Quand elle répond à l’appel d’offre de l’Office français de la biodiversité en 2018, Bérangère Ducastelle, professeure des écoles dans un village de Haute-Vienne, était loin d’imaginer l’aventure qu’elle allait vivre avec ses élèves de CM1-CM2. Ensemble, ils s’engagent dans la gestion d’une aire terrestre éducative située non loin de l’école. Ce projet de classe leur permet d’acquérir des connaissances spécifiques par l’observation et l’expérimentation lors des nombreuses sorties sur le terrain. Ils apprennent aussi à débattre, à prendre des décisions et à dialoguer avec les acteurs locaux, chacun se forgeant au fil du temps une conscience citoyenne et écologique à travers des actions bien concrètes.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Luc Taramini

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Myriam Naciri

Secrétariat de rédaction : Magali Devance

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

Je m'appelle Bérangère Ducastelle. Je suis professeure des écoles et j'enseigne à l'école de Saint-Sylvestre, dans le Limousin [18], auprès d’élèves de CM1-CM2.

[Extrait : départ pour l’aire terrestre éducative]

« BÉRANGÈRE DUCASTELLE : On va boire avant de partir. J’ai dans mon sac une bouteille et des gobelets. Donc si vraiment il y a un gros besoin, j’ai ce qu’il faut. »

[Fin de l’extrait]

Une ATE désigne en fait une aire terrestre éducative. Il s'agit d'un petit territoire, d'un petit espace – pour ce qui nous concerne, tout proche de l'école – sur lequel les enfants vont pouvoir d'abord observer, apprendre des choses, acquérir des connaissances scientifiques et exercer un petit pouvoir de gestion, suite à leurs observations, pour faire en sorte que ce milieu se porte bien, que la biodiversité y soit préservée et, en fonction du contexte, mener parfois des actions particulières.

La création de l'aire terrestre éducative venait répondre à une demande des enfants. Depuis quelques années, j'ai pu observer… C'est vrai que les médias parlent beaucoup de crise climatique, de crise écologique. Et donc les enfants, les générations d'enfants sont préoccupées récemment par ça, mais ne sont pas encore défaitistes ou pessimistes, elles ont envie d'être dans l'action. Et, en 2018, j'avais vraiment une promotion d'élèves qui demandaient à agir concrètement, qui voulaient un peu sortir de « Je ferme bien le robinet. J’éteins bien les lumières » et qui voulaient des choses plus concrètes par rapport à l'environnement. Donc, quand il y a eu cet appel à projets pour une création d'aire terrestre éducative, je l'ai soumis à la classe qui a été effectivement très enthousiaste à l'idée de pouvoir agir concrètement sur le terrain, sur la biodiversité et de manière très sérieuse.

[Extrait : arrivée sur l’aire terrestre éducative. Bérangère Ducastelle compte les élèves]

Donc, une fois que le lieu a été défini, les enfants ont d'abord passé du temps à l'observer et à prendre connaissance de cet espace, à découvrir les différents écosystèmes présents. Et, tout de suite, l'envie a émergé de créer un sentier, un lieu de pédagogie, de mettre en place des panneaux pédagogiques, justement, pour partager les connaissances acquises avec d'éventuels promeneurs ou les habitants de la commune. Ça fait plusieurs années que les enfants y travaillent mais, chaque fois, ils découvrent des nouveaux milieux, il y a chaque fois de nouvelles connaissances à acquérir. Donc le projet est en train de se construire.

En dehors du fait que les enfants acquièrent des compétences scientifiques – du fait des différentes observations menées et accompagnées par la référente –, ils sont vraiment amenés à avoir un rôle décisionnaire, donc à prendre des décisions par rapport à cet environnement et à l'expliquer, à en discuter avec des partenaires importants, puisqu'il s'agit de la municipalité, à exposer les problématiques. Et ensuite, dans le cadre du petit conseil de la Terre, en classe, il y a des débats et des décisions parfois très compliquées à prendre. Je peux donner l'exemple qui s’est produit l'année dernière. Il y a un écosystème qui, au départ, était un écosystème artificiel en fait, puisqu'il s'agissait de la terre accumulée au moment de la construction de la station d'épuration. Donc c'était un tas de terre, les enfants l'appelaient « le tas de terre ». Une prairie s'est installée à cet endroit, mais elle a évolué en lande et si on continuait de la laisser évoluer, elle se serait transformée en sous-bois. Donc là, la référente nature a expliqué à la classe les conséquences de ce qui se passe quand on laisse faire la nature. Et il y avait une très lourde décision à prendre parce que les enfants croyaient que la nature faisait bien les choses. Et il s'avère que parfois l'intervention humaine peut être utile. Et, en l'occurrence, ils ont décidé, effectivement, d'agir pour préserver l'écosystème prairie qui est assez rare en Limousin et qui permet aussi de ne pas endommager la station d'épuration puisqu’il n’y aura pas de racines envahissantes.

