Les communautés et collectifs enseignants existent depuis longtemps, mais la maturité des outils de communication et de collaboration à distance favorise davantage leur émergence et leur diffusion à une plus grande échelle. Qu’appelle-t-on « collectifs enseignants » ? Quelles formes peuvent-ils prendre ? Qui les nourrit ? Quels en sont les leviers et les freins en matière de développement professionnel ? Quelles sont leurs activités au quotidien ? Nos deux invités, Georges Ferone, maître de conférences en sciences de l’éducation, et Charlie Rollo, professeur d’anglais et cofondateur du collectif « Team Ludens », nous éclairent sur ces enseignants qui jouent le collectif !

Quelques références citées par les invités :


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits. 

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione

Réalisée grâce à l'appui technique de : Delphine Grafmeyer (Atelier Canopé 77) et Nathalie Jetha (Atelier Canopé 78)

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Laurent Gaillard

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2022


Transcription :

HÉLÈNE AUDARD : Quand on cherche des idées ou des conseils pour une activité pédagogique, pour renouveler ses pratiques ou même simplement pour intégrer une dynamique collective quand on se sent isolé, vers qui peut-on se tourner, Régis ?

RÉGIS FORGIONE : Alors, tu peux bien sûr demander à tes collègues de terrain, c’est évident. Tu peux chercher dans des bouquins ou en ligne. Et aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il y a de fortes chances que tu tombes très vite sur des collectifs d’enseignants, plus ou moins formels, disciplinaires ou non, qui proposent toutes sortes d’activités, de contenus ou d’accompagnements.

HA : C’est à ces communautés que nous nous intéressons aujourd’hui dans « Parlons pratiques ! » : quelles formes peuvent-elles prendre ? Qui les nourrit ? Et puis, quel rôle elles peuvent jouer en matière de développement professionnel ?

RF : Et pour explorer la galaxie des enseignants qui jouent le collectif, nous sommes avec Georges Ferone et Charlie Rollo. Charlie Rollo, bonjour.

CHARLIE ROLLO : Bonjour.

RF : Alors vous êtes professeur d’anglais dans l’académie de Versailles et cofondateur du collectif Team Ludens, et également président de l’association loi 1901… j’allais dire du même nom, mais non, pas tout à fait, elle s’appelle Semper Ludens, et vous avez notamment comme ambition d’essaimer, de développer et d’accompagner par la formation les pratiques de ludification et les pédagogies actives. Mais vous nous en direz plus tout à l’heure.

CR : C’est tout bon. [rire]

HA : Georges Ferone, bonjour.

GEORGES FERONE : Bonjour.

HA : Vous êtes maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris 8/Paris Est-Créteil. Vous avez notamment travaillé et publié sur les communautés d’apprentissage en ligne et le travail collaboratif dans la formation des enseignants.

GF : C’est bien ça.

HA : Alors, première chose qu’on a envie de vous demander, Georges Ferone… C’est un peu le point de départ, quelques points de définition : communauté, collectif, communauté d’apprentissage… Est-ce que vous pouvez nous éclairer, un petit peu, dans toute cette terminologie ?

GF : Alors, je peux essayer. Vous commencez par une question qui n’est pas la plus facile. Comme vous le savez, les chercheurs discutent beaucoup sur ces notions, sur ces questions. Globalement, moi, j’utilise le terme « collectif » pour désigner des enseignants qui travaillent – on parle bien d’espaces virtuels – avec l’idée d’échanges entre pairs. Et donc, « les collectifs », c’est un nom générique qu’on utilise pour décrire tous ces regroupements d’enseignants. Et puis moi, je distingue les réseaux d’enseignants et les communautés. Les réseaux, de mon point de vue, ce sont plutôt des gens, des enseignants qui échangent des informations et des ressources. Et les communautés – m’inspirant des travaux d’Étienne Wenger, qui a beaucoup travaillé sur la question des communautés de pratiques –, ce sont des enseignants qui construisent en collectif un véritable projet. Alors, les chercheurs, je vous l’ai dit, ne sont pas tous d’accord. Si vous voyez par exemple les travaux d’Isabelle Quentin, elle donne des définitions un peu différentes. Mais je trouve que, d’un point de vue pragmatique, faire cette distinction entre des réseaux, donc des enseignants qui échangent juste des ressources et des informations, et des communautés qui développent de véritables projets, se révèle utile pour distinguer ce type de collectifs.

