Maud Haag est directrice et enseignante en école maternelle à Vitry-le-François (51). Elle et son équipe ont modifié leurs approches pédagogiques à l'échelle de l'école dans le but d’intégrer d’avantage les élèves dans le processus d’apprentissage, en s’inspirant, entre autres, des méthodes de Montessori et Freinet. Il ne restait plus qu'à transposer ces réflexions en EPS, en particulier dans la salle de motricité. Avec l'aide d'un chercheur, le réaménagement de l’enseignement en EPS est devenu possible. Aujourd’hui, les élèves coconstruisent avec les enseignants des activités physiques personnalisées, individuelles ou collectives. Voici l'histoire de cette réinvention.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée par : Hélène Carbonnel et Luc Taramini

Réalisée par : Hélène Carbonnel

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m’appelle Maud Haag, je suis enseignante et directrice dans l’école maternelle Pierre-et-Marie-Curie située à Vitry-le-François, dans la Marne.

Notre école regroupe quatre classes et accueille 92 élèves. Au sein de ma classe, j’accueille des enfants âgés entre 3 et 6 ans – donc, de petite section, moyenne section et grande section – et notre classe accueille également trois enfants porteurs de handicap.

Depuis quelques années, on a modifié notre façon d’enseigner en prenant appui sur les pédagogies alternatives. Et récemment, on s’est interrogé sur comment on pouvait aménager également le hall de motricité, pour apprendre aussi autrement pendant les séances d’EPS.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« MAUD HAAG : Alors ce matin, avant de commencer le travail dans l’espace moteur, nous allons réveiller notre corps. On y va ? Allez, tu chauffes très fort tes mains. [Frottement de mains] »

[Fin de l’extrait]

Ça a été toute une interrogation de l’ensemble des personnels de l’école parce qu’il a fallu déconstruire certaines habitudes pour développer de nouveaux gestes et de nouvelles postures professionnels. C’est-à-dire que, si je reprends la qualification et les termes de Dominique Bucheton [professeure des universités en sciences du langage et de l’éducation], on est passé d’une posture dominante de contrôle et d’animation à des postures d’étayage et d’accompagnement.

Ça suppose du lâcher-prise. On a eu la chance, dans notre expérimentation, d’être accompagnés par notre inspectrice de l’Éducation nationale, de notre circonscription, qui a pu venir observer dans ma classe cette nouvelle façon de faire et qui a proposé, avec d’autres collègues inspecteurs, de créer un groupe de réflexion autour des pédagogies alternatives. Donc, ça a été, pour notre équipe, l’occasion de pouvoir échanger – pendant deux années, sur des temps de formation continue – sur ces pratiques : les interroger, essayer de creuser, de prendre appui sur des recherches pour les interroger et puis en voir les intérêts, les limites, les points de vigilance à avoir.

Alors, notre difficulté se posait sur le temps d’enseignement en EPS. Autant dans nos classes, on était en accord avec nos valeurs pédagogiques, autant en EPS, on restait dans un enseignement classique où on travaillait en unité d’apprentissage de manière très linéaire. Et là où la classe multi-âge et tous les choix qu’on faisait étaient finalement un atout dans les classes, ça devenait un frein à l’enseignement de l’EPS. Donc on s’est demandé au sein de notre équipe comment on pourrait aménager cette salle de motricité pour qu’elle puisse être en concordance avec nos choix pédagogiques, à savoir des projets d’apprentissage personnalisés, de l’autonomie, et développer tout ce qui va être posture d’entraide et de tutorat.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« MAUD HAAG : Alors, dans l’espace moteur, il y a trois règles à respecter pour ne pas se faire mal. Qui peut me redire une de ces règles ?

UNE ÉLÈVE : On doit regarder devant avant de lancer ou de sauter ou de courir.

MAUD HAAG : On regarde devant… »

[Fin de l’extrait]

Alors en fait, quand les enfants arrivent dans la salle effectivement, après ce petit temps-rituel, ils peuvent aller se diriger et choisir le matériel qu’ils souhaitent utiliser. Alors, ce matériel leur a été précédemment présenté avec une possibilité d’utilisation. Donc, ils ont la possibilité de reproduire ce qui leur a été présenté. Mais au fur et à mesure de l’année, on les invite à inventer, détourner le matériel pour réaliser une autre action motrice de leur choix.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« UNE ÉLÈVE : Avec ça, on va sauter, on essaye de pas sauter sur le rouge. Et si on touche le rouge, c’est de la lave. »

[Fin de l’extrait]

