Capucine Ray est professeure d'EPS dans un collège à Pantin depuis douze ans. Elle a vu naître en 2013 le projet « Jaurès à Vélo » qui consistait, à l’origine, à organiser un voyage à vélo jusqu’au Mont-Saint-Michel. Au fil du temps, le projet s’est étoffé jusqu'à intégrer la pratique du théâtre pour faire passer un message de sensibilisation au développement durable. Accompagnés par une troupe de théâtre itinérante et par une équipe pédagogique pluridisciplinaire, les élèves se confrontent ainsi à l’écriture et au jeu d’interprétation pour préparer ce voyage au long cours dont ils seront les acteurs sur scène comme sur la selle.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et réalisée par : Alix Ibar

Grâce à l’appui technique de : Nadjim Mioudi

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Aurélien Brault

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2023


Transcription :

Je m’appelle Capucine Ray, je suis professeure d’EPS [éducation physique et sportive] au collège Jean-Jaurès de Pantin [93] depuis 2011. Dans ce collège REP+, j'ai rencontré mon collègue d’EPS, Benoît Fayard, passionné de voyage itinérant à vélo pour ses loisirs.

Benoît nous a proposés, avec d'autres collègues, de monter un voyage avec les élèves dans l'objectif de les sortir du quartier, de leur faire découvrir la France et aussi la pratique du vélo.

[Extrait 1 : Capucine Ray s’adresse à un groupe d’élèves]

« On va vous répartir en trois groupes : un atelier qui fera théâtre avec Grégory ; un atelier qui fera théâtre aussi sur l'écriture de la pièce avec des professeurs ; et un groupe qui travaillera un petit peu sur l'itinéraire du voyage. »

[Fin de l’extrait]

Pour nous, ici, c'est un contexte socioprofessionnel compliqué. Du coup, on ne voulait pas que ça coûte beaucoup d'argent aux élèves, on voulait les rendre acteurs dans la création du voyage en leur disant : « Tu donnes de ton temps et, à la fin, tu auras créé un voyage auquel tu vas participer. » Donc leur montrer aussi qu'on n'est pas obligés de voyager avec des moyens énormes. En 2013, on se voyait une heure par semaine. L'équipe était constituée de cinq enseignants de différentes matières : SVT, histoire, EPS, technologie. Le but, aussi, c'était de montrer aux élèves que tout ce qu'on faisait dans les différentes disciplines scolaires pouvait avoir un lien et créer du sens dans ce qu'on faisait à l'école.

[Extrait 2 : échanges entre Capucine Ray et ses élèves]

« CAPUCINE RAY : Ah ! [Prénom d’un élève] qui demande ce que c’est qu'une abbaye.

UN ÉLÈVE : C'est pas un bâtiment, une construction, un peu… une sorte d’église ?

CAPUCINE RAY : Oui, c’est une sorte d'église, c'est un lieu où vivent des moines […] Le Mont-Saint-Michel, c'est un îlot sur lequel a été construite cette abbaye. »

[Fin de l’extrait]

On est souvent allés en Normandie, c'est vrai, parce que ce n'est pas loin de Paris et que c'est une région où il y a plein de petites routes – donc c’est assez sécurisé pour faire du vélo. Et puis on avait aussi envie de leur faire découvrir un lieu emblématique de la France, le Mont-Saint-Michel, qui est un super lieu touristique, et hyper impressionnant en termes d'architecture et de biodiversité. Découvrir ce phénomène de marée, c'est quand même assez incroyable. Depuis 2020, on a encore plus voulu rapprocher ce projet de la nature et parler du développement durable, de l'écologie. On a essayé de faire évoluer nos séances, on parlait beaucoup plus de réchauffement climatique, de biodiversité, de nature, parce qu'ici c'est un environnement hyper citadin.

[Extrait 3 : Capucine Ray et ses élèves parlent du prochain voyage]

« CAPUCINE RAY : Pareil, ici, on va rouler le matin, faire la pièce de théâtre et rouler un peu. Mais là, il n'y aura que 22 kilomètres. La deuxième journée du voyage, elle est intense, très intense. Oui, Anaïs ?