RF : On fera un point, notamment sur les travaux d’Isabelle Quentin, dans un instant. Charlie, de votre côté, est-ce que vous pourriez nous dire déjà quelques mots de votre collectif, de ce qui vous a rassemblés, de ce qui vous anime et, de votre côté, comment vous définissez un collectif, et plus particulièrement la Team Ludens ?

CR : Je pense que ce qui nous rassemble le plus, c’est un but commun, une passion commune. Nous, par exemple, c’est parti en effet de l’épanouissement de nos élèves par le biais des pédagogies actives. Et puis, c’est aussi un besoin de s’ouvrir à des collègues de différentes matières, d’horizons différents. Et ça nous a vraiment permis de mutualiser nos pratiques, de découvrir, de tester – et tout cela, en toute bienveillance. Ça nous a aussi permis de questionner nos pratiques, ce qu’on ne faisait peut-être pas forcément avec nos collègues. Et comme vous le disiez donc, tout cela se fait beaucoup sur les réseaux sociaux. Et je pense qu’en général, ce sont quand même les passions communes qui rassemblent les collectifs, que ce soit en effet, les jeux, les partages de pratiques enseignantes… Il y a une espèce de besoin, une envie en tout cas, d’appartenir à quelque chose qui nous passionne, qui nous fascine aussi. Et puis voilà, ces collectifs nous permettent d’échanger librement, et c’est ce qu’on fait aussi dans la Team Ludens. On partage, on mutualise, on accompagne les enseignants. On a vraiment à cœur d’évoluer dans nos pratiques mais de partager aussi tout ce qu’on découvre. Et tout cela, pour nos élèves.

HA : Régis, est-ce que tu veux bien nous faire ce petit tour d’horizon, une typologie des communautés, des collectifs, de manière à ce que l’on comprenne un peu mieux de quoi il s’agit ?

RF : Oui, alors effectivement, je vais m’appuyer sur les travaux d’Isabelle Quentin, une chercheuse qui a travaillé sur ces fameux collectifs. Elle en a défini une typologie qui est bien utile pour comprendre leur fonctionnement et qui va nous aider à aller plus loin dans cet épisode. Le premier type de collectifs qu’elle identifie, c’est le type dit « bac à sable », avec des règles de fonctionnement souples, souvent implicites, ce qui les rend parfois difficiles à comprendre pour les nouveaux arrivants. Dans ces dispositifs de type « bac à sable », elle dit que chaque action individuelle est mise en lumière et que les membres ne communiquent pas de façon organisée, sur leur collectif en tout cas.

HA : Tu nous en donnes un exemple ?

RF : Alors, le collectif qu’elle a étudié s’appelle Lemanege [Laboratoire expérimental de mutualisation d’actions novatrices en économie-gestion]. C’est un site de mutualisation de ressources pédagogiques en économie-gestion et on imagine bien ce que peut représenter ce type de site de mutualisation. Le deuxième type qu’elle a identifié, c’est le collectif de type « ruche » – en fait, il existe un continuum entre le « bac à sable » et le type « ruche ». Mais pour le type « ruche », elle explique que ce type de collectifs rassemble des membres d’une même discipline, ou en tout cas autour d’une même discipline, que les règles de fonctionnement sont assez strictes pour permettre de réaliser des tâches de type complexe, des tâches qui sont parfois à contraintes fortes et donc, qui sont réparties et planifiées à l’avance. Et dans ce type de collectifs, les individus s’effacent devant la production collective. Certains de ces collectifs collaborent même avec l’institution ou avec des laboratoires de recherche.

