Au cirque Gruss, pendant que jongleurs, clowns ou dompteurs travaillent leurs numéros, l’éducation des enfants est entre de bonnes mains. Gilbert Gruss, fils de la fondatrice, Arlette, s’est démené pour obtenir de l’Éducation nationale la création d’un poste « itinérant », permettant à un ou une enseignante d’assurer une scolarité « presque » normale aux enfants de ses salariés durant les tournées. Sandrine Savajols a fait partie de ces enseignants et elle revient, pour Extra classe, sur son année de professeure nomade. Loin des clichés des enfants de la balle, découvrez les coulisses éducatives du monde circassien grâce au témoignage de cette enseignante.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Prise de son : Dominique Peyre

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Blaise Royer

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m’appelle Sandrine Savajols, je suis professeure des écoles depuis maintenant une bonne dizaine d’années.

J’ai un parcours un petit peu hétéroclite, c’est-à-dire que j’ai fait de l’enseignement ordinaire et, à l’heure actuelle, je suis dans l’enseignement spécialisé. Je suis en poste à Clermont-Ferrand dans un ITEP, un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique qui accueille des enfants présentant des troubles du comportement. Entre tout ça, j’ai fait une petite halte au cirque Arlette-Gruss, au sein d’une classe unique, itinérante.

Au sein des cirques ou tout simplement des familles itinérantes, l’enseignement peut se passer de différentes manières. La plupart du temps, les parents font appel au CNED [Centre national d’enseignement à distance] et donc font classe à leurs enfants. Ou bien alors ils font appel à un précepteur qui va faire classe aux enfants pendant quelques heures sur la journée.

Gilbert Gruss, c’est le directeur actuel du cirque Arlette-Gruss – et donc le fils d’Arlette qui a créé ce cirque il y a maintenant plusieurs années. C’est vrai qu’on peut se faire de nombreux clichés par rapport aux gens du voyage ou aux gens de l’itinérance. En fait, ce n’est pas du tout ça. Gilbert Gruss a décidé de monter le projet avec une enseignante – donc celle qui était avant moi –, [c’est-à-dire] de créer une classe qui allait suivre le cirque toute l’année afin que les enfants, du coup, puissent suivre une scolarité tout à fait normale.

Diriger un cirque, ce n’est pas seulement savoir faire des acrobaties ou jongler, mais c’est aussi avoir de vraies compétences scolaires, savoir parler correctement, savoir écrire, monter des projets, calculer les coûts d’un cirque. Donc, les enfants ont aussi besoin d’apprentissages solides.

C’était une classe unique, comme on peut en rencontrer dans les campagnes. J’accueille des enfants qui avaient entre deux et douze ans, des enfants de diverses nationalités : donc ça pouvait être des Tchèques, des Italiens, j’avais des Cubains, des Polonais. Il pouvait y avoir jusqu’à une dizaine de nationalités différentes sur la classe. Ils sont habitués à communiquer entre eux et à ne pas forcément parler les mêmes langues.

Ce sont des enfants qui sont très, très débrouillards. Ils sont déjà habitués à vivre ensemble, on n’a pas forcément besoin de passer par l’étape « règle de vie dans une classe ». Donc, il n’y a pas de difficultés de discipline. On peut travailler à l’aide de plans de travail sans difficultés. Ils savent attendre leur tour.

Et puis surtout, ce sont des enfants très persévérants, parce que les disciplines du cirque demandent un certain apprentissage, une discipline. Et ces enfants-là, du coup, leurs parents leur apprennent ça. C’est-à-dire que pour jongler, il va falloir peut-être répéter 50 fois la même figure avant d’y arriver. Eh bien, là, c’est pareil en classe. Ils vont comprendre que l’apprentissage ne se fait pas du premier coup, mais qu’il va falloir s’entraîner et prendre le temps pour acquérir un apprentissage.

Cette vie d’enseignante nomade a quelques particularités. La première chose, c’est qu’on a une classe sur roues et la deuxième chose, c’est qu’on vit dans une caravane. On a une sorte de caravane de fonction.

