Qui n’a jamais regretté de ne pas avoir reçu sa lettre d’admission à Poudlard ? Les élèves de CE1 de l'école Keller (75), eux, l’ont bien reçue. Baguettes magiques, potions, sortilèges et chapeaux pointus ont-ils leur place dans une salle de classe ? Caroline Joly, enseignante en CE1, s’est emparée de ces éléments issus de l’univers d’Harry Potter pour créer une meilleure cohésion au sein de sa classe et un climat propice aux apprentissages. Les élèves apprentis sorciers, qu’ils soient de Gryffondor, Serpentard ou autres, participent à la coupe des quatre maisons. Pour la remporter, il leur faut s’entraider et s’impliquer. Ce projet de classe permet de stimuler la motivation des élèves, de contribuer à leur engagement individuel et collectif ainsi que d’encourager leurs efforts. Après une année d’expérimentation, Caroline revient sur les résultats remarquables qu’elle a pu constater.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Alix Ibar

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétaire de rédaction : Blaise Royer

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2023


Transcription :

Caroline, je suis dans une école du 11ᵉ arrondissement à Paris. Avant ça, j’ai travaillé huit ans en REP [réseau d’éducation prioritaire] et avant je travaillais dans une école française à l’étranger.

[Extrait d’une séance de classe]

« CAROLINE JOLY : Léonie et Lucas, ils ne connaissent pas encore le système de notre classe Harry Potter. Alors, c’est quoi cette histoire de maison ? Comment ça s’est passé dans la classe ?

UNE ÉLÈVE : En fait, on a tous été répartis dans quatre maisons. Comme dans Harry Potter. »

[Fin de l’extrait]

Moi, j’ai lu Harry Potter quand j’étais au collège et au lycée, un peu comme tout le monde, je pense. J’aimais bien la thématique, mais je n’étais pas non plus une fan absolue. Par contre, j’avais envie de trouver quelque chose de fédérateur. Et, en fait, une collègue à moi dans une ancienne école m’a dit : « Moi, je fais une classe Harry Potter. On pourrait faire une correspondance. »

J’avais envie qu’il y ait une vraie ambiance d’équipe dans ma classe et je me suis dit que ça pouvait peut-être fonctionner avec les maisons. Et, en fait, je me suis complètement prise au jeu. J’ai fait des recherches, et puis j’ai commencé à décorer ma classe. J’avais envie que mes élèves soient le plus dépaysés possible en arrivant dans la classe. Ça a tellement bien fonctionné que, l’été dernier, j’ai mis du papier peint en fausses briques sur l’intégralité d’un mur. On a une grande pancarte de Harry Potter, des posters avec les maisons de Harry Potter, des petites fioles transparentes dans lesquelles j’ai mis des liquides colorés pour qu’on ait l’impression qu’il y a des potions. Il y a des capes de sorcier, une vieille valise, des chapeaux, des baguettes magiques, des vieilles cartes… En tout cas, plein de petites choses qui nous rappellent le monde de Harry Potter.

Mon directeur a été plus qu’emballé. Il était un peu sceptique, je pense, au départ, parce qu’il s’est dit : « Bon, qu’est-ce que c’est que cette affaire de sorciers ? » Puis, au final, il voit que l’ambiance de classe est excellente. Les parents adorent. Le fait d’avoir une lettre qui arrive la veille de la rentrée par la poste, il y a un côté… ils retrouvent un peu leur âme d’enfant. Et les parents aussi ont lu Harry Potter. En général, tout le monde est assez réceptif et ça marche assez bien.

[Extrait d’une séance de classe]

« CAROLINE JOLY : Vous avez tous été répartis dans une maison.

