Témoignage d'un professeur des écoles d'un établissement médico-social.
Nicolas Rallet nous parle d'une élève de 3e comme les autres, à ceci près qu’elle est atteinte de troubles des fonctions auditives et que le confinement est une épreuve supplémentaire dans son quotidien scolaire et personnel. Il nous explique comment en temps de confinement chacun (parent, enseignant, personnel spécialisé) contribue à son niveau à remettre l'élève et l'humain au centre des préoccupations.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


Retrouvez-nous sur : 

Extraclasse.reseau-canope.fr 

Apple Podcasts 

Spotify 

Deezer 

Google Podcasts 

Podcast Addict 


Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Interview animée en avril 2020 par : Régis Forgione 

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir 

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Régis Forgione

Secrétariat de rédaction : Valérie Sourdieux

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr 

© Réseau Canopé, 2020


Transcription :

RÉGIS FORGIONE | C’est une élève de 3e comme les autres, à ceci près qu’elle est atteinte de troubles des fonctions auditives et que le confinement est une épreuve supplémentaire dans son quotidien personnel et scolaire. Pour témoigner de sa situation, qui fait écho à des centaines d’autres, nous avons invité Nicolas Rallet. Il est professeur des écoles au sein d’un établissement médico-social. Il est spécialisé dans la prise en charge des élèves atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) ou de troubles des fonctions auditives (TFA). Bonjour Nicolas.

NICOLAS RALLET | Bonjour !

RF | Cette année vous avez donc dans votre classe une élève atteinte de troubles des fonctions auditives, je crois qu’on peut dire « sourde » comme vous me l’avez confirmé en préparant cette émission. Comment a-t-elle vécu ces premières semaines de confinement et de continuité pédagogique ?

NR | Au début ça a été très compliqué parce que quand on a appris la décision du président de ne plus mettre les enfants à l’école, on a dû organiser un peu à la va-vite cette continuité. Donc moi je disposais déjà d’outils numériques pour maintenir le lien avec les élèves. Mais ce qui s'est passé avec cette jeune fille, elle a voulu absolument être présente sur tous les réseaux parce qu’elle avait besoin d’informations. Ça c’est une caractéristique des personnes sourdes, c’est-à-dire que comme l’information n’est pas toujours accessible, ils cherchent par tous les moyens de savoir ce qu’il se passe. Donc elle, elle cherchait le moyen de savoir ce qu’il se passe, à la fois au niveau de la situation générale mais aussi au niveau de ses cours. Et puis ensuite, la deuxième chose, elle est aussi en situation de fragilité, de sentiment de ne pas contrôler les choses et donc le fait d’être présente un peu partout, elle s’est donnée l’illusion de contrôler un peu la situation. Ce qu’il s’est passé c’est qu’au bout du deuxième ou troisième jour la maman m’a appelé pour me dire qu’elle avait fait un malaise. Elle avait une sorte d’overdose d’écrans, d’informations. Donc à ce moment j’ai contacté la psychologue qui la suit et puis on a repris ça avec elle. Et depuis ça va mieux, elle a retrouvé véritablement un équilibre, donc la situation s’est stabilisée.

RF | Alors justement, on a très envie de vous entendre pour savoir à la fois comment et grâce à quoi cette élève a-t-elle pu retrouver un équilibre ?

NR | Dans sa famille, sa maman est assez cadrante, donc ça s’est fait naturellement. C’est-à-dire qu’elle a déjà repris la main sur les usages des réseaux sociaux sur lesquels elle était : limiter le temps d’accès aux outils numériques, elle a proposé d’autres activités avec la famille et surtout, ce qui me paraît important, elle a resitué l’outil numérique dans une pièce de vie où la maman pouvait avoir un œil sur ce que faisait sa fille. Et ce qui a été très bien aussi après, c’est qu’elle a pu aussi l’aider dans la communication. Ensuite, ce qui a permis aussi à cette élève de revenir à une situation d’équilibre, c’est qu’on a travaillé avec elle, la psychologue, l’éducatrice et moi-même qui accompagnons cette jeune fille, pour l’aider à relativiser et à accepter la frustration du moment. Et enfin, la dernière chose, c’est que c’est une jeune fille qui, comme beaucoup d’élèves dans ma classe, a une capacité de résilience importante. Ils ont été confrontés à des situations compliquées en raison de leur trouble, et donc ils ont appris à surmonter des crises.

RF | Si je me tourne maintenant du côté de l’enseignant, de vous, qu’est-ce que le confinement et la continuité pédagogique ont changé dans votre pédagogie vis-à-vis de cette élève ?

NR | Moi, ça vient renfoncer déjà une réflexion que j’avais au préalable sur les activités qu’on pouvait proposer à ces élèves-là, par rapport à leurs besoins. Je suis assez présent sur le réseau social Twitter, j’ai vu des remarques qui m’ont fait un peu réfléchir aussi par rapport à des collègues, qui disaient que beaucoup d’élèves en situation de décrochage scolaire pouvaient donner illusion pendant les journées de classe, mais la situation de confinement qui leur était imposée, ils perdaient ces élèves-là. Et moi, ce dont je me suis aperçu avec cette élève-là, mais aussi avec d’autres, c’est qu’elle aussi fait illusion en classe parce qu’elle est assez scolaire, mais ce n’est pas pour autant que les activités, les apprentissages lui correspondent. De par le fait qu’il y a un éloignement, une distance, moi j’ai commencé à déplacer le curseur. C’est-à-dire que j’ai commencé à adapter mes outils par rapport à la situation. Comme on utilise une sorte de messagerie privée avec les élèves, j’ai commencé à imaginer des situations de communication où on va permettre de construire des compétences autour de la langue, des compétences psycho-sociales, des capacités cognitives, etc. Donc moi ça me fait glisser vers quelque chose de pas si nouveau que ça, parce que dans la situation habituelle, de par le fonctionnement de l’établissement, parce que c’est une jeune fille qui est inclue en classe de 3e comme vous l’avez dit, on est pris un peu dans le train-train quotidien et on n'a toujours pas des fois ce bon réflexe d’analyser, de savoir si véritablement les activités proposées correspondent aux besoins des élèves. Cette situation m’oblige, entre guillemets, à revenir justement sur ça, sur ces activités qu’on peut proposer à ces élèves, et si c’est vraiment pertinent.

RF | Un grand merci Nicolas pour ces échanges et ce témoignage qui permet d’éclairer notre regard sur de telles situations très concrètes que peuvent vivre les élèves à besoins spécifiques. Merci Nicolas.

NR | Merci à vous.