[Extrait : sortie sur le terrain]

Donc quand les enfants se réunissent en petit conseil de la Terre, je reste présente en classe, mais je suis complètement effacée. J'essaye même de ne pas réagir au niveau du visage pour ne pas du tout influencer les discussions et les décisions que vont prendre les enfants. Donc, en fait, ils sont en autogestion complète. Des rôles ont été distribués. Il y a un président de conseil, un enfant qui prend des notes au tableau, un autre qui prend les notes dans un cahier, un enfant qui distribue la parole. Ils choisissent eux-mêmes l'ordre du jour, ils conduisent les débats eux-mêmes et je n'interviens jamais. Je n'interviendrais que si, vraiment, les enfants se fourvoyaient dans une décision.

L'année dernière, justement, on s'est rendu compte, quand il y a eu cette décision importante à prendre, que le partenariat avec la municipalité devenait de plus en plus étroit et qu'on avait besoin d'interventions des cantonniers assez régulières. Donc, en fait, est apparue la nécessité de mettre en place un vrai plan de gestion, comme le font les gens qui travaillent au Conservatoire de la nature. Donc, cette année, on a présenté aux enfants un plan de gestion d'une tourbière proche et ils s'en sont inspirés pour créer leur propre plan de gestion de l'aire terrestre éducative. C'est en cours de rédaction, mais ce sera soumis à la municipalité. C'est une sorte de convention qui est passée avec nos partenaires pour que, par exemple, les ronces soient en partie débroussaillées à une période particulière de l'année afin que le cours d'eau ne soit pas étouffé. C'est un exemple.

[Extrait : bruit du cours d’eau]

Alors, l'avantage d'avoir une classe en double niveau CM1-CM2, c'est que la transmission se fait de manière naturelle puisque les CM1, qui deviennent des CM2 l'année suivante, peuvent partager leurs savoirs avec ceux qui arrivent dans la classe. Mais au départ je les bride un petit peu là-dessus parce que je souhaite que les élèves arrivants puissent découvrir de manière sensorielle l'aire terrestre éducative sans qu'on leur apporte tout de suite des réponses scientifiques à leurs questions. Mais quand c'est nécessaire, les CM2 s'en chargent volontiers. Ensuite, la transmission, de manière plus large, se fait maintenant entre l'école et le collège. Donc ça, c'est intéressant dans la transmission entre le primaire et le secondaire. J'ai aussi des élèves, qui sont maintenant au collège, qui en parlent, qui en parlent à leurs professeurs de SVT. Et apparemment les professeurs de SVT reconnaissent les élèves de l'école de Saint-Sylvestre parce qu'ils ont un bon vocabulaire au niveau de l'environnement, de la biodiversité. Donc cet après-midi, par exemple, on accueille une classe de sixième qui va venir visiter l'aire terrestre éducative et les élèves de ma classe vont leur présenter les différents écosystèmes, vont leur présenter la naissance du projet et ce qu’est une aire terrestre.

[Extrait : sortie sur le terrain]

« LA RÉFÉRENTE NATURE : Alors, à quoi ça pourrait nous faire penser ce truc-là ?

DES ÉLÈVES : À un blob.

LA RÉFÉRENTE NATURE : Ça pourrait faire penser à un blob. C’est tout mou, ça colle. »

[Fin de l’extrait]

Les découvertes sont quasi… Chaque fois qu'il y a une sortie, il y a une découverte. Les enfants, l'année dernière, à un moment donné où ils s'intéressaient au blob, ont eu la chance de trouver de manière naturelle un blob dans le sous-bois. Régulièrement, ils découvrent des crânes de chevreuils, des... Ce matin, on a eu une sortie, ils ont découvert une plume de geai. Voilà, chaque sortie est l'occasion d'un petit trésor.

Alors, effectivement, c'est un domaine dans lequel je n'étais pas forcément à l'aise. Je ne me serais pas lancée toute seule là-dedans. Ce projet, il est vraiment intéressant parce que c'est un partenariat avec une personne qui a des compétences scientifiques : la référente nature. Donc il y a cet apport-là qui est vraiment intéressant pour la classe, qui est très pointu. Ensuite, c'est un projet qui donne un sens énorme parce que les enfants sont… Bon, c'est ludique, ils sont sur le terrain, c'est toujours plus agréable que de rester enfermés entre les quatre murs de la classe. Mais c'est surtout que ce partenariat avec la municipalité, qui est pris très au sérieux puisque la municipalité répond systématiquement aux demandes des enfants, donne beaucoup de poids à leurs décisions et à leurs actions. C'est rare que des enfants soient pris au sérieux. Donc, c'est vraiment le côté le plus chouette de ce projet.