Les jours de voyage, en fait, on part à 5 heures du matin pour aller sur l’autre tournée. Et bien sûr, ce jour-là, les enfants n’ont pas classe. Ça peut être un lundi, mardi, jeudi ; et donc on avait mis classe tous les mercredis pour pouvoir rattraper ces jours de voyage.

Lorsqu’il faut justement ranger notre classe pour voyager, il faut tout mettre dans les placards, fermer les placards à clé pour éviter de se retrouver avec le matériel et les feuilles par terre. Il faut savoir que les tables sont clouées au sol de manière qu’elles ne se déplacent pas pendant le voyage.

Une des autres particularités, c’est qu’on fait le tour de la France. On se retrouve un jour à faire classe à Nice, un autre jour à faire classe à Grenoble. Notre cour de récréation évolue au fur et à mesure des villes où on est. Donc, ça peut être un parc, ça peut être un parking… Si on parle de la Joconde en histoire de l’art, eh bien, lorsqu’on sera à Paris, on pourra aller au Louvre voir la Joconde. Suivant les voyages qu’on fait, on peut aller voir les différents reliefs de la France et donc ça donne vraiment du sens aux apprentissages pour les enfants.

Moi, je suis originaire de l’Aubrac et lorsque je suis arrivée au cirque, il y a une école de l’Aubrac qui m’a contactée et qui m’a dit : « Voilà, notre projet de l’année, c’est le cirque, et on aimerait profiter de ton expérience au sein du cirque pour pouvoir faire des choses. » Du coup, on a monté un projet avec cette école de l’Aubrac et le cirque.

L’école de l’Aubrac a pu venir nous rejoindre à Bordeaux, après un projet qui a été longuement mené. Les deux points qu’on avait retenus ? C’était de pouvoir parler des métiers : pour mes élèves, des métiers du cirque ; pour les enfants de l’Aubrac, des métiers que l’on rencontre plutôt en Aubrac. On avait des enfants qui nous présentaient des métiers d’agriculteur, de couvreur, d’artisans divers et variés. Et puis mes élèves, du coup, ont présenté à travers un livre les métiers de jongleur, de clown, etc.

Et puis, l’autre point qu’on avait retenu, c’était la différence entre la vie nomade et la vie sédentaire. Donc, ces enfants de l’école de l’Aubrac ont pu nous rejoindre ; ils ont pu du coup bénéficier, grâce aux parents du cirque, d’ateliers de cirque, découvrir les animaux du cirque. Et les enfants de l’Aubrac de nous faire découvrir les vaches de l’Aubrac, les moutons, qu’on ne rencontre pas forcément au cirque. Donc c’était un vrai échange d’enfants sédentaires et ruraux et d’enfants circassiens et nomades.

C’est sûr qu’enseigner au sein du cirque Arlette-Gruss, ça demande une certaine adaptabilité, une adaptabilité en termes de lieux. C’est-à-dire que, par exemple, on est dans une classe qui est un petit peu plus petite. Il faut pouvoir trouver un espace pour chacun. Il faut s’adapter en faisant le sport au sein du chapiteau avec les enfants, par exemple. Donc, tout ce qui était motricité, on le fait au sein du chapiteau et on cale nos heures de motricité en fonction des répétitions des artistes.

Et puis, ça demande du coup une grande préparation puisqu’on a tous les niveaux de classe. Et surtout, on individualise le travail, parce qu’on a des enfants, effectivement, qui ont des parcours scolaires très différents. Donc, chaque enfant a un projet, un parcours personnalisé sur la journée. Ce qui n’empêche absolument pas d’avoir plein de projets communs et de moments collectifs au sein de la classe. Donc, je pense que c’est ce qui m’a un petit peu poussée à aller vers l’enseignement spécialisé, où on retrouve cette spécificité, où l’on enseigne de manière assez individualisée à chaque enfant.