L’adolescence est une période aussi compliquée qu’inspirante, terreau d’une multitude de fictions, y compris pour le genre super-héroïque. Mais parmi les œuvres qui s’en nourrissent, rares sont celles qui peuvent se vanter de flirter avec la perfection.

BACK TO SCHOOL

Les années 1980 sont souvent considérées comme un tournant pour la bande dessinée américaine. Watchmen, The Dark Knight Returns, Crisis on Infinite Earths, l’incontournable Maus de Art Spiegelman, ou même les Tortues Ninja et Secret Wars sont autant d’exemples cités comme des pierres angulaires d’un nouvel âge pour les comics.

Si certains pensent aussi à Camelot 3000, American Flagg, ou à une tripotée de titres issus ou inspirés de la bande dessinée indépendante britannique, les X-Men de Chris Claremont n’arrivent que bien plus tard en tête, peut-être à cause de son statut de série plus classique et installée, publiée par Marvel Comics. Pourtant, nombreux sont les lecteurs littéralement traumatisés par la saga du Phénix Noir, y compris en France suite à sa publication dans Spécial Strange chez Lug. Le run long de seize ans de Claremont sur la série consacrée aux X-Men contient de nombreuses pépites, dont le fond est encore incroyablement pertinent quarante ans plus tard, mais ce n’est rien par rapport à la maîtrise dont il va faire preuve sur une autre série : les New Mutants.

Apparus en 1982 dans un graphic novel signé Chris Claremont au scénario et Bob McLeod au dessin, avant d’avoir droit à leur propre série dessinée Sal Buscema puis Bill Sienkiewicz, Les Nouveaux Mutants comptent à l’origine dans leurs rangs Rocket, Solar, Karma, Wolfsbane et Psyche, rejoints plus tard par Magik, Shadowcat, ou encore Cypher et Warlock. Si leurs aventures super-héroïques restent assez classiques et largement calquées sur le modèle de celles de leurs aînés les X-Men, cette équipe d’ados, créée à la demande de l’éditeur en chef Jim Shooter, brille surtout et avant tout par la caractérisation de ses personnages. Fragiles, manquant d’assurance et soumis aux questionnements que connaissent tous les adultes en devenir, il est très facile pour les jeunes lecteurs de s’identifier à eux ou bien, pour les plus âgés, d’y voir un écho à leur propre jeunesse.  

Rahne Sinclair, alias Wolfsbane, ou Félina en VF, est par exemple chassée comme une sorcière pour sa lycanthropie. Danielle Moonstar, qui a grandi dans une réserve amérindienne, reste très méfiante à cause des discriminations dont elle a souffert, ce qui aura un véritable impact sur la difficulté qu’elle rencontre pour contrôler ses pouvoirs. Bobby Da Costa quant à lui, a beau être originaire d’un milieu aisé, la découverte de ses pouvoirs mutants en fera un paria contraint de fuir son propre pays. Des traits de caractères qui font partie des composantes essentielles de la définition de ce qu’est un super-héros depuis le Silver Age, comme lorsque Stan Lee et Steve Ditko décrivait le jeune Peter Parker comme le souffre-douleur du lycée devant veiller sur sa tante malade.

À titre personnel, je pense que les premiers épisodes de New Mutants sont parmi les comic books les mieux écrits des années 1980, loin devant certains classiques que je citais tout à l’heure. Fin, inspiré par les débats qui agitent la société, et même parfois clairement avant-gardiste, le comic book de Claremont traite avec beaucoup de justesse de la façon dont on peut être rejeté pour sa différence. Les membres des New Mutants ne sont en effet pas tant de jeunes surdoués dotés de super-pouvoirs que des adolescents mis au ban de la société pour leur origine ethnique, sociale, ou leur parcours de vie. Ils vont devoir apprendre à vivre en groupe, à s’entraider malgré des conflits internes amplifiés par leur mode de vie quasi autarcique et vont comprendre, au fil des épisode, que ces pouvoirs qui les rendent effrayant pour le commun des mortels ne les empêchent pas d’être aussi sensibles que n’importe quel être humain face à la solitude et aux traumatismes. 

Un message de fond qui parle à des milliers de jeunes aux États-Unis, mais aussi partout à travers le monde, et ça de façon absolument intemporelle. 

L’autre qualité remarquable de la série, c’est sa facilité d’accès qui en fait un point d’entrée idéal, même quatre décennies après sa parution. Outre une certaine aisance à s’identifier aux héros de la série que j’ai déjà évoquée, les premiers épisodes sont restés très actuels et font encore parfaitement l’affaire comme première lecture pour aborder les comic books de super-héros. La plume de Claremont a ce petit plus qui permet à ses histoires d’échapper aux affres du temps, faisant des Nouveaux Mutants l’une des meilleures représentations de l’adolescence dans les pages des comics, et peut-être même dans la fiction en général.

