Le jeu pour apprendre n’est pas une idée nouvelle, mais qu’il soit numérique ou traditionnel, il revient en force depuis quelques années. Pour autant il ne s'agit pas d'un simple effet de mode mais bien d'une conception pédagogique à part entière. Le passage par le jeu améliore-t-il les apprentissages ? Dans quelles conditions et pour quels bénéfices ? De quelles manières ? Ce sont quelques-unes des questions posées à Rémi Samier, expert en apprentissage par le jeu, et à Simon Labalette, un enseignant qui crée des jeux pour ses élèves et qui les utilise dans ses séquences. Tous deux apportent un éclairage sur les dimensions cognitives et psychosociales de l’apprentissage par le jeu et abordent les notions de plaisir de jouer et de faire jouer. 

  • Rémi Samier, Sylvie Jacques, Le Développement cognitif par le jeu. Comprendre l’importance du jeu pour renforcer les fonctions cognitives et exécutives, Tom Pousse, 2021.
  • Apprendre par le jeu, base de fiches pédagogiques et de jeux de cartes et de plateau, Réseau Canopé.


La transcription de cet épisode est disponible après les crédits. 

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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Émission préparée et animée par : Hélène Audard et Régis Forgione 

Réalisée grâce à l'appui technique de : Aurélie Dulin 

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Valérie Sourdieux

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2021


Transcription :

RÉGIS FORGIONE : Hélène, il faut que je t'avoue quelque chose. En préparant cette émission, j'ai repensé au fait qu’écolier, j'étais un cancre en orthographe et pour me motiver, on m’encourageait, on m’invitait fortement à jouer au Scrabble et je peux te dire que c'était vraiment la double peine. Non seulement je ne m’amusais pas, mais en plus, je ne progressais pas d'une cédille.

HÉLÈNE AUDARD : Décidément, on est complémentaire. Figure-toi que moi, je suis une mordue de Scrabble. C'est vrai qu'il y a jeux et jeux ! Et je te propose d'en parler avec Simon Labalette, qui pratique la pédagogie par le jeu, et Rémi Samier, qui est expert en développement cognitif par le jeu.

RF : Et je crois savoir que nos deux invités pourraient bien convaincre plus d'un prof de tenter le jeu en classe.

HA : Simon Labalette, bonjour ! Vous êtes enseignant spécialisé dans une Ulis école, Ulis pour unité localisée pour l'inclusion scolaire. Votre classe est dédiée aux troubles spécifiques du langage et vous concevez des jeux en fonction des besoins de vos élèves.

RF : Rémi Samier, bonjour ! Vous êtes orthophoniste, diplômé en neuropsychopathologie des apprentissages scolaires et coauteur, avec Sylvie Jacques, de l'ouvrage, Le développement cognitif par le jeu : comprendre l'importance du jeu pour renforcer les fonctions cognitives et exécutives [Tom Pousse, 2021]. En découvrant vos biographies respectives, qu'on a vraiment raccourcies, on pourrait croire à une émission sur la remédiation par le jeu ou spécifiquement pour les élèves en difficulté ou à besoins spécifiques, mais pas du tout. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques éléments à ces questions toutes simples : le jeu pour qui et pourquoi ?

RÉMI SAMIER : Pourquoi utiliser le jeu avec tous les élèves ? Déjà, j'en profite pour remercier mes enseignants, parce qu'ils m'ont transmis quelque chose d'assez fondamental qui est le plaisir d'apprendre. La mission de l'école c'est de développer les apprentissages, les connaissances et les compétences des élèves. On peut aussi y prendre du plaisir à ce travail-là, ça peut être un jeu. Je trouve que le meilleur moyen pour faire la jonction entre les apprentissages et la notion de plaisir c'est d'introduire un peu plus de jeu dans la pratique scolaire. Il y a déjà énormément d'enseignants qui le pratiquent quand on parcourt les sites et les blogs de partage de ressources d'enseignants, il y a énormément de jeux d'adaptation, comme les Logikville, les Memory, des dominos. En revanche, on se rend compte qu’une fois passée la porte du collège et du lycée, cette pratique tend à disparaître. C’est un peu dommage, puisqu’à tout âge, on peut prendre du plaisir en jouant et tout apprentissage, même des apprentissages complexes du collège, du lycée, voire du supérieur peuvent être présentés sous des formes ludiques.

HA : Simon, le jeu c'est aussi une façon de travailler sur la confiance, la réussite et le plaisir ?

SIMON LABALETTE : Oui, la notion de plaisir est très importante et elle se situe du côté des élèves, mais également du côté de l'enseignant. Puisque le métier d'enseignant est un métier riche mais complexe et qu'une petite bulle de plaisir est toujours bonne à prendre. On travaille également le jeu, c'est une pédagogie de détour qui va développer différentes compétences chez les élèves, des compétences d'ordre cognitif pour faciliter la mémorisation de contenus, et des compétences d'ordre affectif et social, puisque ça va entraîner les élèves à entrer en communication. On peut aussi sur certains jeux de coopération amener les élèves dans des démarches socioconstructivistes. Le fait d'apprendre ensemble c'est exprimer son accord, son désaccord et son opposition. Du côté affectif, c'est se sentir exister et prendre conscience de soi. Et enfin, le jeu est une fenêtre ouverte sur le monde, donc on va avoir des apports culturels dans les jeux.

