Comment réussir à apprendre à des élèves en grande difficulté ? Catherine Goût-Kravtchenko est, depuis 2009, directrice de Segpa dans le 94. Séduite par l’organisation de cette filière spécifique, qui permet de mettre en place des projets au long cours et d'apprendre autrement, elle a déjà réalisé avec ses élèves un documentaire, monté un spectacle sur les planches de l’Opéra de Paris, organisé des cours de cuisine avec un ancien lauréat de Top Chef… Cette année, elle emmène la classe de 5e dans une ferme de maraîchage bio tous les mois. Accompagnés de Cécile, la maraîchère, et de Thomas, leur enseignant spécialisé, les élèves découvrent un environnement très éloigné de leur quotidien urbanisé où ils développent de nouvelles compétences. Dans cet épisode, Catherine évoque son métier de directrice et brosse un portrait vivant des classes de Segpa pour lesquelles les préjugés sont encore tenaces.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Floriane Le Maître 

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Myriam Naciri

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m'appelle Catherine Goût, je suis directrice de Segpa [Section d'enseignement général et professionnel adapté] depuis 2009. Je travaille au collège Pierre-Brossolette de Villeneuve-Saint-Georges (94), au sein d'une cité (le Bois-Matar). C'est un collège REP.

[Extrait de consignes de l’équipe pédagogique aux élèves]

« THOMAS REY [enseignant spécialisé] : Vous prenez les sacs et on va vers la serre là-bas. Allez-y.

CATHERINE GOÛT : Un, deux, trois. »

[Fin de l’extrait]

En fait, je suis restée enseignante quelques années seulement. Ce qui m'intéressait, c'était les enfants qui apprenaient vraiment difficilement. En 2004, j'ai passé le Capsais [Certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d’adaptation et d’intégration scolaires] et j'ai travaillé en Ulis [Unité localisée pour l’inclusion scolaire], au collège. Ça a été une très belle expérience. Et ensuite on m'a demandé de prendre une direction de Segpa. Je me suis aperçue que la direction de Segpa, c’est toute l'organisation, mais on a la chance quand même d'être très en contact avec les élèves.

[Extrait d’une conversation entre des élèves et Cécile Némorin, maraîchère]

« CÉCILE NÉMORIN : On fait le tour du jardin, c'est parti. On va où en premier ? 

UN ÉLÈVE : Là-bas.

CÉCILE NÉMORIN : C'est où là-bas ?

L’ÉLÈVE : Vers les plantes qui sentent trop bon.

CÉCILE NÉMORIN : Vers les plantes qui sentent trop bon, ça marche. Allons-y. »

[Fin de l’extrait]

C'est une classe de cinquième. Ils sont seize. C'est la deuxième année au collège donc ils nous connaissent bien. Le professeur est un professeur spécialisé depuis déjà un certain nombre d'années. Il a été vraiment enthousiasmé par ce projet parce qu'il est convaincu, comme moi d'ailleurs, qu'apprendre autrement est très bénéfique pour eux. Parce que ce sont des élèves qui ont fait toutes leurs classes primaires avec des difficultés, qui n'ont plus confiance en eux, qui n'ont pas réussi avec les méthodes classiques. Et donc on est convaincus qu'il faut vraiment apprendre autrement. Donc les projets, c'est l'idéal.

[Extrait d’une conversation entre des élèves et Cécile Némorin]

« UNE ÉLÈVE : Ça a poussé !

CÉCILE NÉMORIN : Ça a poussé, hein ? Alors qu'est ce qui a poussé ?

UN ÉLÈVE : Les graines.

UNE AUTRE ÉLÈVE : C’est parce qu’on a enlevé les mauvaises herbes et…

CÉCILE NÉMORIN : Tout à fait. Il y en a qui ont beaucoup apprécié que vous ayez enlevé les mauvaises herbes la dernière fois. Du coup, ça a bien poussé. »

[Fin de l’extrait]

Le projet nous permet d'aborder les compétences de façon différente. Donc, depuis très longtemps, le projet en Segpa est vraiment le pilier. Et, là, le projet de l'atelier Bombylius est sur deux ans. C'est-à-dire que cette année, ça a été la découverte du maraîchage, la découverte des plantes, de ce milieu, du travail. Et, l'année prochaine, on aimerait créer une mini-entreprise avec Entreprendre pour Apprendre. On voudrait faire des sauces tomate, des jus de fruits, des sirops qui seraient faits par les élèves et vendus ici. Donc ça, c'est l'avantage en Segpa, on peut se permettre de faire des plus gros projets que quand on est au collège avec une classe qu'on n'a pas tout le temps. Chez nous, l'effectif est en général le même et les élèves sont les mêmes. Donc on peut se permettre de faire des projets sur deux ans. Et comme les élèves sont quand même en grande difficulté, il ne faut pas l’oublier, sur deux ans ça permet vraiment d'aller à son rythme.

[Extrait d’une conversation entre des élèves et Cécile Némorin]

« UNE ÉLÈVE : Madame.

CÉCILE NÉMORIN : Oui ?

L’ÉLÈVE : C’est des pommiers ?

