Comment rendre explicite l’apprentissage du français à des collégiens en REP+ ? C'est l’objectif de l’option lettres-design mise en place au collège Jules-Verne à Nîmes. Sabrina Lepiller, enseignante de lettres modernes, coenseigne cette option grâce à l’intervention d’une designer professionnelle et a repensé sa pédagogie en permettant aux élèves de rendre compte de leurs lectures d’une autre manière. Il s’agit de faire dialoguer la création littéraire avec la création des élèves et, ainsi, les encourager à s'intéresser à la discipline. Cet épisode vise à mieux cerner la notion de design au collège et ses enjeux pédagogiques. 


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


Retrouvez-nous sur :

Extraclasse.reseau-canope.fr

Apple Podcasts

Spotify

Deezer

Google Podcasts

Podcast Addict


Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée par : Fabienne Souchet et Jean-Paul Fillit

Réalisée par : Jean-Paul Fillit

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Magali Devance

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je suis Sabrina Lepiller, enseignante de français en REP+ depuis quatorze ans, cinq ans en région parisienne, dans le 93, et neuf ans maintenant à Jules-Verne, à Nîmes.

C’est un choix de ma part de travailler en REP+. J’ai trouvé dans ce genre d’établissement une source vraiment enrichissante pour réfléchir à mon métier et au sens que je pouvais lui donner. L’option Design a été mise en place il y a quatre ans par la rectrice de l’académie elle-même, qui a chargé monsieur Lagarrigue, inspecteur d’arts appliqués à Toulouse, de sa mise en place. Il a donc sollicité Lucille Mousson, qui est une designer professionnelle et qui n’était pas du tout enseignante à la base. Moi-même, ayant fait des études d’art en parallèle de mes études de littérature, j’ai toujours accordé une place importante à ce domaine dans ma pratique. Le courant est tout de suite passé et on a su vraiment conjuguer, tout au long de ces années, ses idées créatrices avec mon expérience pédagogique.

En fait, le projet est parti du constat des difficultés de nos élèves en établissement REP+. Premièrement, ils lisent très peu en fait, par manque d’habitude, tout simplement, dans leur quotidien. Ensuite, ils ont de grandes difficultés de compréhension, liées notamment à la faiblesse de leur vocabulaire et surtout au caractère très abstrait, très imagé de cette matière – le français –, très loin de leurs réalités quotidiennes, tout simplement. Et enfin, ils ont de grandes difficultés à reformuler leurs idées, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Et ce lien entre le design et le français nous a tout de suite paru un moyen, justement, de réfléchir à ces soucis. Les élèves ont deux heures par semaine, dont une en coenseignement lors de laquelle je rejoins Lucille Mousson, la designer, pour faire cours.

[Extrait d’un cours en coenseignement avec Lucille Mousson]

« LUCILLE MOUSSON : Aujourd’hui, on reprend le travail. En tant qu’option Design, on est chargé de faire des propositions d’aménagement. Donc on a fait un cahier d’idées, vous vous souvenez, à partir de photos qui nous ont inspirés, on a commencé à repérer des matériaux. Qui est-ce qui peut me dire avec quel matériel, quel support on va travailler ?

UN ÉLÈVE : Avec le carton plume. En fait, on va d’abord tracer dessus les choses qu’on va découper par rapport aux maquettes et après, quand on aura tracé au crayon les maquettes, on va les découper. »

[Fin de l’extrait]

Le dispositif peut se faire de différentes façons : soit je parle pendant que Lucille circule pour aider les élèves – ou vice versa, tout dépend de l’approche que l’on veut donner à la séance ; soit nous intervenons et circulons toutes les deux en classe entière, ou en groupe de niveaux également – pour permettre la différenciation et aider les élèves un peu plus en difficulté – ou enfin, en atelier, lors des pratiques manuelles telles que la couture, la pyroscie, le modelage ou encore le moulage.

[Extrait d’un cours en coenseignement avec Lucille Mousson]

« LUCILLE MOUSSON : La chose la plus importante, c’est la sécurité.

UNE ÉLÈVE : Oui, c’est les doigts en arrière. J’ai entendu ce que vous avez déjà dit à [une autre élève].

