Nadège Riocreux et Alexandre Dubreu sont enseignants en UPE2A à Lens, respectivement en collège et en lycée professionnel. Leur métier consiste à transmettre l’usage de la langue française à des élèves non-francophones, tout en n’oblitérant pas la présence des langues maternelles qu’ils considèrent être une richesse tant sur le plan cognitif que culturel.

Ils ont donc réfléchi à la façon dont ils pourraient à la fois travailler le français tout en mettant en valeur les différentes langues d’origines. Ainsi est né « Entre deux langues », un projet culturel bilingue multipartenarial qui a conduit une vingtaine de jeunes allophones de 12 à 18 ans à écrire, dessiner et enfin dire devant un public sur une scène de théâtre les textes issus de leur composition.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je suis Nadège Riocreux, enseignante en UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) au collège Jean-Zay de Lens (62). Dans ce dispositif, on accueille des élèves qui viennent d'arriver en France.

J'ai la chance d'avoir à côté de mon collège un établissement, le lycée Béhal, où mon collègue Alexandre Dubreu s'occupe de l'UPE2A à destination des lycéens de 16 à 18 ans. Je suis arrivée au collège Jean-Zay il y a quinze ans. J'ai découvert complètement par hasard le dispositif UPE2A et ça m'a tout de suite intéressée parce que c'est une énorme richesse. Je dis toujours que les élèves m'apprennent plus que ce que je leur apprends parce que grâce à eux je découvre des langues, des pays, des cultures. Je redécouvre aussi ma langue, ma culture en la voyant à travers leurs regards et un regard neuf. Et c'est très valorisant parce qu'on les voit progresser, on les voit motivés, on les voit s'épanouir et ce sont des belles rencontres.

L'année dernière, nous avons répondu à un appel à projets DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) pour mener à bien un projet appelé « Entre deux langues ». C'est parti d'une proposition de Culture commune, scène culturelle du bassin minier, qui nous a proposé de travailler avec une artiste, Anne-Marie Marques, autour d'un spectacle qu'elle avait créé et qui portait sur la question des langues d'origine et de l'accueil de personnes migrantes sur le territoire français. Ensuite s’est greffée Anne Lutaud, écrivaine, qui est venue animer des ateliers d'écriture non seulement avec nos élèves, les jeunes, mais également avec les parents, dans le cadre d'un dispositif qui s'appelle OEPRE (Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants). Ces parents et ces jeunes ont pu ensuite illustrer leur propos en participant à des ateliers d'illustration et d'arts visuels avec Odile Santi. Ça a permis à la fin que chacun reparte avec un petit livret, imprimé dans une belle édition en couleurs, qui regroupe l'ensemble des textes et l'ensemble des illustrations.

On était un peu agacés par l'idée, [par] les stéréotypes – malheureusement qu'on entend souvent, y compris dans l'Éducation nationale –, qu'il faudrait oublier sa langue d'origine pour bien parler français. Par exemple, on entend des fois des gens dire : « Mais c'est normal qu'ils ne progressent pas en français, ils continuent à parler leur langue à la maison. » Et nous, on dit : « Oui. Heureusement. Il faut continuer à parler à sa langue. Et cette diversité de langues, ce n'est pas un handicap. C'est au contraire une chance. » Et on voulait vraiment valoriser ça. Dans le même temps – puisque ce n'est pas du tout opposé, au contraire –, si on continue de pratiquer et de maîtriser sa langue, ça permet d'apprendre plus facilement et d'entrer avec beaucoup moins de violence et plus d'envie dans la langue française. D'autant plus si cette langue n'est pas que la langue de l'administratif, de l'école mais qu'elle est également une langue qui permet de dire l'intime, les émotions, le personnel et à la fois des choses très joyeuses – comme la joie de se retrouver ensemble entre collégiens, lycéens, de participer à un projet ou entre parents pour apprendre le français tous les jeudis après-midi –, ou des choses un peu plus difficiles, comme le déracinement, les premiers jours en France où on se retrouve seul dans la rue, dans le froid. Il faut vraiment pouvoir dire toute cette humanité-là dans toutes les langues.