L’ÉLÈVE : C'est combien d'heures, 30 kilomètres ?

CAPUCINE RAY : 30 kilomètres, ça fait en gros quatre heures de vélo. Mais on fait des pauses !

L’ÉLÈVE : Et 60 ?

CAPUCINE RAY : Ben 60 du coup ?

UN AUTRE ÉLÈVE : C’est deux fois plus.

CAPUCINE RAY : Avec les pauses, il faut compter huit heures. »

[Fin de l’extrait]

Nous, on est un peloton. Le but n'est pas de pédaler le plus vite possible, c'est d'être tous ensemble du matin jusqu'au soir, s’attendre, s’aider. Quand il y en a un qui a déraillé, on voit souvent un autre qui s'arrête derrière, qui l'aide à remettre sa chaîne. Le soir, sur le campement, c'est pareil. On a des tours [pour savoir] qui fait la vaisselle, qui fait à manger. Vraiment, on essaye de créer une émulation collective basée sur l'entraide et le respect des uns et des autres, et sur une communication saine. Je trouve que ce projet réussit à apaiser les tensions et à créer des rapports différents entre eux, et entre les professeurs et les élèves.

2020 : l'édition de tous les défis ! On devait partir au mois de mai, on n'a pas eu le droit de partir. Du coup, on se disait que le 15 juin ça serait bon. Ah bah non, ce n'était pas bon. Du coup, on a pu partir le 20 juin mais on n'a pu partir que six jours au lieu de neuf. Du coup, on a raccourci le trajet. Les étapes étaient donc beaucoup plus longues. L'étape qui devait faire 60 km, on en a fait 75. La météo était « avec » nous, il pleuvait – 13 °C. 75 kilomètres à avaler. On arrive à Monthuchon [50], les douches étaient froides. On devait dormir dans un stade donc pas d'abri, il pleuvait. Je me suis dit que les élèves allaient nous maudire. Du coup, j'appelle le maire qui nous trouve une salle des fêtes. Donc on a planté.. enfin, posé les tentes dans la salle des fêtes et on a appelé des salles de sport, des gymnases et un autre camping pour aller se doucher à l'eau chaude. Donc on a appelé des tonnes de gens, on a transporté les élèves pour qu'ils puissent se doucher après leurs 70 kilomètres de vélo. Donc c'est vrai qu'il y a des journées plus dures que d'autres. Et je pense que les élèves étaient au bout d'eux-mêmes en fait. Le soir, à table, on n’a pas entendu un bruit, ils mangeaient, ils sont allés se coucher, ils étaient K.-O. Et, le lendemain, il a fallu repartir. Heureusement, il faisait soleil parce que sinon – je pense – là on les achevait. Et ils étaient fiers d’eux. À chaque fois, on revient sur le positif de ce qu'ils ont fait, sur cet incroyable défi. Du coup, on essaie vraiment d'insuffler cette énergie positive et, le lendemain, c'est reparti.

On s'est rapprochés de la compagnie Cycl'Arts, qui est une compagnie de théâtre qui fait des pièces itinérantes à vélo. Et on s'est dit que, ensemble, on allait créer une pièce de théâtre pour, à notre tour, sensibiliser et donner un message original sur le développement durable, l'écologie, la protection de la planète, etc.

[Extrait 4 : échanges entre Capucine Ray et ses élèves lors d’un atelier théâtre]

« CAPUCINE RAY : Qu'est-ce que vous faites, vous ?

UN ÉLÈVE : On est sur l’acte du défilé de mode.

CAPUCINE RAY : Et quelle est la particularité de ce défilé de mode ?

