Professeure d’histoire-géographie dans un lycée d'Avignon, Anne-Marie Goulay se définit avec humour comme « une comédienne et metteure en scène dans un costume de prof ». Depuis plusieurs années, elle coanime une classe d’option théâtre avec des lycéens dont les noms de Jean Vilar et du TNP n’évoquent rien de particulier. En ancrant la pratique du théâtre au plus près de leurs préoccupations et en les entraînant dans un parcours spectateur en lien avec la scène nationale de Cavaillon et le Festival d’Avignon, elle vise à les éveiller à eux-mêmes et au monde qui les entoure. Dans cet épisode, elle nous fait le récit de son parcours jalonné de moments forts aussi importants pour des élèves en construction que pour cette professeure exigeante qui a trouvé dans l’enseignement et la culture des armes pacifiques pour lutter contre les inégalités sociales.

  • Réseau Canopé donne vie au théâtre en classe. Accessible à tous les enseignants gratuitement, le site Théâtre en acte propose d’entrer dans une quarantaine d’œuvres classiques et contemporaines par la représentation et la comparaison de mises en scène, avec des extraits de captations de plus de 120 spectacles, les témoignages des auteurs et des équipes artistiques, et de nombreuses activités pédagogiques.
  • Suivre la programmation du 75e festival d'Avignon du 5 au 25 juillet 2021.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Luc Taramini

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2021


Transcription :

Je suis Anne-Marie Goulay, enseignante d'histoire-géographie, formée au théâtre. Je coanime une option théâtre facultative au lycée René-Char d'Avignon.

J'ai été aussi « service éducatif », professeure missionnée par la DAAC [Délégation à l'éducation artistique et à l'action culturelle] Aix-Marseille auprès du Festival d'Avignon et de la scène nationale de La Garance. Le théâtre est tout à fait central dans mon parcours d'enseignante puisque, dès ma première année, en 1993, tout en étant encore stagiaire, j'ai appuyé toute ma pédagogie sur l'éducation artistique et culturelle parce que ça me paraît tout à fait central et profitable pour les élèves. J'ai commencé le théâtre très jeune, par l'école. Dès le primaire, j'ai découvert le bonheur et la joie de pouvoir interpréter des personnages et d'être en interaction avec et devant les autres. C'est quelque chose qui m'a beaucoup nourri. Ensuite, j'ai pu faire du théâtre au lycée puis en tant qu’étudiante. Mes professeurs m'ont conseillée à l'époque, quand j'étais en université d'histoire au Mans, de faire mon mémoire de maîtrise sur un sujet en lien avec le théâtre.

L'histoire et le théâtre sont liés selon moi. C'est d'abord profondément humain, ça questionne l'humanité, son histoire, ce qu'elle a à dire de la vie, de la politique, de ce qui nous relie, de ce en quoi on croit et de ce qui nous est le plus cher. Ça questionne aussi la relation aux autres. S'intéresser à l'histoire, qui en fait est une couleur de ma propre existence, c'est essayer de comprendre, se comprendre d'abord soi-même, ses origines et puis celles des autres. Et comment va le monde. Le théâtre est aussi le champ de beaucoup de réflexions et d'interactions avec la vie, le vivant, nos contemporains.

Les premiers auteurs de la Grèce antique jusqu’à nos jours, les auteurs d'aujourd'hui, les contemporains et aussi les classiques nous ont aidés à être plus grands, plus grands que nous-mêmes. Un jeune qui débarque à l'école, qu'il soit tout-petit ou lycéen ou autre, est confronté à ses propres limites à un moment donné. Le théâtre nous aide à transcender nos limites, à aller plus loin dans des espaces parfois tout-petits de l'intime, comme j'ai pu le travailler avec certains élèves dans des choses très rapprochées, ou alors dans des choses très vastes quand on a la chance de pouvoir utiliser des plateaux comme celui de La FabricA du Festival d'Avignon par exemple, ou de très belles salles comme on a actuellement dans notre lycée avec la salle de danse. On peut aussi se confronter à l'espace, au temps et, pour mes élèves, je pense qu’à l'intérieur de cette expérience du théâtre, ils peuvent apprendre à se construire des repères et peut-être à se réconcilier avec eux-mêmes et avec la vie. Ça me paraît fondamental.

