À l'ère des fake news et des théories complotistes qui remettent en question les savoirs et les connaissances, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) apparaît plus que jamais nécessaire auprès des élèves. Comment exercer sa citoyenneté sans esprit critique ? Comment faire société si les valeurs de la République ne sont plus partagées ? À ces interrogations, Elena Pavel, professeure d’histoire-géographie dans un collège de REP+ à Paris, nous propose une réponse : la classe médias. Pour Extra classe, elle raconte son expérience en matière de conduite de classe médias et nous donne des clés pour réussir, quels que soient la discipline et le lieu où l'on enseigne.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Luc Taramini

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Bonjour, je m’appelle Elena Pavel, je suis professeure d’histoire-géographie au collège Georges-Rouault, en REP+, dans le 19ᵉ arrondissement.

Les premières années, avec ma collègue, on a monté des séances autour de la découverte des médias notamment, et beaucoup de la presse. Et on était, disons, dans un enseignement plus classique et plus neutre. Et après les attentats de 2015, en fait, il a fallu répondre à la défiance des élèves, à la remise en question des faits et à tout ce basculement un petit peu dans la contestation des informations – parfois des valeurs de la République, effectivement –et renouer un peu avec cette espèce de confiance [pour] comprendre que les médias sont là pour nous informer et pas pour nous influencer. Et il a fallu éduquer nos élèves aux pratiques médiatiques en fait.

Déjà, il a fallu leur expliquer, par exemple, que les dessins diffusés par Charlie Hebdo, ou les caricatures, ne visaient pas les musulmans, mais la politique d’un État religieux – ce qui est autorisé en France par exemple, alors que l’attaque d’un croyant n’est pas autorisée. Déjà, il a fallu rétablir ces faits. Ensuite, quand il y a eu l’arrestation des différents terroristes, il y a eu beaucoup de rumeurs avec l’histoire de la carte d’identité, du rétroviseur. Donc il a fallu aussi, ici, reprendre les faits. En fait, on s’est rendu compte en échangeant avec nos élèves qu’ils avaient une vision complètement tronquée de ce qui s’était passé pendant les attentats et surtout, sur la cause des attentats.

Face à cette nécessité de faire de l’EMI [éducation aux médias et à l’information] autrement, avec ma collègue, on a décidé d’investir davantage le champ des classes médias et donc, on a ouvert deux classes médias au collège Georges-Rouault, qui touchent chaque année une cinquantaine d’élèves. Et dans ces classes médias, on a mis en place des rituels, déjà, qui permettent chaque semaine de détricoter les infox et de faire le point sur les informations. Et ensuite, on a des projets au long cours qui permettent d’ouvrir les élèves – tout en les formant – à la pratique médiatique, de les rendre créateurs d’un média. Ça, c’est incontournable en fait, il faut que vos élèves créent un média. Ça, c’est une des clés de la réussite. Et on a créé, dans la classe médias en tout cas, un espace d’échange et de confiance sur l’actualité avec les élèves, dans lequel ils vont pouvoir nous poser toutes les questions. Toutes les questions, souvent, qu’ils ne peuvent pas poser à la maison, qu’ils n’ont pas le temps de poser dans les autres cours… Par exemple, tout ce qui est « actualité scientifique ». Les collègues de SVT n’ont pas toujours le temps de répondre aux questions et parfois, elles ne sont pas vraiment dans les programmes… Et donc toutes ces questions vont pouvoir être abordées lors de la classe médias.

L’intérêt de la classe médias, c’est aussi de fonctionner sur une pédagogie de projet qui fait que, à la fin de l’année, vos élèves auront réalisé, chacun à sa mesure, un média. Par exemple, une année, avec ma collègue, on a créé un journal écrit sur le Liban. On a travaillé avec une association, Globe Reporters, qui avait envoyé pour nous des reporters interviewer des gens au Liban. Les questions avaient été rédigées par les élèves et ensuite, les élèves en ont fait un journal papier et un blog. On travaille aussi depuis 2015 avec France Inter, puisque le collège Georges-Rouault est le collège parisien partenaire d’Interclass’ [émission de podcasts réalisés avec des collégiens et lycéens]. Et donc, chaque année, nos élèves réalisent des reportages pour Interclass’.

