L’ERPD (école régionale du premier degré) Louis-Pergaud à Barentin (76) n’est pas une école comme les autres : il n'y a pas uniquement des élèves du premier degré et c'est un internat d'excellence qui accueille des enfants issus de familles de forains et de bateliers. C’est dans ce lieu particulier que Claire Mahlstedt, enseignante spécialisée, a décidé de travailler depuis 2019. Si l’internat souffrait d’une mauvaise réputation à son arrivée, elle a su contribuer à changer cette image auprès des partenaires et des élèves eux-mêmes. Récit d'un pari réussi qui fait la part belle à la communication et à la co-intervention.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée par : Fanny Milhe Poutingon et Aurélie Dulin

Réalisée par : Fanny Milhe Poutingon

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Myriam Naciri

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m’appelle Claire Mahlstedt, je suis professeure des écoles spécialisée et je travaille depuis 2019 à l’ERPD Louis-Pergaud [à Barentin, en Seine-Maritime].

ERPD, ça veut dire « école régionale du premier degré ». C’est un internat pour accueillir des enfants non sédentaires, donc des forains et des bateliers. Et on accueille aussi, aujourd’hui, des enfants qui sont recrutés sur commission dans le cadre de l’internat de la réussite.

Ici, on accueille plus de forains que de bateliers, parce qu’on n’est pas très bien placés sur la Seine. En fait – c’est ce que [les bateliers] nous expliquent –, ils naviguent entre Le Havre et Paris. Et puis après, ils remontent vers les Pays-Bas. Et comme on est trop proches du Havre, ça leur fait beaucoup de route depuis l’endroit où la péniche est stationnée ou amarrée.

Après, pour les forains, [nous en avons] différents types : on en a qui ont vraiment des gros manèges et qui tournent sur des grosses foires en région parisienne, et [d’autres] qui ont des plus petits manèges et qui tournent sur des foires de village. Et, en général, on a des fratries – beaucoup. Quand il y en a un qui arrive à l’internat, tous viennent. Et pour certains d’entre eux, les parents étaient déjà là. Donc, il y a un côté un peu familial et il y a une attache de la part des parents et puis des enfants. Et on sait que, certainement, les enfants de certains de nos élèves actuels viendront à Pergaud dans quelques années.

[Enregistrement en extérieur]

Donc là, on est dans le parc de l’internat. Alors on voit trois bâtiments majeurs, qui appartiennent toujours à l’ERPD. On a un bâtiment administratif avec le bureau du directeur, de la gestionnaire, etc. On a le bâtiment restauration, qui est face à nous. Et puis on a le bâtiment d’internat à proprement parler, avec les études et le foyer au rez-de-chaussée, puis les dortoirs des filles et des garçons.

C’est une école qui est quand même très grande, pour une cinquantaine d’élèves, il y a beaucoup d’espace. À la création de l’internat, il y avait 400 élèves ; il y avait aussi les deux bâtiments qu’on voit là, qui sont aujourd’hui l’école de musique et le Greta. Ils n’appartiennent plus à l’ERPD mais ils appartiennent au même ensemble architectural. On voit que ce sont des bâtiments qui sont construits de la même manière.

[Fin de l’enregistrement]

Moi, je suis professeure des écoles depuis 2010. Alors, ça s’entend peut-être [Claire Mahlstedt a un fort accent méridional], je ne suis pas normande, je viens du Sud-Ouest. J’ai donc commencé ma carrière dans [l’enseignement] spécialisé dans un IME, sur la côte landaise. IME, c’est « institut médico-éducatif ». Ensuite, je suis partie travailler en ITEP, donc « institut thérapeutique, éducatif et pédagogique » et puis, suite à un rapprochement de conjoint, je suis arrivée en Normandie en 2019 et sur la liste des postes à profil, j’ai vu ce poste-là qui m’a intriguée.

J’ai donc appelé le directeur de l’époque pour avoir quelques renseignements. J’ai candidaté, j’ai passé l’entretien et puis j’ai eu la chance d’être recrutée. Alors, mes missions, il y en a trois, essentiellement. Donc la première, c’est vraiment l’organisation des études, l’aide aux devoirs, le fait de créer le cadre le plus propice aux apprentissages. La deuxième, c’est tout le partenariat avec les familles, faire le lien entre les familles et l’école. En fait, l’idée, c’est d’être un rouage et de faciliter le lien entre les deux. Et puis après, il y a tout un aspect autour des activités du mercredi, pour aider à ouvrir culturellement, à proposer une ouverture culturelle, oui, et puis des activités diverses et variées.

[Enregistrement en extérieur]

Alors là, nous sommes au niveau des carrés potagers. C’est un projet qui est mené avec les élèves le mercredi après-midi. Et donc, il y a différentes choses qui ont été plantées. Là, on voit de la rhubarbe, là, il y a des fraisiers, framboisiers. Là-bas, il y a des aromatiques, des salades, des radis. Et donc l’objectif, c’est que les élèves qui ont participé au projet repartent dans les familles avec un petit panier. Voilà. Et puis, il y a une deuxième utilisation. C’est que dans la cuisine pédagogique, on leur propose des ateliers de création, et notamment un concours « Top Chef » où il y a un thème imposé par équipes de deux – ils doivent réaliser un plat. Et là, l’idée, c’est de leur donner des thèmes comme « la menthe », « la rhubarbe », pour cuisiner des choses qu’ils ont eux-mêmes fait pousser.

