Ouvrir l’école en soirée pour organiser des veillées pyjama, c’est le projet mis en place par Valérie Cordani, enseignante à l’école maternelle de Sainte-Livrade-sur-Lot.

Après deux années d’interruption suite aux restrictions sanitaires, l’excitation est palpable en cette soirée humide de novembre pour la reprise des veillées : poussettes, doudous et pyjamas se sont retrouvés autour de la conteuse Catherine Bohl, venue présenter sa dernière inspiration « Bakari et la lune ». L’équipe d’Extra classe a pu poser ses micros au milieu du public pour recueillir la magie suscitée par le conte auprès des enfants et de leurs parents. Une initiative loin d’être anodine car elle vise à développer la coéducation et la prévention de l'illettrisme dans cette école rurale classée REP+ dans un quartier prioritaire de la ville.

  • Hurtig-Delattre Catherine (dir.), Coéducation. Des clés pour une responsabilité partagée, série « Bien vivre l’école », Réseau Canopé, 2022.
  • Cordani Valérie, Passion d'école. Des chemins de coéducation pour accueillir l'enfant et sa famille, L'Harmattan, 2021. 
  • Plume contante, association qui défend la nécessité de favoriser, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, l’échange et le partage en prenant le livre et le conte comme fil conducteur.

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La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Aurélie Dulin

Grâce à l'appui technique de : Gérard Meunier

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Blaise Royer

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2023


Transcription :

Je m’appelle Valérie Cordani. Je suis enseignante dans une petite école rurale, dans un réseau d’éducation prioritaire, sur un quartier prioritaire [de la] politique de la ville. J’ai une classe de tout-petits – c’est un dispositif [d’accueil des enfants] de moins de 3 ans. Et j’ai aussi la direction de l’école et la coordination du réseau d’éducation prioritaire.

[Extrait d’une séance de veillée pyjama]

« VALÉRIE CORDANI : Coucou. Catherine, qui est prête, qui est prête ! Attention : Catherine va bientôt commencer. [Des familles arrivent] Bonsoir. [Elle s’adresse à une mère d’élève] Vous êtes courageuse de venir avec la pluie.

CATHERINE BOHL : On va commencer par éteindre la grande lumière. Comme ça, ça nous mettra dans l’ambiance.

VALÉRIE CORDANI [chuchotant] : Tu peux aller t’asseoir si tu veux, Léa. »

[Fin de l’extrait]

Alors, une veillée pyjama, c’est une veillée que l’on positionne autour de 19 h. C’est une veillée où on vient en famille, c’est-à-dire que sont accueillis les bébés, mais [aussi] les enfants de l’école primaire. Et on arrive en pyjama, après avoir pris un gros goûter ou un petit souper. On a pris la douche, on est prêt à aller au lit. On vient avec son doudou, sa sucette, en pyjama, écouter des histoires à l’école avant de s’endormir.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine chante puis commence une histoire]

« Il était une fois, dans un tout petit village, sur une île, une maison, une jolie petite hutte… »

[Fin de l’extrait]

Catherine [Bohl], c’est une conteuse qui est sur notre territoire depuis environ quarante ans. Il y a longtemps qu’elle travaille avec son association Plume contante. Elle lit partout : elle va lire dans les Ehpad [établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes], elle va lire dans les crèches, elle va lire dans les salles d’attente de la PMI [Protection maternelle et infantile]. Elle va conter aussi. Elle se nourrit d’histoires, et elle est dans la transmission de toutes ces histoires de toute origine, de toute culture.

J’enseigne sur un territoire fragile, avec une population issue de l’immigration. Donc nos élèves n’ont souvent pas la langue française parlée à la maison ou très peu. Et pas d’accès aux livres ou à la culture. On a essayé de voir quel était notre pouvoir d’agir sur ces familles, en passant par les enfants, bien sûr, en les nourrissant d’histoires.

L’entrée, c’était vraiment de leur donner envie, d’abord, d’écouter des histoires et, donc, d’avoir des livres, de toucher des livres, de désacraliser l’objet-livre. Et inciter les familles, en les invitant sur des ateliers enfants-parents, à reprendre chez elles une transmission orale, une transmission par des comptines, une transmission par des contes de leur culture. Et si elles ne savent pas lire, elles peuvent très bien continuer à transmettre des choses qu’elles ont reçues dans leur enfance. Donc, [l’entrée] c’était de les amener à progressivement changer les habitudes.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine poursuit son conte]

« Dans cette hutte vivait une mama, une petite maman. Chaque jour… »

[Fin de l’extrait]

Alors, hier soir, elle a fait le choix de partir sur des contes d’Afrique, parce qu’elle rentrait d’un voyage au Sénégal. Elle était pieds nus, bien ancrée, face à son castelet. Le spectacle s’intitulait Bakary et la lune. Et pour cela, elle avait préparé un théâtre d’ombres, des marionnettes, elle avait des instruments de musique. Elle prépare tout un univers, qui se met en place dès qu’on éteint un petit peu les lumières et que dès qu’elle commence son histoire.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine chante]

« Olele moliba makasi. Olele… »

[Fin de l’extrait]

L’entrée par le conte, c’est une entrée universelle. Dans la construction psychique de l’enfant, effectivement, le conte lui permet de construire ses repères. Il y a toujours une structure dans le conte… Comme dit la conteuse, il y a un squelette autour duquel elle tisse. Il y a effectivement souvent un gentil, un méchant, des choses compliquées qui arrivent. Mais il y a toujours des solutions dans la vie. C’est un petit peu ces repères-là qui se mettent en place.