L’avantage de s’inscrire dans ce dispositif des classes médias, c’est d’être accompagnés par le CLÉMI [Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information] pour les démarches auprès des médias, pour les rencontres. Et le CLÉMI fait un véritable effort sur les offres de formation surtout. Puisque beaucoup d’enseignants sont très ouverts sur les médias, lisent beaucoup sur les réseaux sociaux, s’informent énormément... Après, ce n’est pas parce que vous lisez la presse que vous pouvez faire forcément une bonne classe médias. Vous avez besoin d’aide. Et là, on va aller chercher des experts, ce sont les journalistes – qui ne peuvent pas remplacer les enseignants, attention. Donc en fait, il faut créer un duo assez dynamique entre un journaliste, qui pourrait parrainer, ou un média et un enseignant. C’est vraiment une coconstruction d’une progression annuelle. Et après, vous pouvez éventuellement ponctuer avec des visites de lieux, mais pas forcément. Vous avez beaucoup d’associations. Il y a beaucoup de choses qui se font aussi en distanciel maintenant, heureusement. Et donc, il n’y a pas forcément besoin d’être à Paris pour avoir une bonne classe médias. Et dans le cas de la province, par exemple, vous avez tout le réseau de France Bleu qui est extrêmement disponible. Et de plus en plus de journalistes, notamment au CLÉMI, proposent leurs services, bénévolement, pour accompagner ou parrainer une classe médias.

Dans le cas des élèves de REP+, le bénéfice est double. Le premier déjà, c’est de leur faire rencontrer des gens qu’ils ne rencontreraient jamais par ailleurs ; qui, pour la plupart, ne leur ressemblent pas et qu’ils ne croisent jamais dans leur quartier. Ça permet de leur donner des idées de métiers, par exemple en visitant la Maison de la radio – puisqu’on a aussi d’excellents élèves à Georges-Rouault, qui vont aller nourrir des lycées d’excellence. Et deuxième bénéfice aussi, c’est l’investissement que ça va susciter chez eux. Et on a remarqué avec ma collègue qu’on a très peu d’absentéistes, en fait. Je vous donne un exemple sur Interclass’ : l’année dernière, on a enregistré l’émission après le brevet des élèves, après la fin des cours. Donc, les élèves, en termes de notes, n’avaient plus rien à y gagner. Et sur 22 élèves, il y en avait 21 qui étaient présents pour l’enregistrement de l’émission. Donc, on a aussi un véritable intérêt ; et un intérêt pour des questions qui, d’habitude, les rebutent un petit peu. Ils vont souvent chercher des reportages un peu inattendus : sur l’homosexualité, le handicap, toute cette altérité vers laquelle ils ne sont pas forcément ouverts. L’an dernier, on a aussi une élève qui a fait une chronique très rigolote sur les LGBT. Et quand il a fallu jouer la saynète qui avait été écrite par l’élève, les garçons s’y sont prêtés – sachant que « homosexualité » et « garçon de 15 ans », ce n’est pas forcément une chose évidente. Et ça a donné un résultat à la fois très drôle et assez émouvant.

Il faut bien aussi comprendre que l’avantage des classes médias, c’est qu’il n’y a pas de programme figé, pas d’attentes figées et en fait, l’enseignement des classes médias va s’adapter à l’urgence de l’actualité ou aux grandes tendances. Et par exemple, depuis plusieurs années, on a de plus en plus de classes médias qui se tournent vers le journalisme scientifique. Et là, la crise du Covid, notamment, a forcé les enseignants à produire de nombreux podcasts. Il y a beaucoup de choses de qualité qui ont été produites ; par exemple, des petits podcasts sur les bienfaits de la vaccination. Alors l’idée, ce n’est pas de convaincre les élèves. En revanche, on peut leur proposer d’enquêter sur les faits, sur les sciences. Et l’idée, c’est quand même de lutter aussi contre les croyances, ici.

Notre plus belle réussite en classe médias, à moi et à ma binôme professeure-documentaliste, Mme Gramard… Par exemple, c’est, après de nombreuses séances à travailler, notamment sur Charlie Hebdo, suite à un partenariat… On avait une élève assez fermée à la question, qui a refusé de prendre part à toutes les activités qu’ont pu être proposées – d’analyse de l’image, de critique de la caricature – et qui, finalement, a passé une demi-heure à feuilleter Charlie Hebdo, lors de la dernière séance, à bloquer le journal qui devait tourner dans la classe – puisque tout le monde se demandait où était passé le journal et, en fait, on a fini par le comprendre quand on l’a entendu glousser de rire, dans son petit coin, derrière son rideau. Et voilà, elle a lu Charlie Hebdo, sans aucune critique ; elle a beaucoup ri et, quelque part, on a atteint notre objectif puisqu’elle a été éduquée aux médias et à la tolérance.