HA : Est-ce que Team Ludens entrerait dans cette catégorie, selon toi ?

RF : Alors, je te propose qu’on continue et que Charlie nous le dise lui-même un peu plus loin. En tout cas, Isabelle Quentin a étudié des collectifs qu’elle classe dans cette typologie de « ruche », comme les Clionautes ou encore le groupe Sésamath. Le groupe Sésamath est né en 1998 et c’est ce groupe qui produit les fameux manuels scolaires libres [Sésamath] depuis 2005. Et en préparant cette émission, Georges Ferone nous a aussi expliqué que Twictée, dispositif collaboratif d’enseignement et d’apprentissage de l’orthographe, est également du type « ruche ». Il nous en dira plus tout à l’heure puisque ce site fait partie des dispositifs qu’il a pu étudier dans ses travaux de recherche.

HA : Celui-ci, tu le connais bien. Je pense qu’on peut le préciser pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, parce que tu en es le président. Alors, ensuite…

RF : Oui, tout à fait. Il y a aussi les collectifs qu’elle définit « d’un type nouveau », sans en donner d’autre nom explicite – en tout cas, à ma connaissance. Donc, qui ne sont ni tout à fait « ruche », ni tout à fait « bac à sable ». Dans ce type de collectifs, il y a souvent la promotion d’une démarche pédagogique particulière, une forte structuration qui impose des actions de communication très organisées, un adressage à des enseignants pas forcément issus d’une même discipline comme le groupe « bac à sable », et une mise en avant des formes de reconnaissance, qu’elles soient institutionnelles ou via des laboratoires de recherche.

HA : Et là, on trouve qui, par exemple ?

RF : Là, on trouve – et je pense que Georges Ferone nous en dira plus tout à l’heure également – Inversons la classe !, qui est une association loi 1901 à but non lucratif, qui s’appuie et qui promeut notamment la formation par les pairs et la mise en réseau des enseignants. Mais si j’en crois leur site web, actuellement, Inversons la classe !, c’est terminé. Il y a aussi Les Savanturiers – École de la recherche, qui est un programme éducatif qui promeut l’éducation par la recherche, au niveau national et international, en proposant des projets pédagogiques, des formations et des ressources et méthodologies scientifiques.

HA : Est-ce qu’on a fait le tour ?

RF : Alors, on n’a pas encore fait le tour. Il existe une dernière catégorie parmi celles qu’Isabelle Quentin a identifiées, qui sont les groupes dits « informels ». Alors, par définition, ce sont les plus difficiles à analyser. Mais la chercheuse propose quand même quelques caractéristiques pour les identifier : ce sont des réseaux qui permettent d’échanger et coopérer sans s’obliger à respecter des règles strictes, avec une participation libre aux activités, au moment où chacun le souhaite, et qui n’ont aucune relation particulière entretenue, que ce soit avec l’institution ou avec la recherche. Voilà pour ce petit point autour des travaux d’Isabelle Quentin.

HA : Merci Régis. Charlie, est-ce que vous êtes d’accord pour mettre Team Ludens plutôt dans la catégorie « ruche » ? Et voulez-vous nous en dire un peu plus sur vos activités ?

