Série estivale spéciale EMI

Dans cet épisode, Daphné Gastaldi journaliste indépendante issue du collectif We Report nous raconte leurs interventions en classe pour présenter leur métier et guider les élèves dans la fabrication de l’information. Bonne écoute…

  • We report, site du collectif de journalistes indépendants.
  • CLÉMI, site du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Luc Taramini et Hervé Turri

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je suis Daphné Gastaldi, journaliste et membre du collectif We Report. On est un collectif de journalistes indépendants et on fait de l’éducation aux médias et à l’information.

La particularité de We Report, c’est qu’on fait du journalisme au long cours. On fait de l’investigation, on fait de l’information d’intérêt général, d’intérêt public. Et, très rapidement après la formation du collectif, on a été sollicités pour des ateliers d’éducation aux médias et on s’est dit que ça collait tout à fait avec nos valeurs. Et ça fait donc depuis 2015 qu’on fait ces ateliers dans les écoles, mais pas que, aussi dans un centre social ou une bibliothèque.

Des enseignants viennent plutôt nous chercher parce qu’ils sont confrontés à des problématiques de vérification de l’information. Il y a eu des événements forts, les attentats de Charlie Hebdo, l’assassinat de Samuel Paty, qui ont posé beaucoup de questions. On ne nous demande pas de faire de la prévention contre la radicalisation mais, vraiment, d’apprendre aux élèves ce que sont les médias, ce qu’est l’information, comment on fabrique l’information. Et nous, on y répond par du concret, c’est-à-dire qu’on leur met un micro, un appareil photo entre les mains et on part sur le terrain.

On intervient en renfort avec les enseignants, on n’est pas là pour les remplacer. On n’est pas des enseignants à l’origine, on doit travailler ce côté pédagogique avec eux. Donc, on essaie de construire ensemble des ateliers, de faire des passerelles aussi entre les cours. Les enseignants d’histoire, de français, de musique aussi, sont très importants, notamment sur les projets d’écriture ou radio et nous, on est les ouvriers de l’information. Donc, on apporte vraiment notre connaissance des coulisses d’un reportage, de comment on fabrique l’information. Et il y a des enseignants qui sont très éclairés sur le sujet, très avertis, mais qui ne connaissent pas ces coulisses-là – et c’est bien normal, puisqu’ils ne sont pas journalistes. Et c’est cette complémentarité qui est vraiment intéressante et je trouve que c’est un support dans tout projet d’éducation aux médias. D’une façon ou d’une autre, il est important qu’à un moment, un journaliste intervienne, que ce soit sous forme de témoignage ou en encadrant. C’est vraiment l’ouvrier de l’information qui vient raconter son métier.

La sobriété numérique, c’est un enjeu actuellement. On en parle beaucoup. Quand on a un public de collégiens, ce n’est pas quelque chose qu’on aborde forcément parce qu’ils n’ont pas une consultation compulsive de l’information. Ils sont plutôt au stade de la découverte et ils ont un usage de l’information plutôt via les réseaux sociaux. Donc en fait, nous, on s’adapte à leurs usages. On ne leur dit pas comment faire, on ne leur dit pas quels médias lire. On voit comment ils perçoivent l’information et on les aide à analyser, à décrypter. Ce qu’on leur dit surtout, plutôt que de parler de sobriété avec eux, on leur parle de diversité des sources d’information. Pour nous, c’est ça qui est essentiel, c’est qu’ils consultent différentes sources. On travaille énormément là-dessus. Quand ils voient une information, souvent ils nous demandent : « Est-ce que c’est vrai que ?… » Eh bien, on vérifie avec eux. Et sur différents canaux, que ce soit sur les réseaux sociaux, sur des médias traditionnels, des médias indépendants. C’est quelque chose qui leur permet d’avoir une vision plus complexe des médias, du paysage médiatique. On n’est pas là pour faire une mission commando anti-fake news d’une heure. Pour nous, ça a ses limites et on n’est pas là pour ça. Il faut d’abord expliquer ce qu’est l’information, ce que sont les médias, avant de s’attaquer au fact-checking, aux fake news. Vraiment, il faut poser les bases avant d’arriver à cette lutte contre la désinformation, qui est partie prenante de l’éducation aux médias. Mais il faut, autour, expliquer ce que sont les médias. Pour nous, ça, c’est le préalable, avant qu’on intervienne, c’est qu’on puisse avoir un peu de temps.

On essaie d’avoir des projets, même si c’est deux heures sur plusieurs jours, où il y a une évolution, où on peut construire quelque chose. Et surtout, où on peut faire du concret, c’est-à-dire partir en reportage. Pour nous, c’est l’essentiel. Nous, on apporte des petits studios radio portatifs, des micros, des enregistreurs, des appareils photo. Et c’est ça qui permet de mener nos projets au long cours.

