Au-delà de la transmission de sa discipline, motiver ses élèves est sûrement l'un des défis les plus complexes à relever pour un enseignant. Pour Marie Soulié, professeure de français au collège Daniel-Argote à Orthez, c’est une préoccupation quotidienne. Au micro d’Extra classe, elle évoque cette quête fondamentale révélée par un événement marquant de sa vie professionnelle. Elle nous explique la façon dont elle travaille avec ses classes afin de susciter et maintenir leur désir d’apprendre.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Blaise Royer

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m’appelle Marie Soulié, je suis professeure de français au collège Daniel-Argote [Orthez, Pyrénées-Atlantiques].

La motivation des élèves, c’est vraiment un sujet qui est passionnant – on pourrait en parler des heures. Je dirais que c’est ce qui fait le cœur du métier, que c’est la quête pédagogique de tous les professeurs, dont je fais partie maintenant depuis plusieurs années. C’est vrai que c’est une préoccupation du quotidien. Plutôt que de vous parler de la motivation en général, je préfère vous raconter une histoire. Et je vais vous raconter mon histoire.

Ça a commencé il y a quelques mois maintenant : un inspecteur de l’académie de Montpellier me commande une vidéo. C’est quelque chose que j’ai l’habitude de faire. On me demande souvent des interviews, des vidéos sur mon expérience, notamment de pédagogie active de classe inversée. Il m’a demandé si j’avais rencontré au cours de ma carrière des élèves qui m’ont permis de m’élever. J’ai trouvé la question tout à fait étonnante et j’ai commencé à y réfléchir. Je me suis dit que la motivation des élèves vient du fait que j’ai rencontré moi-même des élèves qui m’ont élevée. On en reparlera tout à l’heure, mais d’abord, je voudrais vous parler du début, du moment précis où cette motivation est devenue, pour moi, évidente.

C’est le jour où je suis arrivée au collège Daniel-Argote. Là, c’est vrai que j’ai été face à un échec personnel. Et pour le coup, les élèves m’ont permis de m’élever. Au début, je ne disais pas qu’ils m’élevaient. J’étais plutôt, au contraire, sur quelque chose d’un peu douloureux. Mais aujourd’hui, je me dis que je suis chanceuse d’avoir eu, à un moment donné dans ma carrière, cette nécessité de faire évoluer ma posture. Et donc, de cette posture de face-à-face, petit à petit, je suis arrivée à une posture de côte à côte, où l’activité ne se fait plus sur cet espace scénique dédié aux professeurs, mais dans la classe.

Je dirais que, d’abord, cette activité, cette motivation se fait en dehors du temps présentiel, c’est-à-dire qu’elle commence la veille. Je soigne toujours ce que j’appelle la mise en bouche, c’est-à-dire ce moment que l’enfant va partager tout seul, face à son écran. La plupart du temps, je fais une vidéo, sous forme de teaser, dont le but n’est pas du tout de donner à voir des choses complexes ou d’expliquer une leçon. Ce n’est pas du tout ça. L’idée, c’est vraiment qu’il se prépare à ce rendez-vous pédagogique. Donc, dans la mise en bouche – dans cette capsule –, je vise non pas des réponses, mais des questions. Je vais donner l’exemple de la dernière que j’ai envoyée.

C’était pour ma classe de 4e et ça a préparé un travail d’écriture, dans une séquence qui s’appelle « Dire l’amour », sur une correspondance entre Camille Claudel et Auguste Rodin. J’avais donc le but de les faire écrire. L’un devait prendre le rôle de Camille, l’autre d’Auguste, et ils ne savaient pas avec qui ils allaient œuvrer. Et donc, j’ai envoyé une mise en bouche où j’ai juste mis en place des mains. J’avais pris en photo leurs mains et je les ai scénarisées. Et j’ai tout de suite mis des mots assez parlants qui permettaient de les faire rentrer dans une écriture : des mains qui se cajolent, des mains qui se caressent, des mains qui s’effleurent, des mains qui se cherchent, des mains qui se lisent, des mains qui se déchirent aussi, qui se séparent.

C’était suffisamment énigmatique, parce qu’ils ne savaient pas ce qu’on allait faire avec ces mains. Ils ne savaient pas vraiment quelle était la commande. Et ça m’a plu, parce que quand les élèves sont rentrés, ils sont rentrés tout de suite avec des questions : « Mais madame, c’était quoi cette mise en bouche qu’on a eue hier ? », « Et qu’est-ce qu’on va faire avec ces mains ? » Et en fait, ils ont été accueillis avec les photos de leurs mains sur les bureaux, et ils devaient choisir une main qui allait devenir leur partenaire d’écriture.

On a parlé de la motivation avant le cours. Mais évidemment, la question se pose : comment motiver un élève ou une classe complète pendant 55 minutes, voire plus ? Cette motivation est aussi, contrairement à ce que l’on croit, extrêmement préparée par l’enseignant. C’est-à-dire qu’on va la rechercher. Et on va la rechercher effectivement en variant, au sein de la classe, dans la pédagogie active, des activités qui vont être collaboratives, quelquefois individuelles, des moments de restitutions notamment orales.

Pour donner un exemple, je vais cette fois-ci vous parler de mes cinquièmes. Les cinquièmes ont fait une séquence sur les Grandes Découvertes, et mon but, à la fin de la séquence, c’était qu’ils écrivent à leur tour un récit de voyage pendant le cours. Donc, pour les préparer, j’ai mis en place ce qu’on appelle une tâche complexe. J’ai passé une commande, et cette commande consistait à leur dire que j’étais une éditrice de carnets de voyage et que j’avais besoin, pour une prochaine édition, de petits exemplaires de carnets de voyage. Donc j’avais la commande.

J’avais également le support – je leur avais préparé un support, parce que j’aime beaucoup travailler sur des supports d’écriture un peu différents que la copie institutionnelle, qui fait trop penser à l’évaluation. J’avais affiché sur les vitres de la salle – parce que j’utilise beaucoup les surfaces vitrées – des questions : « Quel est ton moyen de transport ? » « Quelle serait ta quête ? » « Quel serait le lieu ? », etc. Et au fur et à mesure, les élèves passaient, ils notaient [au tableau]. Et puis, au bout de 10 minutes, ils passaient à un autre tableau et ils venaient prendre connaissance des propositions des autres. Et ça permettait bien sûr d’avoir une collaboration, organisée, certes, mais très productive, parce qu’ils avaient une vision de l’ensemble des projets. À partir de là, ils sont partis dans une posture beaucoup plus individuelle, avec des écrits, avec un parcours en plan de travail où ils ont pu construire ce récit jusqu’à l’aboutissement.

Pour résumer, la motivation, chez moi, c’est deux choses. C’est mettre en activité et susciter l’intérêt des élèves avant la séance. Et enfin, puisque je ne sais pas compter, je vous en ai annoncé deux et j’en mettrais une troisième. C’est, évidemment, développer le plus possible la créativité. Et on ne développe la créativité chez les élèves que quand nous-mêmes, enseignants, laissons échapper la nôtre.

Je suis en perpétuel mouvement. Je suis une créative frustrée, je pense que j’aurais aimé être artiste, mais comme je n’avais aucun talent, la seule façon d’exercer ma créativité, c’est de la développer chez les enfants. Et j’ai réussi à comprendre que dans ce métier, malheureusement pour moi, tous les ans je vieillis, tous les ans, j’ai un an de plus, alors que j’ai des enfants qui ont toujours le même âge et qu’il était nécessaire de mettre en mouvement – ce que je disais tout à l’heure – mon cerveau, pour que je puisse m’adapter aussi aux contextes qui évoluent.