CR : Je ne sais pas vraiment si on se retrouverait dans le type « ruche ». La Team Ludens est composée majoritairement d’enseignants de différentes disciplines. Je me retrouve beaucoup plus dans la troisième forme, qui serait donc soit « le bac à ruche » ou « la ruche à sable ». En fait, on a vraiment une organisation qui est très ordonnée. Chacun a sa mission. On peut beaucoup déléguer, on discute beaucoup entre nous. On a dû en effet mettre en place une organisation qui est obligatoire, parce qu’on a développé beaucoup de projets et qu’avec tous ces projets qui se sont multipliés, et qui se créent les uns après les autres, on a eu besoin de mettre tout ça en avant à travers une organisation. Et notre organisation passe principalement par les discussions. On discute beaucoup entre nous et, de ces discussions, vont naître les projets. Ces projets, eh bien, on va devoir les valoriser, c’est-à-dire les mettre tous en avant sur notre site. Sur les réseaux sociaux aussi, beaucoup. Donc ça, ça demande également du travail. Et puis à côté, on a les accompagnements des collègues. Donc nous, entre nous, on monte en compétences mais on accompagne également les collègues lors de temps d’ateliers qu’on prépare en ligne. Donc, on a beaucoup de choses à préparer et cela demande en effet un « travail de ruche », pour le coup. [rire]

RF : Georges Ferone, entre ce que dit Charlie Rollo, les travaux d’Isabelle Quentin dont on a parlé et les collectifs que vous avez pu observer, qu’est-ce que vous pourriez ajouter à ce qui a été dit ?

GF : Moi, je n’ai pas travaillé spécifiquement sur la classification, puisqu’il y a des chercheurs qui ont fait le travail, et qui l’ont très bien fait, comme Isabelle Quentin… À ce propos d’ailleurs, elle a édité une page… Si vous ou vos auditeurs recherchez « communauté virtuelle » et « Isabelle Quentin », ils trouveront un listing, un recensement des différents réseaux d’enseignants. Moi, j’ai principalement travaillé avec des communautés d’apprentissage qui visaient de manière explicite le développement professionnel des enseignants. Donc, c’est pour ça que je me suis intéressé en particulier au réseau Twictée ainsi qu’à Inversons la classe ! Et pour faire un commentaire, il ne s’agit pas simplement, comme dans le type décrit par Isabelle Quentin… Ce n’est pas forcément la discipline qui joue. En fait, ce sont plutôt les modalités de travail au sein même de la communauté : les règles, le fait que vous ayez des productions, ça, ce sont des éléments qui, a priori, sont porteurs de développement professionnel.

HA : Alors justement Georges Ferone, vous parlez de développement professionnel. Est-ce que vous pouvez nous aider à le définir ? Qu’est-ce que vous entendez ? Qu’est-ce que vous mettez derrière cette notion ?

GF : Alors, là encore, rien n’est simple dans la recherche et les définitions sont multiples. Il s’agit d’un développement à la fois des connaissances, des savoirs professionnels, mais aussi de l’identité professionnelle. Cette notion est très importante, notamment si on étudie les communautés reconnues par la personne elle-même, mais aussi par la communauté, avec pour fonction – et le collègue l’a citée tout à l’heure – l’amélioration des apprentissages des élèves. Donc, voilà une définition qui permet de voir les différents éléments, c’est-à-dire qu’on a bien un développement personnel, mais qui est en lien avec un collectif et qui a pour objectif l’apprentissage des élèves.

RF : Charlie, de votre côté, est-ce que ce terme de développement professionnel résonne avec les activités que vous pratiquez, que vous produisez, au sein de la Team Ludens ?