Pour donner une idée de la richesse des illustrations, on peut prendre l'exemple d'un dessin qui a été réalisé par Blend, qui est arrivé d'Irak il y a quelques années, et qui racontait dans son texte qu'à son arrivée en France, à Calais, il aimait bien passer du temps sur la plage, à regarder les bateaux passer au loin. Il a choisi, au cours de l’atelier d'illustration justement, de dessiner un bateau. Mais pas n'importe quel bateau puisqu'il a choisi le Titanic, qu'il a dessiné fonçant tout droit sur l'iceberg. Mais le drame n'est pas encore là ! Le Titanic a toutes ses lumières allumées, il se détache sur le fond étoilé de la nuit. On ne peut pas s'empêcher de faire un lien entre l'histoire de Blend, qui a traversé la Méditerranée comme beaucoup d'autres de nos élèves, et l'histoire tragique du Titanic. Même si là, ce n’est jamais dit, c'est toujours implicite et c'est montré avec beaucoup de joie. Il y a aussi toutes ces choses-là, tous ces non-dits, tous ces implicites qu'il faut décoder ou pas, et qui permettent de dire ou de suggérer les histoires de chacun avec pudeur.

On peut maintenant écouter la voix d'un élève qui va nous lire son texte, Faniel qui vient d'Érythrée, et ensuite la voix d'Alexandre qui va nous expliquer pourquoi il a choisi ce texte :

« FANIEL : Il faisait très chaud dans mon jardin. J’ai ramassé des figues de Barbarie. J'ai mangé avec ma mère. Dans les figues de Barbarie, il y a des piquants, ils sont entrés dans mes yeux. Il y a du sucre. Ça glisse dans ma bouche. C'est dans mon jardin. Là-bas, j’avais… »

ALEXANDRE : Ce sont des petites choses qui ne sont pas trop massives. Là, on est resté vraiment sur des choses comme l’association de la figue de Barbarie, le toucher, la chaleur du soleil. Des petites choses de la vie finalement, qu'on peut réussir à partager sans qu'il y ait une douleur trop forte qui pourrait être la douleur de l'exil, par exemple. »

[Fin de l’extrait]

Le projet a permis beaucoup de choses. De débloquer, notamment, beaucoup de situations, que ce soit par rapport à l'écriture avec les élèves ou les parents, pour qui l'expression écrite était quelque chose qui n'était pas pour eux parce que c'est trop dur, parce qu’ils ne savent pas. De leur dire : « Même si tu ne sais pas, on va t'aider, on va faire avec toi, on va taper ensemble à l'ordinateur ou même on va écrire à ta place si besoin. » De travailler avec une auteure, de travailler avec d'autres personnes, ça a vraiment permis de ne plus avoir cette peur de l'écrit. Également de ne pas avoir peur de s'exprimer à l'oral puisque, s'exprimer à l'oral c'est une chose, mais s'exprimer sur une scène nationale et devant un public, c'est une autre chose.

Le jour de la représentation, on a remis à tous les participants – donc les jeunes comme les parents –, les livrets qu'ils avaient réalisés ensemble. Ça a été vraiment un beau moment puisqu'on a pu voir vraiment la fierté dans leurs yeux et, pour certains, une fierté supplémentaire puisqu'il y avait l'obtention de leur diplôme du DELF, le diplôme d'études en langue française. C’était vraiment un grand moment. Et ils nous ont fait la surprise de venir en masse avec leurs familles et leurs enfants. C'est un beau moment, joyeux, festif et de rencontres entre différentes générations. Ça permettait vraiment de les mettre en valeur et de dire qu'ils avaient toute leur place ici et que leurs paroles avaient leur place, qu'elles pouvaient, qu'elles devaient être entendues, qu'on pouvait voir qui ils étaient, voir ce qu'ils avaient dessiné et voir ce qu'ils avaient à nous dire.