Alors en fait, le matériel qui est mis à disposition des élèves est organisé et mis à disposition sur des étagères, en fonction des domaines d’apprentissage. On a par exemple une étagère où les enfants vont trouver du matériel pour réaliser des actions qu’on va pouvoir mesurer, à savoir une étagère pour les activités de lancers, une étagère pour les activités pour s’entraîner à sauter. Ce dont on avait besoin, par contre, pour pouvoir enseigner autrement pendant la séance d’EPS, c’était d’avoir des connaissances didactiques extrêmement pointues sur le développement moteur des élèves. On a eu la chance de pouvoir profiter de l’expertise de Fabrice Delsahut, et notamment ce qu’il appelle les quatre grandes habiletés motrices fondamentales, que sont : la locomotion, l’équilibration, la manipulation d’objets et le lancer et la réception d’objets.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« MAUD HAAG : Pourquoi tu les changes de place ?

UNE ÉLÈVE : Pour que ça soit plus difficile.

MAUD HAAG : Pour que ce soit plus difficile. Allez, on te regarde. Donc, tu les as éloignés pour que ce soit plus difficile. »

[Fin de l’extrait]

Un des premiers points qu’on a pu constater, c’est la capacité que les élèves ont, quand on leur fait confiance et quand on leur laisse la possibilité d’agir et d’être acteurs… C’est leur capacité à aller intuitivement au plus près de leur zone proximale de développement. C’est-à-dire qu’en fait, ils vont être capables de trouver et d’aménager la tâche pour qu’elle soit suffisamment difficile pour qu’ils soient en situation d’apprendre.

Les autres effets bénéfiques qu’on a pu observer également, c’est au niveau du langage. On constate pendant cette séance beaucoup plus d’interactions, notamment parce qu’ils vont mettre en place des postures d’entraide, entre eux, de tutorat. Et comme ils aménagent eux-mêmes leur propre projet, ils sont obligés d’être dans la discussion, l’échange et l’argumentation. Il y a donc beaucoup plus d’interaction langagière entre eux et leurs interactions sont aussi beaucoup plus précises. C’est-à-dire qu’ils vont être capables, aussi, de donner des indications en prenant appui sur le vocabulaire du schéma corporel et aussi sur les verbes d’action.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« MAUD HAAG : Vous allez d’abord nous expliquer ce qu’il faut faire.

UN ÉLÈVE : Il faut sauter sur le jaune…

MAUD HAAG : Sur les objets jaunes.

UN ÉLÈVE : … et bleus et verts.

MAUD HAAG : D’accord. Et par contre, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour réussir ?

UN ÉLÈVE : Il faut pas sauter sur le rouge.

UN AUTRE ÉLÈVE : Sinon, on a perdu.

MAUD HAAG : Sinon, on a perdu. »

[Fin de l’extrait]

Et puis aussi, ce qui est vraiment appréciable, je trouve, sur cette façon de fonctionner, c’est que l’enfant a une réelle place. Aujourd’hui, par exemple, deux élèves de petite section ont voulu présenter leur spectacle à la classe. C’était une chorégraphie réalisée à partir de foulards et d’un aménagement d’espace dans les cerceaux. Donc ça, c’était ce qu’ont fait des petits, et des élèves plus grands ont carrément montré une courte séance chorégraphique à partir d’une histoire qu’ils avaient pu inventer.

[Extrait audio : une séance d’EPS]

« UN ÉLÈVE : On va présenter une danse.

MAUD HAAG : D’accord…

UN AUTRE ÉLÈVE : Une danse qui… Un bonhomme qui est mort.

MAUD HAAG : D’accord… Et vous allez le réveiller. Alors, il est endormi, du coup, plutôt ?

UN ÉLÈVE : Ouais !

MAUD HAAG : Oui, d’accord… Un bonhomme qui est endormi. Et il se sent comment, vous m’aviez dit, aussi ?

UN ÉLÈVE : Il ne se sent pas heureux et il pleure.

MAUD HAAG : Il est malheureux et il pleure. Et vous, dans votre danse, vous allez le réveiller. [Musique] »

[Fin de l’extrait]

Alors, cet aménagement a vraiment permis qu’on se retrouve en cohérence avec nos valeurs. Et ce qui fait que ce temps d’enseignement est beaucoup plus naturel. Et finalement, cet espace qui était une contrainte, plutôt, devient vraiment un levier pour agir et interagir ensemble. Et on se sent, en tant qu’enseignants, beaucoup plus efficaces auprès de nos jeunes élèves. C’est vrai que je me sens du coup beaucoup plus détendue parce que, et dans la classe et dans la salle d’EPS, je suis vraiment en accord avec mes valeurs et je n’ai plus l’impression de jouer un rôle.