Il s'appelait Samir.
Dix-sept ans, peut-être dix-huit.
Personne ne savait vraiment.
Lui non plus.
Il venait de loin d'un pays où le sable brûle les pieds
et où les routes mènent souvent à la mer.
Quand il a quitté sa maison,
il portait une vieille paire de baskets grises usées jusqu'à la corde.
C'étaient les chaussures de son père, trop grandes pour lui.
Mais il disait toujours,
c'est en marchant dans les pas des anciens qu'on trouve sa route.
Alors Samir a marché.
Des jours entiers.
Des frontières, des montagnes, des barbelés, des silences.
Un soir de pluie.
Quelque part sur une route d'Europe, ses chaussures se sont déchirées.
La semelle pendait.
La boue entrait.
Alors il les a laissées derrière lui.
Au bord du chemin.
Et c'est là que son histoire a commencé.
Le lendemain,
en traversant un petit village,
il a trouvé une paire de chaussures noires posées près d'une benne à vêtements.
Elles n'étaient pas à sa taille un peu rigides,
mais il les a enfilées quand même.
Dès qu'il a fait ses premiers pas,
il a eu une drôle d'impression.
Comme si les chaussures chuchotaient.
Une voix douce, presque murmurée, lui disait.
Je m'appelais Jeanne, j'ai porté ces chaussures trente ans pour aller travailler.
Elles ont connu les matins pressés, les trajets en bus et les retours épuisés.
Sois courageux, petits elles savent tenir longtemps.
Samir a souri.
Et il a continué à marcher.
Quelques jours plus tard, dans une grande ville,
il a donné ses chaussures à un autre garçon, plus jeune que lui,
qui n'avait rien aux pieds.
Et à son tour, il a trouvé une autre paire,
abandonnée dans un parc des baskets rouges de sport,
presque neuves.
Dès qu'il les a enfilées, il a senti son cœur battre plus fort,
une nouvelle voix, vive, joyeuse.
Moi, j'appartenais à Malik.
J'étais fait pour courir, sauter, danser, ne t'arrête pas.
Samir, le monde est grand.
Et tes rêves aussi.
Alors il a couru, lui aussi, pas pour fuir, non.
Pour avancer.
Sur la route, il a rencontré une vieille dame, Rosa,
qui lui a offert du thé et un sourire.
Elle a regardé ses baskets rouges et lui a dit,
« Tu marches beaucoup, toi. »
Oui, madame,
mais je marche pour ne plus être perdu.
Elle a hoché la tête et a ajouté,
« Alors tes pieds t'emmèneront là où ton cœur veut aller. »
Les saisons ont passé.
Samir a grandi.
Il a changé plusieurs fois de chaussures,
des bottes trouvées dans un centre d'aide,
des sandales d'été offertes par un inconnu,
puis des souliers en cuir qu'un cordonnier lui a réparés gratuitement.
Chaque paire avait son histoire,
chaque pas, une mémoire.
Et à chaque fois, une voix différente semblait lui parler.
Ne crains pas la route.
Marche pour ceux qui ne peuvent plus.
Avance, mais n'oublie pas ceux derrière toi.
Des années plus tard, Samir vivait dans une petite ville
où il aidait d'autres jeunes réfugiés à s'intégrer.
Il leur apprenait le français, les accompagnait dans leurs démarches.
Et réparait leurs chaussures.
C'était sa façon à lui de rendre ce qu'il avait reçu.
Sur l'étagère de son atelier,
il avait gardé une boîte.
À l'intérieur, les lacets
semaient les morceaux de cuir des chaussures
qui avaient marqué son chemin.
Et chaque fois qu'un jeune entrait chez lui,
il disait,
« Ici, on ne donne pas seulement des chaussures.
On donne des pas à suivre. »
Un soir, un garçon lui demanda,
« Dis, Samir, c'est quoi pour toi marcher ? »
Samir sourit,
leva la tête vers le ciel et répondit doucement,
« Marcher, c'est écouter les histoires que les routes racontent
et comprendre que chaque pas nous rapproche un peu plus de l'humanité. »
Marcher dans les pas des autres,
c'est comprendre un peu plus l'humanité.