L'enseignement optionnel de théâtre est tout à fait jalonné par un programme qui était cette année sur la thématique de génération et par le fait que ça peut être un enseignant seul. Mais nous, à René-Char, on est une équipe. Avec Hélène, on est deux enseignantes et on a dans notre trio un metteur en scène, un artiste, Olivier Barrère, qui travaille avec nous. On est en lien avec une structure, La Garance – Scène nationale de Cavaillon. Il y a deux pans pour ces élèves : l'éducation artistique et culturelle qui s'organise vraiment à travers l'expérience du spectateur, toute la démarche réflexive, la culture aussi autour du théâtre. Ça me paraît important qu'ils soient en lien et en connaissance de « Qu'est-ce qui fait le théâtre ? » Donc beaucoup de choses au niveau de l'écriture, de la dramaturgie. C'est une première chose. On a vu des spectacles cette année, comme on a pu, à La Garance mais aussi auprès du Festival d'Avignon puisque c'est notre partenaire territorial le plus proche.

Et puis, pour ce qui est du plateau, on a travaillé à partir des élèves aux sujets qui les passionnaient. On les a questionnés longuement, on a pris du temps, on a cheminé ensemble, sur tout un trimestre, pour aboutir, autour de Noël, avec Hélène, à choisir un spectacle qui reliait le fond et la forme : Handball. Le hasard merveilleux, d’après un texte de Jean-Christophe Dollé [éditions Les Cygnes, 2019], qui associe à la fois une dimension politique très investie et en même temps beaucoup d'humour, de finesse et aussi de l'histoire puisque ça parle de l'Algérie.

[Extrait d'un cours d'Anne-Marie Goulay]

« Allez, vas-y, on le fait en italienne.

- Okay les filles. Vous me suivez : "Toute ma famille était juive, a toujours réussi dans cette ville au milieu d’Arabes, Juifs et musulmans, mélangés. Dans ma famille, on est en même temps Juif, Algérien et Français. Oui, c'est compatible. Enfin, c'était compatible jusqu’à la guerre d'Algérie." »

[Fin de l'extrait]

Je pense que je suis une enseignante de théâtre qui fonctionne à la fois beaucoup sur la discipline et en même temps beaucoup sur la liberté. J'ai cette double envie, ce double axe dans mon rapport aux élèves. Ça va être très rigoureux sur le plan de la formation, on va faire beaucoup d'exercices assez techniques sur les différents modes d'expression théâtrale, sur la culture théâtrale où je vais être exigeante. Par ailleurs, il va aussi y avoir tout le pan du jeu, de la création mais aussi de l'improvisation, de la capacité de chaque élève à pouvoir créer mais pas à partir d'un background qui serait très stéréotypé ou autre. C'est aussi pour ça qu'on relit la culture théâtrale parce que j'aime que leurs improvisations soient étayées, qu'elles se construisent sur un vrai langage de théâtre et pas sur des stéréotypes audiovisuels ou autres. Je suis assez exigeante comme prof de théâtre !

Il y a toujours un moment magique dans ce travail de la rencontre de l'élève avec la culture, une culture en général qu’il ignore, une émergence qui laisse des traces dans un parcours d'enseignant.

Jusqu'à l'établissement où je suis actuellement, j'ai toujours enseigné dans des établissements qui accueillaient plutôt des élèves de milieux défavorisés. Je pense aujourd'hui à une élève, entre autres, avec qui j'étais il y a trois ans et qui a fait partie d'un petit dispositif d'un petit groupe d'élèves que j'ai pu emmener au Festival d'Avignon. Un soir, nous sommes allés voir Nous l'Europe. Banquet des peuples. Cette élève a eu vraiment une révélation en voyant une jeune femme, artiste, comédienne et joueuse de hard rock. Voir cette jeune femme, au milieu d'un plateau immense, prendre et avoir cette place-là, avoir cette parole-là, ça l'a bouleversée. Et cette jeune-là, ça lui a donné énormément de courage. Elle a réussi, via un système « passerelle », à intégrer Sciences Po et je pense qu’elle a pu témoigner de cette expérience lors de l'entretien qu'elle a eu pour y rentrer.

[Extrait d'un cours d'Anne-Marie Goulay]

« Je suis Juive par ma mère, Algérienne par ma terre, musulmane par le mari de ma tante, Française par choix et chrétienne par hasard. »

[Fin de l'extrait]