Léo Roche et Marie Bosch sont enseignants en CM1 à l’école Richomme située dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris. Tous les deux confrontés à la difficulté de l’exercice de la rédaction avec leurs élèves, ils ont eu l’idée, suite à une formation de Dominique Bucheton, de changer leur posture pour permettre aux élèves de se positionner en tant qu’auteurs. Forts des résultats obtenus, ils ont créé une maison d’édition au sein de l’école : Théo lit Théo d’or. Tous les ans, un recueil est édité, composé des nouvelles des élèves. Les élèves gèrent toutes les étapes, des premiers écrits à la reliure finale. Cela améliore considérablement leurs compétences d’écriture et contribue à créer une ambiance agréable et coopérative en classe et avec les parents.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Hélène Carbonnel

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

[Je suis] Léo Roche, enseignant en CM1 à l'école Richomme, dans le 18ᵉ arrondissement de Paris. C'est une école de REP+. Ça fait douze ans que j’y travaille, en binôme avec ma collègue Marie Bosch avec qui on a monté une maison d'édition scolaire.

C'est une maison d'édition qui est animée chaque année par les enfants des classes de CM1. Elle s'appelle « Théo lit Théo d’or » – ce sont les enfants qui ont trouvé ce joli nom. Elle est née en 2018 donc là c'est la cinquième année que les CM1 la font tourner pour publier des livres – et les vendre – qu'ils écrivent eux-mêmes ou qu'ils font écrire par les autres élèves de l'école.

Tout ça, c'est un projet qui naît de l'enseignement de la rédaction. Au départ, pour moi, la rédaction, c'était un pensum. Je ne savais pas comment faire, j'en faisais le moins possible, je récupérais des textes qui étaient assez médiocres en termes de qualité, pauvres en vocabulaire, pauvres en idées. Et comme je ne savais pas quoi regarder dedans, je faisais, je pense, comme beaucoup : je corrigeais l'orthographe et j'essayais d'oublier ça le plus vite possible. Un jour, on a eu une formation avec Dominique Bucheton, qui est une chercheuse qui a travaillé sur les postures d'enseignement et sur l'enseignement de la rédaction. Et, elle, elle préconise un changement assez radical qui est d'arrêter de corriger les textes aussi bien orthographiquement d'ailleurs qu’en termes de syntaxe, etc. On arrête de se poser en censeur – c’est-à-dire en correcteur – et on change de posture, on devient accompagnateur, et on accepte le fait que le texte ne soit pas parfait tout de suite, que ça va prendre du temps, qu'on va l'écrire, le réécrire longuement, qu'on va faire des exercices d'écriture longuement pour apprendre à mieux écrire, beaucoup, beaucoup plus. Là, aujourd'hui, on écrit à peu près deux heures par semaine, on ne ramasse plus leurs textes, on ne les lit pas pour les corriger, on les leur fait lire.

[Extrait 1 : Léo Roche propose le début d'une histoire à ses élèves, trois d'entre eux proposent une suite]

« LÉO ROCHE : On va reprendre nos vieilles habitudes. Je vais vous donner le début de l'histoire et vous allez essayer de composer la suite. “Comme tous les mercredis après-midi, Khadija se rend à son cours de piano. Elle presse le pas car elle sait que son professeur, Monsieur Dupuis, déteste qu'elle soit en retard. Lorsqu'elle arrive enfin devant la porte du petit pavillon, elle retire ses écouteurs et s'apprête à sonner. Soudain, elle s'aperçoit que la porte de la maison est entrouverte. C'est inhabituel. Intriguée, elle la pousse doucement. Par l'embrasure, elle aperçoit un bout du salon. Tout est sens dessus dessous.” Je m'arrête là.

ÉLÈVE 1 : Elle entre dans le pavillon. Des pâtes sont en train de brûler dans la cuisine. Les placards sont ouverts. La fenêtre est cassée. Dans la salle de bains, le robinet coule, la baignoire déborde, tout comme l'évier.

ÉLÈVE 2 : Elle est rentrée dans la maison. La maison était en désordre. Elle voit un vieux monsieur [qui] lui a donné une potion magique bizarre.

ÉLÈVE 3 : Elle rentre dans la maison. Puisqu'elle était rentrée dans la maison, elle décide de trouver Monsieur Dupuis. Six minutes plus tard… »

[Fin de l’extrait]

Globalement, l’année se passe de la manière suivante : de septembre au mois de février-mars, on les fait écrire, écrire, écrire, écrire – deux heures par semaine à peu près – et se lire les textes oralement. Un élève passe devant toute la classe, lit son texte et les autres vont lui donner des conseils ou critiquer son texte en lui disant s'ils ont trouvé des idées intéressantes ou des choses qui posent problème. À partir du mois de mars, on commence à écrire la grande histoire. Là, normalement, ils arrivent à écrire des récits plus structurés et ils commencent à lancer leur grande histoire. Alors, on a toujours un thème chaque année. Cette année, c'est le roman policier. Donc ils écrivent des histoires policières. Quand les textes sont terminés, qu'ils ont été repris plusieurs fois, améliorés, etc., on commence la partie vraiment purement « édition » – donc là c’est autour du mois de mai – où tous les élèves vont lire les textes de tout le monde, vont se mettre d'accord ensemble sur le titre – le titre des recueils puisqu’on les regroupe en recueils –, les illustrations de couverture. Chacun va faire des propositions, on va élire celui qui va dessiner, choisir les idées qu'on va mettre sur la couverture. Mi-juin, on imprime en classe tous les feuillets sur une imprimante. On relie en reliure japonaise, c’est-à-dire avec du fil et on fait des nœuds autour des feuillets. Ça fait un rendu qui est très joli. Puis, surtout, c'est un rendu qui est très pratique parce que techniquement ça demande d'apprendre mais, en termes de matériel, ça demande très peu de chose. Et puis, à la toute fin d'année, on vend, on organise des ventes dans l'école. Les petits livres sont vendus deux euros pièce pour que tout le monde puisse s'en offrir au moins un.