CR : Oui, vraiment. En fait, quand on ouvre les portes d’un collectif, c’est vraiment incroyable ce qui se passe. On ne se rend pas du tout compte des « constellations » qui existent au-delà de notre établissement. On parle beaucoup de l’école et de la classe mais on parle très peu finalement, quand on arrive dans l’enseignement, de tous ces collectifs qui existent. Et je rejoins totalement ce que vous disiez. Moi, ça m’a vraiment permis de découvrir des nouvelles pratiques. En ce qui me concerne, ça a été le jeu sérieux en classe, puis la classe autonome, les pédagogies actives. Ça m’a ouvert des portes pour animer des ateliers de type informels. On n’est pas dans des formations institutionnelles, mais ça m’a permis de développer ma confiance en moi. J’ai beaucoup évolué et ça m’a permis, par exemple, de prendre ça comme un trampoline et de postuler à la DANE [délégation académique au numérique éducatif de l’académie] de Versailles, ce que je n’aurais jamais fait avant. Donc, on a tout ça. Et puis, en effet, il y a aussi tout ce qui relève des compétences peut-être plus indirectes, c’est-à-dire le sens de l’organisation. Quand un collectif évolue, en effet, il y a toute une organisation à mettre en place. Par exemple, on a créé un magazine. Il y a ici d’autres compétences qui se sont mises en place, par exemple la rédaction d’articles, la mise en page, tout ce qui est la charte graphique du collectif aussi, créer un logo… On fait des vidéos, donc on va mettre un petit teaser. Il y a tout un panel de compétences qu’on développe, qu’on ne connaissait pas avant. C’est brouillon, un petit peu, au début et puis, plus on avance, plus on monte en compétences. On rencontre des personnes… C’est ça aussi les collectifs, c’est qu’on rencontre d’autres collectifs. On grandit de la rencontre avec ces autres collectifs. Et puis, on en devient meilleur, autant professionnellement que personnellement. Je pense que ça touche les deux. Ça touche les qualités humaines et les qualités professionnelles.

HA : Georges Ferone, est-ce que ça rejoint ce que vous avez pu analyser ?

GF : Oui, absolument. Et quand vous parlez de développer des compétences personnelles, c’est vrai que quand on interroge les membres les plus actifs de Twictée, par exemple, bien souvent, ils mettent en avant d’autres compétences que celles d’enseigner : développer des projets, les compétences informatiques, exactement ce que vous venez de citer. À tel point d’ailleurs que notre équipe de recherche s’est parfois demandé si ces compétences-là, finalement, ne prenaient pas un peu le pas sur les compétences, je dirais, purement d’enseignants.

RF : Justement, Georges Ferone, pour tirer ce fil autour de deux types de compétences qui seraient développées dans ces collectifs, on a cru comprendre que l’effet sur le développement professionnel était surtout lié à la nature des interactions : d’un côté plutôt pédagogiques et didactiques, et d’un autre côté, plutôt transversales et techniques. Et ce serait plutôt le côté « didactique et pédagogique » qui contribuerait au développement professionnel ?

GF : Oui, oui, c’est vraiment ça. On le voit bien, l’effet, c’est la nature et l’intensité de l’engagement. Et ensuite, c’est ce sur quoi portent les interactions. On voit par exemple un dispositif comme Twictée, qui a énormément grandi ces dernières années. Il est compliqué, il est extrêmement chronophage de gérer entre 800 et 1 000 classes. Il y a un effet « dispositif » qui est extrêmement lourd à gérer et beaucoup d’interactions. L’essentiel des interactions sert à gérer tout ce dispositif. Et donc, la question, c’est : qu’est-ce qu’il reste comme disponibilité pour interagir sur les questions fondamentales à savoir le développement professionnel, les questions pédagogiques et puis, puisque vous visez l’apprentissage de l’orthographe, les questions de nature didactique ? Un des postulats de l’association – et pratiquement tous ces collectifs font le même postulat de développement professionnel par les pairs… Bien souvent, on voit que les interactions sur les questions didactiques se font plutôt sur des petits groupes, voire d’une personne à l’autre, et elles sont rarement l’objet de discussions et d’interactions collectives.

HA : Charlie, on parle de développement professionnel et de formation. Je crois que vous, vous avez aussi une part dans la formation. Comment est-ce que vous vous situez par rapport à ce que propose l’institution ? Est-ce que vous vous voyez comme un palliatif ou plutôt en complémentarité ?

