Après la lecture de la première intégrale consacrée au personnage, parue récemment chez Panini Comics, j’ai eu très envie de vous parler de Namor, le Prince des Mers

Sous l’Océan… 

Bien que relégué au second rang des figures de l’univers Marvel, tant en termes de publications que d’actualité au cinéma, on a tendance à oublier que The Sub-Mariner est l’un des tous premiers super-héros de la Maison des Idées, créé, tout comme Captain America ou le premier Human Torch, sous l’ère Timely. 

Né sous la plume de Bill Everett en 1939, le grand public le découvre dans le tout premier numéro de Marvel Comics. Dès sa première apparition, Namor évolue entre deux eaux, tant sur le plan individuel que social. Fils d’un humain et d’une atlante, il se présente plutôt comme un anti-héros, farouche guerrier tenant tête aux humains pour défendre son royaume sous-marin. Pourtant, lorsqu’il obtient sa propre série en 1941, le Prince des Mers met de côté, pour un temps, sa haine de l’humanité toute entière afin d'affronter Hitler et les forces de l’Axe qui menacent Atlantis. Sur ce point, Bill Everett devance d’ailleurs de plusieurs mois l’entrée en guerre des États-Unis, tout comme ses confrères Joe Simon et Jack Kirby avec leur premier numéro de Captain America. Un élan patriotique qui va pousser l’antipathique Sub-Mariner à trouver quelques alliés à la surface pour dégommer du nazi et lui permettre récolter les honneurs dûes aux combattants de la liberté américains. Souffrant, comme une grande partie de ses pairs costumés, du déclin du genre super-héroïque après-guerre dans la bande dessinée américaine, le Sub-Mariner aura été l’un des personnages les plus populaires du Golden Age. 

Namor gardera cependant un rapport distant aux habitants de la surface, les voyant systématiquement comme une menace pour son peuple. Une caractéristique qui va être exacerbée lorsque le personnage réintègre l’univers Marvel dans le quatrième numéro de Fantastic Four, en 1962. Retrouvé amnésique par Johnny Storm, le Prince des Mers recouvre la mémoire au contact de l’eau et décide de retourner à Atlantis, où il découvre que son royaume a été détruit par les essais nucléaires menés par les humains. Séparé de son peuple parti en exode, Namor devient fou et décide de réveiller une gigantesque créature marine pour détruire New-York en représailles. Mis en déroute par les Fantastiques, il jurera de se venger, non s’en s’être entiché d’un considérable béguin pour Sue Storm au passage. Si les Fantastic Four auront plusieurs occasions d’affronter le Sub-Mariner, présenté dans un premier temps comme un vilain, son statut va rapidement évoluer. 

Dans le septième numéro de Daredevil, paru en 1965, Namor devient soudainement bien plus procédurier et s’en va quérir les services de l’avocat Matt Murdock pour faire valoir les droits de son peuple auprès des habitants de la surface. Tout ne se passe pas vraiment comme prévu, mais c’est l’occasion de découvrir qu’au sein même de son royaume, cet individu métis, ressemblant plus à un être humain qu’à un Atlante, est loin de faire l’unanimité. S’il est respecté en tant qu’héritier du trône, il est aussi au centre de nombreux complots de ses opposants visant toujours, à plus ou moins long terme, son élimination. 

Son pouvoir est régulièrement contesté, justement du fait de son métissage. Et c’est une piste que Stan Lee, très attaché au héros, va explorer dans les nouvelles aventures en solo de Namor, dans Tales to Astonish. 

Namor, Gloire & Beauté 

Comme toujours chez Stan Lee, il y a un mélange improbable de sitcom et de tragédie grecque. Mais le contexte très particulier d’Atlantis, décor mystique et hors du temps, ne fait que l’amplifier. 

Namor est, de la même façon que bon nombre de super-héros, un digne descendant des dieux et des héros de la mythologie. Présenté dès ses débuts comme doté d’une force phénoménale, le Sub-Mariner est pratiquement invulnérable. Il peut affronter une dizaine d’individus à la fois et les faire virevolter autour de lui sans difficulté, écraser un scaphandre à mains nues, et même renverser un bâteau chargé d’hommes et de blindés à bout de bras. 

Une puissance colossale qui joue sur son caractère : fier, pour ne pas dire méprisant, y compris avec ses semblables, il présente une forte intolérance à la frustration, considérant que tout un chacun lui doit obéissance. Mais, se sentant traité comme un étranger partout où il passe, et cherchant désespérément à être digne de son trône, il est possible que son attitude épouvantable soit aussi l’expression d’un complexe d’infériorité lié à l’exigence à laquelle il s'assujettit lui-même.  

Namor peut aussi être considéré comme le premier super-héros réellement capable de voler, au coude à coude avec son compère Human Torch.  En effet, à l’époque, les surhommes comme Superman ou Captain Marvel sautent très haut, mais ne volent pas. Le Sub-Mariner, lui, prend littéralement son envol dans le numéro un de Marvel Comics, à l’aide des petites ailes qu’il a aux chevilles. Cet attribut, symbole de son appartenance à la catégorie des mutants de l’univers Marvel, ne pourrait être que l’expression physique d’une forme de télékinésie, véritable source de son pouvoir. Mais pourtant, lorsqu’il en sera privé, durant le run de John Byrne dans les années 1990, il ne sera plus en mesure de voler, ce qui confirme leur réelle utilité. 