LUCILLE MOUSSON : Tu mets bien tes doigts ici. Tu appuies sur la règle. Par contre, le cutter, il est très léger, comme une plume, d’accord ? Tu ne cherches pas à traverser la matière du premier coup. Tu fais plusieurs passages très légers [bruit du cutter qui glisse sur le carton plume]. »

[Fin de l’extrait]

On a pu constater plusieurs bienfaits liés à ce coenseignement et à ce projet. Tout d’abord pour les élèves. Alors… Ils ont vraiment pu améliorer leurs relations sociales, souvent tendues dans les établissements REP+, en travaillant justement le collectif et en créant des moments de calme et de concentration, lors notamment des productions manuelles. La couture, par exemple, avait été un moment particulièrement agréable car moi-même j’ai pu coudre avec eux. Et cet atelier a été vraiment propice au calme et aux confidences aussi, sur leur vie, hors et dans le collège. Deuxièmement, ce projet a permis d’enrichir leur culture, de leur faire découvrir de nouvelles choses sans s’apercevoir, parfois, qu’ils travaillaient eux-mêmes leurs compétences langagières. J’ai pu constater aussi les bienfaits de ce projet en travaillant en parallèle la même œuvre, Alice au pays des merveilles [Lewis Carroll], dans une classe de 5e sans option et dans la classe option Design. Et en faisant ce travail, je me suis vraiment rendu compte, en fait, que le rapport à l’objet a amélioré véritablement la compréhension qu’ils avaient du texte. Déjà, ils ont lu l’œuvre avec un autre regard – ils ont lu l’œuvre. Et le fait de devoir mettre des images et des matériaux sur des idées leur a permis véritablement de comprendre le sens profond de l’œuvre. Alors que dans une classe lambda, sans option, la simple lecture-compréhension de l’œuvre a été plus délicate.

[Extrait d’un cours en coenseignement avec Lucille Mousson]

« UNE ÉLÈVE : On est allés au FabLab et donc c’est leur machine qui a découpé sur de la feutrine au millimètre près. Et ensuite, on l’a mis sur les luminaires et donc ça faisait une décoration sur la végétation. Et toi, c’est quoi ça ? 

UN ÉLÈVE : Moi en fait, c’est avec du papier. Par exemple comme ça, on peut réaliser des objets. Par exemple, là, on a réalisé des chapeaux. »

[Fin de l’extrait]

En ce qui me concerne, ce travail m’a apporté aussi beaucoup, d’un point de vue personnel. Il a fait évoluer ma pédagogie en acceptant le regard des autres grâce au coenseignement, qui est difficilement accepté aussi par les enseignants – c’est difficile, en fait, d’avoir le jugement d’un pair sur sa pratique. Et surtout, cela m’a permis de créer un lien nouveau avec les élèves, un lien beaucoup plus proche, et de les connaître beaucoup mieux. Alors je me rappelle d’un projet oral que l’on avait fait autour du pouvoir narratologique de l’objet, notamment autour du texte de « la madeleine » de Proust [À la recherche du temps perdu, 1. Du côté de chez Swan]. Les élèves devaient rapporter un objet qui leur rappelait un moment important. Et je me rappelle d’un élève qui était arrivé en France l’année d’avant et qui donc parlait très difficilement français. Et il a ramené une petite tour Eiffel. Quand il a présenté cet objet, on sentait son émotion et cela nous a permis de comprendre les difficultés qu’il ressentait : d’être loin de chez lui et la barrière de la langue qui, dans les relations à l’autre, pouvait être très compliquée. Et pour vous montrer le bienfait de cette option, qui lui a permis de s’épanouir : aujourd’hui, il est donc en 3e, trois ans après, et il est PDG de la mini-entreprise qui est créée en classe de 3e avec la designer, et cela lui a vraiment permis de trouver sa place au sein de la classe.

Et surtout, je dirais, le moment le plus enrichissant pour nous, ce sont les vernissages d’expositions en fin d’année. Les familles sont invitées en fin d’année pour découvrir le travail de leurs enfants entrepris tout au long de l’année. Il s’agit véritablement d’un moment de partage et c’est toujours gratifiant quand les familles viennent et vous remercient, tout simplement, d’avoir apporté autant à leurs enfants et de nous rappeler, en fait, tout ce qu’ils ont pu apprendre eux-mêmes à travers ce que leurs propres enfants ont pu apprendre.

[Extrait d’un cours en coenseignement avec Lucille Mousson]

« UN ÉLÈVE : Madame, j’ai terminé du coup. Le mien, il est découpé.

LUCILLE MOUSSON : Ton nom, il faut qu’il soit bien identifié. Tu commences à faire le tracé du plan dessus.

L’ÉLÈVE : D’accord. »

[Fin de l’extrait]

Aujourd’hui, j’ai le projet de poursuivre ma carrière en lycée et j’aimerais vraiment adapter ce projet à la filière STMG [Sciences et technologies du management et de la gestion], donnant à nouveau une dimension encore plus concrète je dirais, professionnelle, aux lettres.