Les résultats en compréhension sont là. Le constat, quand les enfants rentrent au CP, c’est une entrée dans la lecture qui est facilitée, une compréhension de la langue écrite qui est facilitée et une compréhension de l’oral [qui est facilitée]. La conteuse nous le dit aussi, c’est son regard à elle. Il est objectif aussi. C’est-à-dire que, quand elle vient conter chez nos grandes sections, elle se rend compte qu’elle peut proposer des choses qu’elle proposerait ailleurs en CE1 ou CE2, parce qu’ils sont nourris depuis l’âge de 2 ans, depuis la toute petite section. Ils ont un imaginaire débordant : en moyenne et en grande section, ils sont capables d’inventer des histoires où ils vont reprendre des éléments de contes. Il y a une structure du récit : il y a un début, il y a une fin, et une quête. Il y a toute cette construction-là qui se met en place et qui est vraiment importante, pour eux, dans leur parcours scolaire par la suite.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine s’adresse aux parents]

« Oui, vous pouvez venir sur le tapis, les papas et les mamans aussi. C’est pour se relever après… [rires] »

[Fin de l’extrait]

Ce projet, ça apporte aux parents un autre regard sur l’école. Ce n’est plus un endroit où ils viennent simplement déposer leur enfant. Ce n’est plus un endroit où on est en attente de résultats et où on les convoque si ça ne se passe pas bien. C’est un espace où ils sont accueillis. C’est un espace où ils créent du lien social. Et un niveau d’échanges, je dirais, très respectueux, très réfléchi, un questionnement sur son enfant qui est riche. On ne peut aller que vers du mieux dans la relation école-famille, parce qu’à partir du moment où les parents s’interrogent et ont envie de venir à l’école, l’enfant entre beaucoup plus facilement dans les apprentissages. Il sait que la relation de confiance entre son parent et l’enseignant est établie. Il y a très peu de conflits depuis qu’on travaille de cette façon-là : au niveau du climat scolaire, je n’ai quasiment jamais de relations conflictuelles avec un parent.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine poursuit son conte en faisant participer les enfants]

« Et des… [les enfants crient la réponse] bleus. Oh ! Et des… [les enfants crient la réponse] verts. Et des… [les enfants crient la réponse] violets… »

[Fin de l’extrait]

Alors moi, je dirais que j’ai déjà baigné dans ça parce que ma maman était enseignante dans un petit village, et que je suis allée dans sa classe, toute petite. C’est quelque chose qui m’a toujours passionnée. Et après, il y a plusieurs choses, j’en parle dans mon livre aussi [Passion d’école. Des chemins de coéducation pour accueillir l’enfant et sa famille, L’Harmattan, 2021]. J’ai commencé à 19 ans [et je me souviens toujours de] cette inspectrice qui m’a dit un jour : « N’oubliez pas que tous les matins, quand un parent vous confie son enfant, il vous confie ce qu’il a de plus précieux. » Ce n’est jamais sorti de ma tête, même quand je n’étais pas maman.

Comment faire pour que, finalement, leurs enfants grandissent en s’épanouissant à l’école ? Il faut faire avec eux, c’est-à-dire que [pour] l’enfant, ses parents, c’est sa dimension familiale et on ne peut pas faire sans. Donc il faut qu’on puisse se nourrir de ça et se nourrir réciproquement, avec les familles. C’est-à-dire qu’il ne faut pas que l’école soit un sanctuaire où on ne sait pas ce qui se passe, où on ne comprend pas ce que l’enfant fait dans sa journée s’il n’en parle pas. Donc pour ça, il faut accepter d’être ouvert. Alors cette ouverture, c’est une ouverture aux autres, et cette ouverture aux autres, je pense que peut-être je l’ai toujours eue. Mais après, c’est une évidence dans ma pratique, je ne me vois pas faire sans. Il n’y a pas l’enfant d’un côté et la famille de l’autre. Tout est étroitement lié.

[Extrait de la veillée pyjama : Catherine a terminé son conte et s’adresse à tout l’auditoire]

« Et moi je vous dis : merci beaucoup, et à bientôt. [Applaudissements et exclamations d’enfants] »

[Fin de l’extrait]