Quoi qu’il en soit, ces ailes sont une référence directe aux talaria du dieu Hermès, des sandales dotées de petites ailes. Sandales qui permettront à Persée, demi-dieu fils de Zeus et de l’humaine Danaé, de terrasser la gorgone Méduse, avant d’affronter un monstre marin et de devenir seigneur de son propre royaume. Ainsi, si on aurait facilement tendance à comparer Namor à Poséidon ou à Neptune d’un point de vue strictement symbolique, il emprunte surtout à Persée et à son descendant Hercule, tant par son histoire personnelle et les défis qui l’attendent que par ses capacités physiques surhumaines. 

D’ailleurs, le Prince des Mers aura directement affaire au dieu Neptune dans le soixante-quinzième numéro de Tales to Astonish, qui lui remettra son précieux trident après l’avoir exposé à de nombreuses épreuves. Ce qui renforce son caractère de héros mythologique devant accomplir un parcours initiatique avant de retrouver son trône. 

Parce que oui, comme dans tout bon mythe, il faut un usurpateur à affronter. Dans le cas de Namor, c’est Krang, son fidèle chef de guerre, qui finira par le trahir et l'emprisonner pour prendre le pouvoir. Pour couronner le tout, il faut bien évidemment une femme au milieu de tout ça, en la personne de Dorma. Désirant plus que tout conquérir le cœur du Prince des Mers, l’atlante va lui venir en aide et même se constituer prisonnière auprès de Krang pour protéger son bien-aimé, quitte à passer pour une traîtresse à ses yeux ! Un sens du sacrifice très romantique et désastreusement cliché, mais digne des meilleures tragédies classiques. 

S’il y a aussi un peu de mythe arthurien dans tout ça, on retrouve surtout dans la mise en scène de ces relations l’amour de Stan Lee pour les soap operas. Comme il l’a fait pour les Fantastic Four, Stanley Lieber apporte beaucoup d’humanité et de quotidien dans l’écriture de ses personnages, même quand il sont, comme ici, totalement en déphasage avec la réalité. 

Plus fort que Patrick Duffy ! 

Défenseur de son peuple, mais aussi des fonds marins, le Prince des Mers peut être perçu comme une sorte de proto-héros écologiste, même s’il lui arrive de manipuler les créatures marines comme un dresseur de cirque. 

Ce qui est sûr, c’est que le personnage porte un vrai message auprès du peuple de la surface et sensibilise, avec une manière forte qui lui est toute particulière, les êtres humains à l’importance de la préservation de l’océan et de sa faune. Si, encore une fois, Marvel n’est pas forcément avant-gardiste dans cette démarche, la Maison des Idées surfe sur les sujets de société qui animent cette période de Guerre Froide, où les gens comprennent que le nucléaire représente autant un danger pour leurs ennemis que pour eux-mêmes.

Il n’y a pas plus politique que Namor qui est, tout comme T’Challa ou Fatalis, littéralement un homme politique. Souverain d’Atlantis, émissaire de son peuple, chef de guerre et diplomate, ses multiples statuts en font une véritable figure de la géopolitique made in Marvel. Souvent tiraillé entre le domaine subaquatique sur lequel il règne et ses origines humaines, il est tour à tour incompris des uns et des autres. D’abord ennemi des hommes, puis arme de propagande au premier degré durant la Seconde Guerre Mondiale, ennemi des communistes aux côtés de Captain America sous l’ère Atlas, puis Chef d'État luttant pour la reconnaissance de sa patrie pendant le Silver Age, Namor n’a jamais été un personnage neutre sur le plan politique. 

Le Submariner est un symbole du poids de l’héritage chez Marvel, tant dans ses aventures sur le papier sous la plume de Stan Lee que dans la façon dont la Maison des Idées l’a extirpé d’une profonde amnésie pour en fait un nouvel adversaire des Fantastiques. Chargé de l’histoire de l’éditeur, mais aussi de celle des États-Unis, de ses peurs, et de ses combats, le Prince des Mers représente autant une menace destructrice qu’un potentiel allié face à des dangers plus grands encore. Tour à tour rendu insupportable par son autosuffisance, attachant par sa quête de reconnaissance, voire amusant dans son décalage avec le monde des humains, le personnage est à bien des égards l’un des premiers anti-héros vraiment crédible de l’univers Marvel. 

Arrogant antagoniste envahisseur ou héritier d’un pouvoir que certains lui refusent, Namor est à mes yeux l’un des héros les plus riches et les plus complexes de l’éditeur et il me faudrait bien plus de temps pour en faire le tour en détail. Cependant, j’espère que ces quelques mots vous auront convaincu du profond intérêt que mérite le personnage et vous pousseront à vous jeter sur ses aventures !

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