[Fin de l’enregistrement]

Alors, Pergaud souffre d’une mauvaise réputation qui n’est pas justifiée. En fait, il faut remonter un petit peu dans l’histoire pour comprendre pourquoi on a cette réputation-là. C’était un très gros internat quand il a été créé, il y a eu jusqu’à 400 élèves. La scolarité était encore en internat et il y avait beaucoup de forains et de bateliers. Et puis, au fil des années, le nombre d’élèves a baissé, jusqu’à tomber à 30 élèves en 2016. Là, la scolarité se faisait déjà en externe, il n’y avait plus de classes [en internat] dans l’établissement. Et en fait, beaucoup d’enfants ont été recrutés pour faire revivre l’internat, mais avec des difficultés sociales et des problèmes scolaires importants. Et donc, voilà, qui dit difficultés sociales [dit] problèmes de gestion de l’humeur, et tout ça, ça crée des tensions dans les classes. Et donc, on a quand même été catalogué avec une mauvaise réputation. Et ça a été difficile de découvrir ça en arrivant parce que vous, vous ne connaissez personne, vous n’y êtes pour rien. Et quand vous rencontrez des établissements partenaires, on vous renvoie une image un peu négative de l’établissement. Mais moi, mon rôle, et celui de la directrice précédente, c’était vraiment d’essayer de travailler sur la représentation que les établissements partenaires avaient de Pergaud.

Et donc, il y avait deux volets. Il y avait d’une part la communication institutionnelle. Là, c’est la directrice qui travaillait là-dessus, avec la création d’un site internet, un compte Twitter… Et moi, j’ai fait un gros travail auprès des établissements partenaires, et des professeurs notamment. Alors, avec le premier degré, ça s’est fait naturellement, parce qu’on a une fibre commune. Moi, je viens du premier degré, c’était donc facile. Pour les collèges, c’est un peu plus compliqué. Il a fallu prendre le temps de connaître des gens, beaucoup de communication. Je leur écris en début d’année, je me présente et après, je n’hésite pas à écrire très régulièrement et à faire part de mes difficultés, parce qu’il y en a – un ado à mettre au travail après les cours, ce n’est pas toujours facile – et du coup, ça apaise vraiment les relations. Quand ils voient qu’on fait ce qu’on peut mais qu’on n’a pas de… moi, je n’ai pas de baguette magique, malheureusement ! Et puis j’ai créé des relations plus personnelles avec certains professeurs, que je connais pas mal maintenant, et la co-intervention qui commençait dans le primaire va pouvoir commencer aussi dans le second degré.

Je pense notamment à une collègue de français qui a accepté qu’on mette en place quelque chose, qui se fait beaucoup dans le primaire, ce sont des ceintures de conjugaison : l’élève avance, il a son programme individualisé et il avance petit à petit. C’est quelque chose qui ne se faisait pas du tout en sixième. Et puis avec le confinement, en fait, il y a eu de telles difficultés qui sont apparues chez les sixièmes… Ils ont un niveau plus faible que les sixièmes d’il y a deux ans, parce qu’il y a quand même eu deux années très creuses. Et voilà, la professeure a accepté. Donc, on travaille en lien, on a fait un programme, elle fait telle chose en classe, elle fait telle chose avec moi. Donc ça, c’est vraiment une belle réussite et je suis contente de ça.

[Extrait d’un dialogue avec une élève]

« MAËLLY : Madame.

CLAIRE MAHLSTEDT : Oui.

MAËLLY : J’ai eu les résultats de mon brevet de maths.

CLAIRE MAHLSTEDT : Alors ?

MAËLLY : 53 sur 100, Madame.

CLAIRE MAHLSTEDT : 53 sur 100 ? Mais c’est super et tu m’avais dit que tu n’avais rien fait ? Tu as eu la moyenne !

MAËLLY : Ben, je n’ai presque rien fait…

CLAIRE MAHLSTEDT : Bon. Et ça veut dire que le reste, tu vas avoir encore des meilleures notes parce que tu avais fait plein de trucs ? C’est bien, Maëlly. Je te fais le programme de révisions pour le brevet à partir de ce que m’a envoyé la collègue de Segpa [section d’enseignement général et professionnel adapté], ok ? Parce que là, l’objectif, si tu as eu 50 en n’ayant pas trop réussi, tu vas pouvoir choper un 70 ou 80 ?

MAËLLY : Je pensais que j’avais tout fait mal.

CLAIRE MAHLSTEDT : Comme quoi ! En révisant, ça va être encore mieux.

[Fin de l’extrait]

Ça va être ma quatrième rentrée, en 2022, et ça aussi, c’est confortable parce que voilà, il y a des choses qui sont installées. L’autorité est en place. Avant que j’arrive, il y avait eu des changements de profs chaque année. Donc, c’est vrai que personne n’avait posé ses valises et du coup, c’est différent. Là, il y a vraiment une continuité. Ils connaissent le mode de fonctionnement, c’est ritualisé. Et même vis-à-vis des collègues partenaires, c’est important d’avoir un interlocuteur qui reste. Je ne ferai pas ma carrière ici mais en tout cas, j’ai à cœur que, quand je partirai, de laisser un internat qui tourne, des études qui fonctionnent. Et puis une image qui n’est plus celle qu’elle était. Et puis, si j’obtiens ça, je me dis que mon passage n’aura pas été inutile à l’internat.