UNE ÉLÈVE : On a commencé à donner des points. »

[Fin de l’extrait]

Alors les points, en fait, ça, ça va dépendre du travail et du comportement. On peut gagner des points et on peut en perdre. On perd des points si on n’a pas fait ses devoirs, si on s’est bagarré, si on s’est mal conduit, si on a détérioré le matériel de la classe, si on a été irrespectueux avec un camarade. Et puis après, on va pouvoir gagner des points si on a vraiment bien fait son travail, si on a fait un effort – parce que l’idée, ce n’est pas non plus que le résultat soit juste, c’est de les encourager. Donc un élève qui va être en difficulté, même s’il a loupé son exercice et qu’il a vraiment fait un effort, il va faire gagner des points à son équipe. Un élève qui va avoir aidé un camarade, ça va faire gagner des points, [et aussi] une attention particulière : tout ça, ça fait gagner des points. Les points sont notés sur une affiche et à la fin de la semaine, les préfets calculent le nombre de points et ils sont notés et mutualisés sur une feuille. Puis en fin d’année, on va compter les points de chaque semaine pour voir quelle équipe a gagné le plus de points.

[Extrait d’une séance de classe]

« CAROLINE JOLY : Les préfets, vous n’en avez pas parlé. Qui veut expliquer ?

UN ÉLÈVE : C’est comme un délégué qui change chaque semaine. Mais avec un peu plus de rôle. »

[Fin de l’extrait]

Les préfets, c’est un peu les chefs d’équipe de chaque maison. Ils changent toutes les semaines ou tous les quinze jours. Je préfère tous les quinze jours parce que ça leur donne du temps pour s’investir un peu dans leur rôle.

Ils ont plus de liberté que les autres enfants, mais ils ont aussi plus de responsabilités. Donc c’est eux qui vont corriger les devoirs. Ils ont le droit de se lever à tout moment pour aller aider un camarade. Ils vont aider à régler les conflits pendant la récréation. Donc ils vont, comme ça, être un peu les chefs de bande et les alliés de la maîtresse pendant quinze jours.

Ils sont obligés d’être exemplaires. Le préfet doit montrer l’exemple. Donc ils sont vraiment très très investis et ils adorent. Ils sont fiers d’être préfets. Et puis ça montre qu’on leur fait confiance. Donc ils sont hyper contents.

[Extrait d’une séance de classe]

« CAROLINE JOLY : Alors Serdaigle ? Y a-t-il des volontaires pour Serdaigle ?

UN ÉLÈVE : Ella l’a déjà été. Alors puisque Bianca ne l’a jamais été, c’est…

CAROLINE JOLY : Moi je mets un bémol sur Bianca. Pourquoi ? Parce qu’au dernier conseil des élèves, il y avait trop d’étiquettes rouges. Et donc Bianca doit encore faire ses preuves avant d’être préfète. »

[Fin de l’extrait]

Le conseil des élèves, c’est une fois par semaine. Il est géré par les préfets. Les élèves ont accès à des papiers de couleur. Il y a des papiers bleus, des papiers verts et des papiers rouges. Ils peuvent les prendre quand ils veulent et les mettre dans la boîte quand ils veulent.

Le papier rouge sert à régler les conflits ou les problèmes : « J’ai eu un problème avec tel enfant et je n’ose pas en parler en classe. » Ou bien : « Lui, il m’a embêté pendant la récré, donc je pense qu’il faut en parler. » Ensuite, il y a les papiers bleus qui sont là pour permettre de proposer des choses : « Moi, j’aimerais bien qu’en classe on lise ce livre-là. » Ou bien : « Moi, j’aimerais bien qu’on fasse cette sortie-là. » Et les papiers verts, c’est pour remercier et féliciter ; et dire : « Bon bah voilà, ce camarade-là, cette semaine, il m’a vraiment aidé, ça m’a encouragé. » Et donc ça permet aussi aux enfants, toujours pour l’ambiance de classe, de se motiver et d’être bien dans leurs baskets.

Et donc, une fois par semaine, on va prendre la boîte. On va lire tous les petits papiers, on va en discuter, on va régler les conflits. Je n’ai plus aucun souci de classe. J’ai une élève qui arrivait en début d’année, qui a une reconnaissance de handicap et qui avait des troubles du comportement. Elle était très violente. Elle était dans le refus complet de travailler en équipe. Elle refusait d’être avec les autres, donc c’était un conflit permanent.