CR : Je pense qu’on se place vraiment en complémentarité. Je pense qu’on fait ça parce qu’on ressent un besoin, un manque aussi, du coup. Il me semble qu’on n’est pas affilié avec l’institution, mais ça nous permet peut-être de mettre en place des temps plus informels, moins contraignants aussi au niveau du cadre. Et puis, ça nous permet aussi d’animer des temps de manière décontractée, durant les mercredis après-midi, sur des week-ends ou bien pendant les vacances… ce qu’on ne pourrait pas faire ou qui ne serait peut-être pas forcément accepté par les enseignants, si c’était porté par les institutions, sur ces temps-là en tout cas. Donc, voilà pour la Team Ludens, je pense.

RF : Cela nous amène à nous demander effectivement – on l’a déjà effleuré au cours de l’épisode : qui participe à ces collectifs, de quelles séquences de carrière parle-t-on ? Est-ce que ce sont plutôt des enseignants en tout début de carrière ? Est-ce que ce sont des enseignants aguerris ? Est-ce qu’on a des éléments de recherche à ce propos, Georges ?

GF : Alors, je peux parler des enseignants avec qui j’ai mené des entretiens et ceux qui sont présents, notamment dans la Twictée, et également pour Inversons la classe ! Donc, ce sont des enseignants qui sont plutôt en milieu de carrière ou, en tout cas, qui ont réglé les principaux problèmes, notamment de gestion de classe, et qui arrivent à un temps où ils ont besoin d’un second souffle. Et là, les communautés offrent des projets – et aujourd’hui, il y en a une multitude – qui leur redonnent un second souffle dans le métier. C’est ce qui permet de durer d’ailleurs, au travers de ces collectifs, puisqu’il y a… L’aspect le plus important qu’on a pu noter, nous, porte vraiment sur des questions d’identité professionnelle plus que sur des aspects didactiques, dans le sens où ça renforce fortement la confiance en soi, le plaisir d’innover, de tenter des choses. Si vous voulez parler des caractéristiques, on en trouve : l’engagement dans la formation, l’utilisation des TICE… On trouve en effet une appétence très importante pour le numérique. Vous avez des gens qui sont très en attente d’innovation et qui sont très à l’affût. Et pour ça, les réseaux communiquent beaucoup autour des innovations pédagogiques que les enseignants reprennent souvent dans leurs classes sans parfois en discuter véritablement. C’est-à-dire qu’ils adoptent de nouvelles pédagogies mais sans que ce soit au cœur des discussions qu’ils ont ensuite, entre eux. Après, il y a une distinction entre des gens qui vont chercher dans les réseaux ce qu’ils ne trouvent pas dans leur établissement et d’autres pour qui, en fait, c’est une suite logique. Ils sont déjà très investis dans leur école, dans leur circonscription, et ils s’investissent aussi dans les réseaux. Là, on peut voir des différences entre certains enseignants.

HA : Charlie, on parle justement d’engagement, d’investissement, qui peuvent être variables dans votre collectif. C’est ce que vous expérimentez, je pense ? Il y a un noyau très actif. Et puis, vous avez aussi tout un ensemble de membres ou de gens qui suivent ce que vous faites. Comment ça s’articule entre les uns et les autres ?

CR : Tu as assez bien résumé toute la problématique de la Team Ludens, qui est assez récurrente dans les collectifs, je pense. Il y a un noyau très actif et puis ensuite, en effet, il y a des personnes qui viennent et qui repartent, qu’on appelle les « joueurs en pause » – parce qu’il est vrai que nous, on s’est rassemblé autour du jeu. En effet, l’investissement, il dépend de nos vies aussi. On a pris le parti de s’investir dans un collectif et on sait très bien qu’on a aussi nos vies à gérer. On sait également que les personnes qui sont dans des collectifs sont parfois hyperactives et qu’elles sont déjà très engagées dans beaucoup de choses. Parfois, quand on voit quelqu’un, on se dit : « Ah, ce serait sympa qu’il soit dans notre collectif », et on peut le lui proposer. Ces personnes peuvent alors répondre oui, parce qu’elles ne savent pas dire non – ce qui est arrivé dans le nôtre. Donc, c’est vrai qu’on jongle entre ces différentes casquettes. Ce n’est pas forcément évident. Il y a la vie de famille, il y a la vie personnelle à côté. Donc voilà, il y a différents degrés d’investissement. En effet, il y a un noyau dur et ensuite, il y a des gens qui s’investissent plus ou moins et ça fonctionne très bien comme ça, je pense.