CÉCILE NÉMORIN : Eh bien oui. T’as vu, elles ont poussé les pommes aussi. La dernière fois, on avait la fin des fleurs et là on a les fruits. En septembre, quand vous reviendrez, vous pourrez manger des pommes. »

[Fin de l’extrait]

Le travail avec ce maraîchage est très intéressant au niveau de la transdisciplinarité puisqu'on peut travailler le français, les mathématiques. On a travaillé sur les températures, on a pris la température dans la terre, à l'extérieur de la terre, dans le fumier, sous la serre et après on a fait des graphiques. Donc on travaille les mathématiques.

Nous sommes un éco-collège, on travaille aussi tout ce qui est développement durable. Bien évidemment, au niveau des programmes de sciences, c'est idéal parce qu'on peut tout travailler. Il y a énormément de choses à découvrir et qui se rattachent toujours aux programmes. On découvre les métiers aussi, ce qui est très important en Segpa. Dans Segpa, il y a un « p » pour « professionnel » et nous, on travaille dès la sixième. À partir de l'année prochaine, je compte mettre des élèves en stage avec Cécile qui nous accueille. Je compte bien en mettre en stage pour ceux qui seraient intéressés et qui seraient motivés. Pourquoi pas, oui. Ensuite, il y a le fait que, quand on travaille en Segpa… Alors, la Segpa a une très mauvaise image parce qu'on se souvient aussi des anciennes Segpa, avant 95, qui étaient les SES (sections enfants sauvages). Et la Segpa oconvainu les SES étaient très en retrait, ils n'avaient pas les mêmes récréations, ils n'avaient pas d'enseignants du collège. Tout ça, c'est fini, c'est terminé. Et moi j'inviterais les jeunes enseignants à venir passer une journée avec nous. Ça permettrait de voir comment sont les élèves, ce qu'ils font, goûter à cette liberté aussi. Ça peut se mettre en place sans difficulté. C'est ce que je propose d'ailleurs aux parents – qui ont beaucoup de mal à accepter que leurs enfants soient orientés en Segpa. Pour deux choses. Déjà, le fait de reconnaître que son enfant a des difficultés, ce qui très difficile pour un parent. Mais c'est aussi l'image que nous avons et quand je les fais venir avec nous, ils changent totalement d'idée sur notre structure.

[Extrait d’une conversation entre élèves]

« ÉLÈVE 1 : On est en train de construire une maison, dans Koh-Lanta.

ÉLÈVE 2 : Ouais, comme dans Koh-Lanta.

ÉLÈVE 1 : En fait, on a mis des bois, après on est parti prendre des feuilles qui sont là-bas, après on les a placés bien, après on a commencé à…

ÉLÈVE 2 : Et pour couper bien comme ça, pour que ça soit à égalité, avec le feutre on a mis un trait et on coupe. Va chercher une brique.

ÉLÈVE 1 : Attends Calvin, va prendre là-bas s’te plaît. »

[Fin de l’extrait]

Les qualités ? Avoir envie. Je ne sais pas si c'est une qualité d'avoir envie… Oui, il faut avoir envie, il faut avoir la motivation, il faut être extrêmement bienveillant parce que, très souvent, ils n'ont pas les mots pour exprimer tout ce qu'ils ressentent au niveau de leurs émotions, de leurs sentiments. Et, de ce fait-là, il faut avoir une certaine qualité d'écoute et essayer de les comprendre. Et il faut vraiment pratiquer l'écoute active parce que, sinon, on peut des fois passer à côté de quelque chose. Donc ça, je pense que c'est très important. Accepter l'échec aussi. J'ai vu des professeurs qui, par exemple, disaient : « Je lui ai expliqué mais il ne fait pas, il n'a pas compris. » Ben oui, c'est sa spécificité. Ou alors qui mettent dans les bulletins : « En grande difficulté. » Oui, ça on le sait, ils sont tous en grande difficulté ici. Maintenant, il faut avancer, il faut voir ce qu'ils ont appris pendant ce trimestre. Donc je pense qu'il faut avoir un peu de recul sur l'enseignement parce que beaucoup d'enseignants veulent vraiment transmettre des connaissances et que les élèves les captent et puissent grandir en compétences.

Pour nous, il faut être plus petit, il faut admettre qu'une compétence ne va pas être acquise en sixième. Peut-être que cette compétence, qui normalement est acquise en sixième, va être acquise en troisième. Peu importe, à partir du moment où il l'a acquise. Donc il ne faut pas se focaliser sur ce genre de choses et ne pas être trop perfectionniste. Parce que, si vous cherchez la perfection, en Segpa vous ne l'avez jamais. Vous avez des jeunes qui avancent à leur rythme, différemment.

[Extrait d’une conversation entre des élèves et Catherine Goût]

« CATHERINE GOÛT : Vous avez goûté la betterave ? Vous avez goûté ?

DES ÉLÈVES : Oui.

CATHERINE GOÛT : Et alors ? 

UNE ÉLÈVE : C’est très bon.

UNE AUTRE ÉLÈVE : Non, j’ai pas goûté.

CATHERINE GOÛT : Alors va goûter. [À Cécile Némorin] Amel, elle n’a pas goûté. »

[Fin de l’extrait]

Je m'arrêterai par la limite d'âge [rire] parce que je compte bien prendre ma retraite un jour. Mais je ne compte ni changer d'établissement ni changer de fonction.