On en a beaucoup discuté en conseil des élèves, les élèves se sont emparés des billes rouges. Ils en ont parlé avec elle. Les préfets ont géré les débats. On a fait évoluer, on a fait le point au fur et à mesure des semaines et maintenant il n’y a quasiment plus aucun problème. La preuve, cette élève-là et devenue préfète cette semaine. Ce sont les élèves qui ont dit : « On va lui donner sa chance parce que, là, maintenant, ça y est, on est prêts. » Si j’avais dû régler ça toute seule, en faisant du directif, ça n’aurait jamais marché.

Moi, je ne voulais pas être enseignante. Moi, je voulais faire du théâtre, je voulais être comédienne. J’ai fait une fac d’arts du spectacle. J’ai passé le diplôme d’institutrice un peu par hasard parce que je voulais avoir un diplôme en back-up. Et en fait, à partir du moment où j’ai été dans une classe, c’était fini, j’ai adoré ça.

Pour moi, les projets transversaux sont indispensables. Bien sûr, on est là pour apprendre. Bien sûr, on est là pour évaluer les enfants, voir comment ils progressent et pour les faire avancer et pour leur apprendre des choses. Il n’empêche que les enfants sont six heures par jour avec nous, du lundi au vendredi. S’ils ne se sentent pas bien dans leur classe, et si on ne fait que de la grammaire, de la conjugaison, des maths et un peu de sport de temps en temps… évidemment qu’on y arrive, mais ils sont beaucoup moins motivés. Ils ont beaucoup moins envie d’aller à l’école. Le fait de mettre en place des projets transversaux, de faire du cirque, de faire du théâtre, d’avoir un thème de classe, les enfants savent qu’ils vont faire des choses sympas et ça les motive. Ils ont envie de venir et ils ont envie aussi de me faire plaisir parce qu’ils savent que c’est un peu du donnant-donnant. Et les résultats sont juste extraordinaires.

L’année dernière, j’ai fait de l’accrobranche en sortie de fin d’année. Il y avait des parcours différents et il y avait des élèves qui avaient énormément de mal. Les animateurs de l’accrobranche m’ont dit : « Moi, je n’ai jamais vu une classe comme ça, où les enfants viennent autant s’aider les uns les autres. C’est hallucinant. Je n’ai jamais vu ça. » Parce qu’il y a des enfants qui n’osaient pas aller sur des parcours, et donc il y a des enfants qui sont allés sur des parcours plus faciles, juste pour encourager les copains. Donc au niveau de l’ambiance de classe c’est magique. Et on n’a jamais d’aussi bons résultats que quand les enfants se sentent bien dans leurs baskets.

[Extrait d’une séance de classe]

« CAROLINE JOLY : Est-ce que vous trouvez que c’est motivant ?

LES ÉLÈVES : [de concert] Oui, oui, oui, oui, beaucoup.

CAROLINE JOLY : Pourquoi c’est beaucoup motivant ?

UN ÉLÈVE : Imagine que tu es tout seul et qu’il y a un problème que tu ne sais pas. Eh bien, tu ne pourras pas le résoudre tout seul ; alors que quand tu es en maison, il y a des camarades pour t’aider dans ta maison. »

[Fin de l’extrait]

Après, au niveau de la préparation et de la mise en place, soyons honnêtes, ça prend quand même un peu de temps. Moi, j’ai passé énormément de temps à décorer la classe, mais aussi parce que j’en avais envie. Et puis, une fois qu’on a fait ça, honnêtement, ça roule et il n’y a plus rien à faire pendant l’année.

Tout est possible. On peut prendre n’importe quelle histoire, n’importe quel thème. Ça peut être les contes de fée, ça peut être le voyage… Moi, j’enseigne depuis dix-neuf ans, donc forcément, je suis une vieille maîtresse, maintenant, j’évolue. Mais les choses se font petit à petit, avec l’expérience aussi. En se lançant tout de suite un petit peu, au fur et à mesure, on progresse et on y arrive. Le tout, c’est d’oser et d’y aller à fond.