RF : Je vois, Georges, que vous vouliez réagir aux propos de Charlie ?

GF : Oui, c’est une caractéristique récurrente. On retrouve toujours un peu les mêmes dans les différents projets.

RF : Effectivement. Alors c’est intéressant parce qu’il y a ce côté de noyau dur, visiblement, qui sont des personnes hyperinvesties, comme le dit Charlie, qui peuvent faire partie de différents collectifs. Est-ce que ça – puisqu’on va tirer ce fil-là –, c’est du côté des obstacles et des freins de ces dispositifs ? Georges, je crois que vous aviez identifié un certain nombre d’obstacles et de freins au développement de ces collectifs ?

GF : Oui, il y a le fait d’être un peu partout. On a le risque d’être un peu nulle part, c’est-à-dire d’être très investi sur les questions d’organisation et pas assez sur des questions véritablement didactiques. Donc ça, c’est un des freins. Nous, des freins sur les collectifs, on en a identifié un certain nombre. La taille du collectif peut constituer un frein. Le fait de se sentir légitime ou pas, en fonction des statuts différents dans les collectifs, ça peut jouer. Mais le frein principal, c’est la grande difficulté des enseignants à rendre visible ce qui est invisible, c’est-à-dire à rendre leur pratique visible et en faire vraiment l’objet de discussions. C’est difficile, parce qu’exposer ses pratiques, c’est s’exposer. Donc, ce n’est pas simple. Et vous parliez de bienveillance tout à l’heure… Un autre risque, c’est que trop de bienveillance fait qu’on a du mal à garder un esprit critique par rapport à ce qui est présenté, parce qu’on ne veut pas rompre la bonne ambiance qui règne dans ces collectifs. Donc, vous voyez, c’est vraiment très difficile puisqu’à la fois, il y a une partie organisationnelle qui est extrêmement chronophage et ensuite, il y a la nécessité de prendre du temps pour se poser des questions, aller voir ce que dit la recherche, prendre le temps d’étudier. Tout ça, c’est très chronophage et il y a un certain risque, en termes d’identité professionnelle, que tout le monde n’est pas prêt à prendre.

HA : Charlie, une dernière question, justement, sur : comment est-ce qu’on fait pour que les enseignants qui arrivent se sentent accueillis, se retrouvent dans ce collectif ? On a entendu qu’il y avait certains collectifs dans lesquels il était difficile de comprendre les modalités et de s’intégrer. Est-ce que c’est une chose à laquelle vous réfléchissez ?