Après cinquante-quatre numéros, au cours desquels il aura fait de Magneto, l’ennemi juré des X-Men, le mentor de l’équipe et opposé nos héros à Legion, le propre fils de Charles Xavier, Chris Claremont quitte New Mutants pour laisser sa place à Louise Simonson, qui avait déjà démontré son talent et sa maîtrise des jeunes super-héros chez Marvel avec Power Pack. Malheureusement, même si Simonson saura aussi marquer les esprits avec un remaniement de l’équipe impliquant la mort de l’un de ses membres, la série peine à se renouveler avec le temps et cherchera un second souffle en suivant la tendance dominante des années 1990 consistant à mettre sur le devant de la scène des héros bad-ass plus prompt à la bagarre qu’à de grands monologues. 

BAD TO THE BONES

Le quatre-vingt-sixième épisode marque l’arrivée au dessin de Rob Liefeld et du personnage de Cable, qui deviendra le leader de l’équipe, jusqu’au centième et dernier numéro de New Mutants. Cable est d’ailleurs un personnage passionnant de par son rôle et son statut. À la fois combattant, messie, et même parfois gourou, il représente un véritable tournant pour les séries mutantes de Marvel. Le quatre-vingt-dix-huitième épisode entrera quant à lui dans l’histoire pour contenir la première apparition du mercenaire provocateur Deadpool, qui deviendra une véritable poule aux œufs d’or pour l’éditeur.

En ce début des années 90, les X-Men sont la licence phare de la Maison des Idées, jusqu’à l’apogée marquée par l’adaptation cinématographique sortie en 2000. Les séries et mini-séries mutantes sont démultipliées et si New Mutants s’arrête après cent numéros, c’est pour mieux revenir quelques mois plus tard sous un nouveau nom : X-Force. Cette fois-ci, le ton est radicalement différent, et si l’euphorie du moment qui fait la part belle aux spéculateurs assure des chiffres de vente record, on est bien loin du fond social et politique défini par Claremont des années plus tôt. 

Les débuts sont fastes mais le succès s’avère très vite artificiel, d’autant que les héros de X-Force seront dès 1994 supplantés dans leur rôle de teenagers de service par Generation X. Avec le recul, et même si je reste un fan comme tant d’autres sur qui la nostalgie opère parfois, ces épisodes au parfum d’actioner décérébré ont beaucoup moins bien vieilli que les premiers numéros de New Mutants.

Sûrement parce que Claremont ne développait pas ses personnages comme des super-héros, mais avant tout comme des individus fragiles et victimes de leur situation. Ce qui va cruellement manquer aux différentes versions consécutives de X-Force, condamnées à rester des sortes de variantes bad-ass d’aspirants X-Men à qui l’équipe originale ne laissera que trop rarement la porte ouverte. Et même si certains personnages fondateurs des New mutants sont devenus des acteurs capitaux de Marvel Comics, l’essence même de la série originale a fini par se perdre entre les différentes tentatives de reboot et de relaunch qui ne font que singer une recette aujourd’hui devenue classique, et reprise avec beaucoup plus de succès par des comic books comme Harbinger de Joshua Dysart chez Valiant Comics

Évidemment, je ne peux pas parler des New Mutants sans évoquer leur adaptation au cinéma, longuement attendue et repoussée un nombre incalculable de fois pour finalement sortir dans une indifférence générale, en pleine pandémie mondiale. Plusieurs fois remanié et appuyé par une promotion surprenante empruntant à celle des films d’horreur, ce long-métrage a, si j’ose dit, vendu la peau de l’ours avant de l’avoir filmé, jusqu’à devenir une arlésienne que l’on ne pensait jamais voir après le rachat de la Fox par Disney. 

Pourtant, le résultat s’est avéré étonnamment plaisant et même carrément réussi en ce qui concerne son respect du matériau d’origine. En s’inspirant principalement de l’arc du Demon Bear de Claremont et Sienkiewicz, le film développe brillamment des personnages fragiles en pleine crise d’adolescence qui devront surpasser la crainte de leurs propres pouvoirs pour affronter une menace qui se nourrit avant tout du manque de confiance en soi de chacun. 

Je vous invite vraiment à voir ou revoir New Mutants et à lui donner une chance, car il ne mérite définitivement pas le désintérêt dont il a été victime à sa sortie. 

Conçu comme un comic book pour les ados, mais devenu un éternel standard du genre, The New Mutants est une vraie leçon, tant dans son fond que dans sa forme. Un incontournable qui mérite sans aucun doute sa place parmi les œuvres cultes de la bande dessinée américaine et dans votre bibliothèque ! Vous pouvez retrouver la série originale de Chris Claremont en intégrales chez Panini Comics, et je ne peux que vous en recommander la lecture.

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