DES ÉLÈVES : On aura des vêtements recyclés […] avec des matériaux réutilisés […] mais on fera des tenues avec nos mains et tout […] avec des gobelets aussi. »

[Fin de l’extrait]

En 2019, le projet a été avorté en raison de la crise sanitaire. Donc, en 2020, on leur a dit : « Vous n’avez travaillé que six mois. Si vous voulez, on repart pour le voyage en 2020. Par contre, on rajoute une dimension théâtrale. » Ça a été compliqué parce qu'ils n'avaient pas signé pour ça. Et puis on a ramé, on en a perdu certains, on en a rajouté d'autres. Puis, après, nous les professeurs, on s'est aussi investis. C'est-à-dire que, nous-mêmes, on a participé aux séances de théâtre. On n’est pas comédiens, on n’a jamais fait de théâtre. Et, du coup, le fait de se lancer, d'être enthousiastes, de donner des idées… On a essayé d'impulser une énergie positive. Et puis, après, quand on capte un peu dans le groupe quel élève est plus ou moins motivé, on essaie du coup de créer une mayonnaise pour que tout le monde s'embarque dans le truc. Donc il y a des séances qui marchent super bien, il y en a d'autres où on rame. Mais, au final, on a réussi à créer pour l'instant deux belles pièces bien abouties où chacun y a trouvé sa place, où on accorde des rôles plus ou moins importants selon les personnalités. On fait parfois plus du théâtre corporel pour ceux qui veulent un peu moins s'exprimer. Et puis il y en a d'autres qui ont beaucoup plus de textes à dire. Donc on essaie de se servir aussi des atouts de chacun et un petit peu des envies de chaque élève pour qu'au final on crée un spectacle cohérent et propre.

[Extrait 5 : Un intervenant fait un retour sur un atelier théâtre]

« L’INTERVENANT : Ne bougez plus ! Fixe ! Pas mal ! [Applaudissements]

CAPUCINE RAY : Edwige, tu m'as surprise.

L’INTERVENANT : Edwige, c'était super ce que tu as fait, excellent. Il ne faut pas hésiter. Voilà, c’est ce qu'elle a fait, elle n'a pas hésité, elle se lance. Dès qu'il y a des choses qui lui viennent à l'esprit, elle les expérimente. À vrai dire, c'est ça le théâtre. »

[Fin de l’extrait]

C’est sûr que c’est un long trajet [jusqu’à] la phase d’écriture. On a eu trois séances de découverte théâtrale où on découvre le théâtre corporel, où on fait beaucoup d'improvisations. Et puis, là, on est dans la phase d'écriture donc il faut accepter d'écrire, de revenir sur son texte pour améliorer les répliques. Puis, après, il faut accepter de le jouer, répéter. En fait, ce qui est le plus compliqué, c'est d'accepter de refaire, répéter, améliorer son texte, [travailler] la diction, parler fort – parfois, sur scène au mois de juin, on est encore obligés de tendre l’oreille pour en entendre certains. Mais oui, c'est un projet où, justement, la persévérance et l'effort sont au cœur du projet, et je trouve que ça fait beaucoup de bien à nos élèves. Un effort physique et un effort sur soi. Accepter aussi de dépasser ses limites, de se mettre en danger un petit peu sur scène. C'est sûr que quand c’est la première fois qu'ils jouent devant… on invite une cinquantaine de personnes quand même, c'est impressionnant. Je ne l'ai jamais fait mais je suis impressionnée rien que d'être à côté d’eux. Je ne sais pas si je l'aurais fait à 13 ans. Ils sont courageux et, au final, ils sont hyper fiers d'eux à la fin.

Je pense que, sur les premières années du projet, on n'était pas aussi bons que maintenant, forcément. Quand on a un enseignant qui a dix ans d'expérience, on arrive mieux à cerner les profils d'élèves et notre façon de communiquer avec eux. On essaie vraiment d'individualiser notre parole. Également en termes de compétences et de connaissances sur les sujets traités. Par exemple, je suis prof d’EPS mais, ce matin, je parlais du phénomène de marée, de géographie. Donc c'est à force de se renseigner, de se cultiver qu'on est meilleur je pense.

Il y a quelques années, j'ai croisé des élèves qui m'ont dit qu'ils aimeraient bien repartir ensemble à vélo, avec un petit groupe du projet. Je ne sais pas s'ils l'ont fait, je ne les ai pas revus. En tout cas, on leur donne l'idée que se projeter un peu plus loin, ça peut être aussi intéressant pour faire autre chose que le quotidien.