On est là pour leur faire faire des reportages et donc, forcément, on leur parle de la déontologie des journalistes. Souvent, ils ne connaissent pas ce mot de déontologie, donc on leur explique et on compare ça au secret professionnel pour protéger les sources, comme le secret médical, par exemple. Et là, ça leur permet de comprendre les enjeux, aussi, dans la relation entre les personnes interviewées et les journalistes. Et ils adorent découvrir ce code d’honneur du journalisme en quelque sorte, qu’ils ne connaissaient pas du tout à l’origine. Donc, on essaie de travailler là-dessus. Et puis on essaie de déconstruire des stéréotypes que des élèves, mais aussi des enseignants, peuvent avoir sur les journalistes. Quand on arrive au début d’un atelier, souvent, on a des réflexions de type : « Est-ce que c’est vrai que les journalistes gagnent beaucoup d’argent ? Est-ce que c’est vrai que vous êtes des touristes quand vous partez en reportage ? Ah, vous ne prenez pas votre maillot de bain ? » Et donc, on leur explique qu’on est en reportage pour travailler, qu’il y a des difficultés sur le terrain, que ça se prépare… Et souvent, ils évoluent et à la fin de l’atelier, la réflexion qui revient systématiquement, c’est : « C’est en fait très compliqué de faire un reportage, ça demande beaucoup de préparation. »

Nous sommes des journalistes indépendants et pour nous, faire du long cours, de l’investigation sur plusieurs mois, plusieurs années parfois pour certains d’entre nous, c’est très important. On a des journalistes, par exemple, pendant la crise des gilets jaunes, qui allaient tous les week-ends sur les ronds-points, sur le même rond-point, restaient au contact des gens. Pourquoi c’est important ? Parce que c’est comme ça qu’on peut restituer une atmosphère, avoir la confiance des personnes qui nous parlent, enquêter et aller jusqu’au bout, aller en profondeur, et pas juste être parachuté sur un événement et le traiter de façon parfois un peu artificielle. Il faut de tout. Il faut aussi bien des médias d’information, d’actualité en continu, que des journalistes qui font ce travail de fond, qui est essentiel pour comprendre les enjeux d’un sujet. Et c’est ce qu’on essaie de transmettre aux élèves. 

Quand on intervient pour des résidences journalistiques, on a du temps. Donc, tous les matins, on fait une conférence de rédaction. On débat avec les élèves des sujets qu’ils veulent traiter, on les prépare. Ils regardent qui ils voudraient interviewer, on prépare la prise de contact, les questions… Vraiment, ils sont dans la construction du reportage de A à Z, jusqu’à la réalisation et ensuite l’édition. Ça dépend bien sûr des projets. Il y a des projets sur un ou deux jours où on ne peut pas forcément faire tout ça. Et quand on a le temps, on essaie de leur faire vivre la vie d’une rédaction, en fait. 

Ce qui marche très bien, par exemple, c’est de réaliser une émission radio. Et là, on ne part de rien. Dès le départ, il faut vraiment qu’ils apprennent ce qu’est un sujet, un angle journalistique, comment manipuler un micro, comment se positionner pour faire une interview… Et ensuite, j’ai été très surprise, car avec certaines classes de collège, j’ai pu monter un studio radio avec eux, ils m’aidaient à la technique. Et au bout d’un moment, j’ai pu leur laisser les manettes du studio radio où ils ont réalisé l’émission seuls, et même des sixièmes, des cinquièmes. Et ça, vraiment, ça m’a surprise parce que je ne pensais pas qu’on pourrait aller jusque-là avec eux. 

Ils prennent des responsabilités, ils évoluent vraiment tout au long de l’atelier. Ce qui est plus laborieux, c’est la partie écriture, la partie dérushage après le reportage, qui est moins ludique. Et même pour nous, journalistes, c’est là où il y a tout l’enjeu de sélection de l’information, d’écriture et de responsabilité de ce qu’on va transmettre. Et ce qui est bien, c’est qu’ils perçoivent cette difficulté, et on les aide à ce moment-là dans l’édition, pour réussir à finir le projet. Et bien sûr, ce qu’ils préfèrent, c’est la partie rencontres, interviews et terrain. 

À chaud, j’ai un souvenir qui me vient, d’une jeune fille qui me disait : « Oui, mais les journalistes, vous ne faites que parler de Donald Trump, vous lui donnez trop d’importance. » Et donc, on a analysé ça ensemble. Pourquoi il y avait autant d’attention autour de Donald Trump, est-ce qu’il n’y avait pas des journalistes qui faisaient un travail critique, néanmoins, des enquêtes… Et à la fin, elle a vu qu’il y avait effectivement des journalistes qui faisaient des enquêtes sur ce président américain hors normes – qui d’ailleurs contribue à diffuser beaucoup de fake news. Et donc, on a analysé ça ensemble et à la fin, en analysant, en réfléchissant, en débattant – je n’ai pas essayé de la convaincre, j’ai essayé de lui montrer les différents traitements de l’information –, d’elle-même, je pense qu’elle a mûri sur cette question.