Ce projet, et le fait notamment d'écrire beaucoup, leur a permis et leur permet encore de progresser dans plein d'aspects différents. D'abord en rédaction, on le note, on le voit au fur et à mesure de l'année. Et c'est rigolo : la fin de l'année, on leur demande de reprendre leurs cahiers d'auteurs et de lire leurs premiers textes de l'année. Et, souvent, ils sont assez étonnés de voir d’où ils venaient et où ils sont arrivés en termes de qualité d'écriture. Ça leur permet aussi de progresser beaucoup en lecture, parce qu'on lit pas mal pendant l'année autour du thème – là, on lit beaucoup de petits textes policiers – et, du coup, on lit un peu différemment parce qu'on va chercher dans les œuvres qu'on lit comment l'auteur fait pour créer ses effets, comment il fait pour faire du suspense, comment il fait pour présenter son personnage avec l'idée qu'on va pouvoir réutiliser ses idées après. En parallèle de ça, il y a un deuxième projet. Depuis deux ans, Marie et moi, on organise un concours d'écriture dans l'école, ce qui permet aux élèves de CE1, CE2 et CM2 de proposer des textes sur un thème différent du nôtre. Cette année, le thème, c'est « Bonne nuit » et nos élèves, là, ils vont recevoir les textes et ils vont devoir en faire un recueil. Mais ils sont purement éditeurs, ils n'écrivent pas dans ce recueil-là.

[Extrait 2 : Marie Bosch donne des consignes à ses élèves pour qu'ils sélectionnent un texte]

« MARIE BOSCH : Vous allez ensemble écrire : quelles sont les idées intéressantes ? Est-ce qu'il y a des choses qui posent problème ? Ça vous dit quelque chose, ça, non ? Idées intéressantes, choses qui posent problème, c'est ce qu'on fait en rédaction. Et, après, est-ce que le texte est retenu ? Qu'est-ce que ça veut dire s'il est retenu, Ahmed ?

L'ÉLÈVE : Est-ce que le texte est gardé ?

MARIE BOSCH : Est-ce que vous le gardez ? Pourquoi ? Essayez d'expliquer pourquoi vous gardez ce texte.

[Des élèves argumentent sur un texte]

ÉLÈVE 1 : Dans la nuit, il y a une forêt. Dans cette forêt, il y a une maison. Dans cette maison, il y a une chambre. Dans cette chambre, il y a un lit. Et, dans ce lit, il y a un enfant. Sa maman lui dit : “Bonne nuit.”

ÉLÈVE 2 : Moi, je pense qu'il n’y aura pas beaucoup de poésies dans le recueil et il faut qu'il y en ait au moins une.

ÉLÈVE 3 : Moi je trouve que la poésie est bien car en fait elle est belle et bonne.

ÉLÈVE 2 : Elle est belle, elle est bien écrite.

ÉLÈVE 4 : J'avais trouvé qu'il ne raconte pas du tout ce qu'il dit. J'ai trouvé que c'est un peu court comme histoire et il y a beaucoup de choses qui posent problème.

ÉLÈVE 2 : Qui est pour qu'il soit retenu ? Ferdaous, t’es pour ?

ÉLÈVE 5 : Oui, je suis pour.

ÉLÈVE 3 : Moi j'aime vraiment bien cette poésie, elle est vraiment très intéressante.

ÉLÈVE 2 : Et toi ?

ÉLÈVE 6 : Ça va, pour.

ÉLÈVE 2 : Donc le texte est accepté. »

[Fin de l’extrait]

Le fait de cadrer au début les échanges et de bien dire qu'on n'est pas là pour dire « J'aime, j'aime pas » mais de dire que j’ai trouvé l'idée intéressante ou une chose qui pose problème, ça permet vraiment qu'on parle du texte et pas de la personne. Et ça, ça les a mis en confiance et ça a créé de la confiance entre eux. La classe que j'ai cette année, c'est une classe où il y avait peu de confiance les uns dans les autres, il y avait beaucoup de ricanements, beaucoup de moqueries au début de l'année et ça, c'est totalement terminé. On a vraiment une ambiance de classe très agréable aujourd’hui. Je trouve que ça a aussi des bienfaits dans la relation avec les parents parce qu’ils sont d'abord très fiers du travail de leurs enfants en fin d'année. Souvent ils le découvrent à la fin de l'année – ils en entendent parler pendant l'année mais c'est vraiment à la fin de l'année qu'ils se rendent compte de tout ce qu'on a fait –, et ils sont très, très fiers. Et puis, en fin d'année, on leur demande aussi de venir nous aider pour faire de la reliure. Et ça, c'est un moment très agréable parce qu'ils viennent dans la classe, ils voient leurs enfants travailler, ils sont moins performants que leurs enfants parce qu'ils ne savent pas relier alors que leurs enfants savent le faire. Ça met les enfants dans une position assez sympa de devoir apprendre quelque chose à leurs parents et ça c'est vraiment chouette. Et puis c'est aussi une aventure humaine pour Marie et moi parce que ça fait cinq ans qu'on travaille là-dessus. C'est extrêmement vivifiant en termes pédagogiques. Je pense que si on devait arrêter la maison d'édition aujourd’hui… il faudrait trouver autre chose mais ce serait dur de faire sans.