du mal à comprendre à notre époque, où les textes sont depuis longtemps composés de mots bien séparés et où leur sens apparaît dès le stade de la lecture silencieuse.
L'usage de l'"écriture continue" perdure durant l'Antiquité tardive et le haut Moyen- Âge. Puis les choses changent à partir du VIIe siècle. À ce moment-là, en effet, des moines irlandais peinent à lire le latin serré des manuscrits antiques qu'ils copient. Et ce d'autant plus que le latin n'est plus leur seule langue.
Pour rendre la lecture, et donc la copie, plus aisées, ils commencent à séparer par des espaces les mots composant les phrases des textes. Ils adoptent aussi certains signes de ponctuation, comme la virgule.
Mais ces nouveaux usages restent cantonnés à l'Irlande et à l'ensemble du monde anglo-saxon. En effet, ils s'introduisent ailleurs avec beaucoup de lenteur. Il faudra attendre au moins le XIIe siècle pour qu'ils s'imposent partout.
Et c'est bien l'écriture de ces mots séparés par des espaces qui a introduit peu à peu la pratique de la lecture silencieuse, un usage qui nous paraît aujourd'hui aller de soi. Et qui modifie le rapport du lecteur au texte.
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