CR : Oui. En fait, je suis très content que vous ayez mis des mots sur ce qui se passe dans le collectif. On a un collectif très jeune. On est encore un petit peu « sauvage », même si on a réussi à trouver une organisation. C’est vrai que quand les personnes arrivent dans le collectif, elles se disent : « Woaw, il se passe mille choses, comment je fais pour m’investir ? » Et généralement, ce qu’on fait maintenant, c’est que dès que quelqu’un de nouveau arrive, eh bien, on fait une visio. On accueille tout le monde. En fait, on montre tout ce qu’on fait et ce qu’on propose, c’est de mettre un premier pas dans l’un des projets. Par exemple, si une personne est intéressée par le magazine, on va lui trouver un lien entre sa pratique de classe et la thématique du magazine. Et ça va être un point d’entrée. Pour d’autres, ça va être un atelier qu’ils allaient faire, et puis [il va intégrer cette expérience] au nom du collectif, et ça se fera petit à petit. Les personnes vont s’intégrer. Mais c’est vrai que ce n’est pas évident au début, de faire en sorte qu’on se sente chez soi, sachant que forcément, nous, on sait ce qu’on fait… Il y a des personnes qui savent à peu près tout ce qui se passe. Il y en a qui sont au courant de quelques petits projets, qui ne veulent pas s’investir plus. C’est vrai que c’est quand même bien d’avoir des personnes qui sont au courant de tout ; ce qui fait que, comme vous le disiez, on est un peu partout mais bon, on a envie de tout savoir, tout ce qui se passe, parce qu’il se passe tellement de choses qu’on a peur d’en louper. Et ça, c’est assez frustrant quand on sait qu’il se passe des choses… Mais finalement, on n’a pas le temps, donc on ne va pas pouvoir aller dans tel ou tel projet. Mais c’est vrai qu’il y a ce côté où parfois, en effet, on appuie sur la pédale de frein, on prend du temps et on essaie vraiment d’accompagner au mieux. Mais, pour le moment, on a eu personne qui est parti parce qu’il n’arrivait pas à se positionner sur l’un des projets.

HA : Merci Charlie. On arrive à la fin de cette émission, à une séquence traditionnelle, on peut dire, depuis un an… c’est une tradition. C’est l’inspiration. Et je commence avec Georges Ferone. Est-ce que vous auriez une inspiration à partager avec nos auditeurs et auditrices ?

GF : Le petit coup de cœur, ce sera d’aller voir ce qui se passe sur Twictée, et aussi dans la constellation de tout ce qui se passe autour de Twictée, où il y a des membres extrêmement actifs qui ont développé beaucoup de projets. Ça a été vraiment un plaisir de travailler pendant trois ans à étudier cette communauté et je pense qu’il y a beaucoup d’enseignants qui y trouvent leur compte. Donc voilà, ça sera mon petit coup de cœur… très objectif ! [rire]

HA : Merci, et Charlie ?

CR : Ben moi, je vais parler d’un coup de cœur qui est arrivé lors d’un événement. J’ai rencontré Mickaël Bertrand, qui fait partie depuis de la Team Ludens, et qui est aussi très hyperactif. Il avait fait un atelier où on devait justement réfléchir sur les communautés enseignantes et sur les raisons de leur existence. Et c’était très intéressant. Et je vous conseille notamment un dossier qu’il a écrit pour la revue Animation & Éducation, qui s’appelle – j’espère ne pas me tromper – « Les collectifs enseignants : des communautés de pairs sur le terrain ». C’est passionnant et en tout cas, c’est une personne qui m’inspire aussi et qui est très intéressante, suivez-la !

RF : Merci pour vos inspirations à tous les deux. On mettra les références dans les notes de l’émission. En tout cas, ce qu’on retient, c’est que c’est un sujet qui a l’air vaste et complexe, qui commence à être documenté par la recherche. On vous encourage donc à aller regarder de ce côté-là puisque j’ai cru comprendre que ces recherches mettent des mots sur ce que les enseignants vivent – c’est ce que disait Charlie Rollo tout à l’heure –, et qu’on y trouve pas mal de points communs. On a beaucoup parlé de collectifs en ligne, mais ils sont aussi physiques et on parlait aussi, en fin d’émission, du terme d’intégration : comment intégrer au mieux les jeunes arrivants dans ces collectifs ? En tout cas, si vous n’avez pas encore regardé de ce côté-là, allez voir sur les réseaux, il y a beaucoup de collectifs et vous en trouverez forcément un qui vous va bien, j’ai envie de dire. [rires] Merci, merci à tous les deux. Un grand merci Charlie, un grand merci Georges, d’avoir participé à cet épisode de « Parlons pratiques ! »

CR : Merci.

GF : Merci bien.