Clément Sanchez

Collège de France

Chaire Chimie des matériaux hybrides (2011-2020)

Année 2010-2011

Leçon inaugurale - Clément Sanchez : Chimie des matériaux hybrides

Date : 10 février 2011

Résumé

Il existe un fort courant de pensée et d'action dont la quête est l'harmonisation des relations entre la nature et les productions humaines. Pour cela, les matériaux et systèmes conçus par l'homme doivent être de plus en plus sophistiqués, miniaturisés, recyclables, respectueux de l'environnement, économes en énergie, très fiables et peu coûteux. La chimie des matériaux hybrides peut sans aucun doute apporter des réponses pertinentes à certains problèmes sociétaux associés aux domaines de l'énergie, de l'environnement, du biomédical et de la santé. Mais qu'est ce qu'un hybride ? Est-ce uniquement le résultat d'un mélange intime entre des composantes a priori antagonistes ? Revenons rapidement sur la notion d'hybridation dans un contexte plus étendu que celui de la chimie des matériaux hybrides.

Bien que l'être hybride peuple depuis de nombreux siècles la mythologie des mondes antiques, en biologie, l'hybridation est une réalité et ses implications dans le règne animal (ligre, mulet, zébule, etc.) et végétal (riz hybride, triticale, clemenvilla, etc.) sont déjà démontrées. En chimie, l'utilisation la plus commune du terme hybridation est associée au modèle des orbitales hybrides générées par la combinaison dans différentes proportions des orbitales atomiques de la couche de valence d'éléments comme le carbone. Le modèle de l'hybridation permet de décrire les liaisons chimiques entre atomes et de prédire dans certains cas la géométrie d'édifices moléculaires simples.

Si l'on replace la notion d'hybridation dans le cadre des matériaux et de leur chimie, on se doit tout d'abord d'observer l'extraordinaire beauté des matériaux du monde minéral (métaux, oxydes, phosphates, carbonates et sulfates métalliques, etc.) et ceux du monde organique (arbres, fleurs, etc.). Leur diversité est exceptionnelle. Cependant ce ne sont pas les critères esthétiques qui séparent le monde des matériaux minéraux de celui des matériaux organiques mais certaines de leurs caractéristiques ou plutôt certaines de leurs propriétés physiques. Coupler, combiner si possible en synergie, en un seul matériau, les propriétés des matériaux organiques ou biologiques et ceux du monde minéral est l'objectif de la chimie des matériaux hybrides.

Pour illustrer les différentes facettes de cette chimie, nos premiers exemples concernent des matériaux hybrides relativement simples générés à partir de précurseurs moléculaires fonctionnels (organosilanes) qui s'auto-assemblent pour former des matériaux chiraux ou des membranes sélectives au transport des ions. Ces premières stratégies sont ensuite enrichies par les approches dites « légochimiques » basées sur l'assemblage codé de petits objets hybrides préformés (clusters, agrégats, nanoparticules, etc.). Elles sont illustrées à l'aide d'exemples associés aux clusters oxygénés de la chimie du titane, de l'étain et du chrome. La « légochimie » permet de réaliser, entre autres, des matériaux hybrides photochromes, des capteurs, des adsorbeurs et catalyseurs très efficaces.

Mais revenons aux matériaux du monde vivant, puisqu'ils sont la source du concept qui sous-tend la chimie des matériaux hybrides. Les composés biologiques et matériaux naturels peuvent servir de composants, de modèles ou de source d'inspiration afin développer de nouveaux biomatériaux, ou de nouvelles stratégies biomimétiques ou bioinspirées dans l'ingénierie des matériaux. Le chimiste des matériaux est véritablement à l'école du monde vivant. Il utilise trois principales stratégies pour concevoir et élaborer des matériaux hybrides originaux :

– il peut utiliser le savoir faire de la nature, en encapsulant ou piégeant une « bio-composante » (enzyme, cellule, bactérie, virus, etc.) dans une matrice hybride et en faisant « travailler » cette entité biologique dans le but d'une étude fondamentale ou appliquée (étude en milieu confiné, interaction cellule-paroi minérale, biocatalyse, test immunologiques, production de principes actifs, etc.) ;

– il peut mimer le savoir faire de la nature ou s'en inspirer pour suivre ce que l'on nomme des approches biomimétiques (de la feuille de nénuphar superhydrophobe au pare-brise anti-pluie) ;

– il peut s'en inspirer lors d'approches bioinspirées (des nanocomposites de chitine auto-assemblée et minéralisée constituant la carapace du crabe aux matériaux mésoporeux).

La hiérarchie structurale et fonctionnelle est l'une des caractéristiques importante des matériaux naturels. Aujourd'hui, des structures hiérarchiques hybrides synthétiques peuvent être obtenues en couplant la chimie des matériaux hybrides avec des procédés d'élaboration variés tels que les techniques lithographiques, l'impression jet d'encre, l'extrusion électro-assistée, les procédés aérosols ou des microémulsions, etc. Le succès de ces approches est relié à la compréhension des mécanismes fondamentaux de construction d'édifices complexes. Le couplage chimie-procédé en est la clef et sa compréhension nécessite le développement de méthodes physiques de caractérisation permettant de suivre in situ le processus de formation du composé hybride de la molécule au matériau.

Aujourd'hui, les premières générations de matériaux hybrides trouvent déjà des applications dans les domaines associés à l'automobile, la construction et l'isolation, la micro-optique et micro-électronique, les revêtements fonctionnels, le biomédical et la cosmétique. L'un des domaines très prometteurs associés aux matériaux hybrides et qui nécessite un fort investissement fondamental concerne l'imagerie biomédicale et les vecteurs thérapeutiques intelligents.

L'ensemble des stratégies couplant chimie douce, chimie supramoléculaire, hybridation organo-minérale ou bio-minérale, physico-chimie au sens large englobant la matière molle, l'étude des processus dynamiques et diffusionnels et l'ingénierie des procédés, est à la base d'un fort courant de recherche et de pensée qui donne naissance à une chimie dite « intégrative ». Cette chimie nourrit déjà une branche innovante de la science des matériaux et nous sommes convaincus que ce domaine en émergence et fortement multidisciplinaire ira bien au delà d'une simple somme des composantes, aussi bien au niveau des architectures accessibles que des propriétés et des applications résultantes. La définition de filières d'enseignement permettant de dépasser l'actuelle dichotomie de fait entre chimie, biologie et physique et assurant une formation de base réellement pluridisciplinaire aux futurs acteurs du domaine devrait permettre d'enrichir les stratégies offertes par la chimie des matériaux hybrides.