RF : Rémi, je pense, en rebondissant sur les propos de Simon, au statut de l'erreur qui est vraiment un statut à part dans la pratique du jeu en pédagogie, cette dédramatisation de l'erreur pour les élèves. Est-ce que vous pourriez nous dire quelques mots sur ce statut particulier ?

RS : Oui, ce qui fait une des propriétés intéressantes du jeu c'est que, dans le cadre du jeu, finalement l'erreur n’est pas stigmatisante. C'est en faisant des erreurs qu'on va avoir un retour d'information sur notre réussite par rapport au jeu, sur ce qu'il faut qu'on perfectionne, sur les stratégies à développer. Typiquement le jeu est une situation où l'erreur va être un retour d'information stimulant pour développer de nouvelles stratégies, rechercher de nouvelles façons de faire, se poser des questions, optimiser sa pratique. Et c'est le souhait de beaucoup d'enseignants et de pédagogues, de permettre que les élèves puissent tirer le maximum de leurs erreurs pour pouvoir progresser.

HA : C'est une sorte de cercle vertueux finalement dans le jeu, entre l'entraînement, le plaisir, la réussite. Un mécanisme qui va être un peu différent de celui qu'on peut avoir dans les apprentissages ordinaires en classe ?

RS : Oui, je peux donner un exemple. J'en discutais avec un ami qui a beaucoup joué aux jeux vidéo de stratégie. À l'époque, on pouvait faire des pauses, des sauvegardes et quand la stratégie n’avait pas fonctionné, on pouvait revenir à une sauvegarde et rechercher la meilleure stratégie. Le fait d'avoir fait beaucoup ça, pendant des heures et des heures, a développé chez lui une recherche constante de la procédure optimale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui dans sa vie de tous les jours, dans sa vie professionnelle, il va toujours essayer de trouver quelle va être la meilleure stratégie pour atteindre un objectif, la plus rapide, la plus fluide, la plus efficace. C’est quand même un pouvoir extraordinaire d'avoir pu profiter de ces temps de jeu pour développer une compétence cognitive qu'il a su transférer dans sa pratique personnelle et professionnelle.

HA : Alors justement, ces compétences cognitives, c'est ce à quoi vous vous attachez dans votre travail, parce qu'on a entendu qu'on développait des compétences psychosociales, qu’on avait un statut, un rapport différent par rapport à l'erreur et au plaisir aussi qu'on peut avoir. Mais vous, vous travaillez sur les dimensions cognitives et les fonctions exécutives, qui est, je pense, assez bien connu des enseignants spécialisés et sans doute un peu moins des enseignants en classe ordinaire. J'aimerais que vous nous expliquiez votre démarche d'analyse des jeux sous cet angle-là.

RS : La démarche qu'on a menée avec Sylvie Jacques, c'était de se dire, on est nombreux à utiliser les jeux, à la fois les enseignants, les orthophonistes, les rééducateurs de façon générale. On a eu énormément d'avancées dans le champ des sciences cognitives, mais on n'avait pas d'ouvrages qui permettaient de faire la synthèse de ce qu'apporte concrètement la pratique du jeu sur le développement de ces fonctions cognitives. Ce qu'on appelle les fonctions cognitives, ça va être, par exemple, la gestion des émotions, le langage, l'utilisation de sa mémoire, les fonctions exécutives, qui sont la capacité à raisonner, planifier, réfléchir, etc. Donc essayer d'analyser le jeu et ce qui va solliciter plus le langage, plus la mémoire, plus la gestion des émotions, c'est déjà une grille de lecture très intéressante. Et puis, nous, on s’est spécialisé dans un domaine qu'on appelle les fonctions exécutives qui vont nous permettre de faire face à des situations inhabituelles, nouvelles, difficiles, les apprentissages c'est typiquement ça. Et pour faire face à ces situations, il va falloir bien contrôler son attention, inhiber les informations qui ne sont pas pertinentes, réfléchir à sa stratégie, à planifier ses actions dans le bon ordre. On a essayé de donner une grille de lecture pour analyser les jeux sous cet angle. Puisque quand vous commencez un jeu pour la première fois, vous ne le connaissez pas, donc vous devez utiliser vos fonctions exécutives pour intégrer la dynamique de jeu et améliorer votre résultat, votre performance. En prenant conscience de ce qui se passe dans la tête de l'enfant pendant qu’il joue, on peut le mettre en flagrant délit de réussite, lui dire : « Tu as vu, tu as réussi à faire ça et ça dans ta tête, tu as réussi à bien positionner ton attention, à mémoriser les bonnes informations et si tu y arrives dans le jeu, tu peux y arriver en classe. » C’est ça notre objectif, on va stimuler les fonctions cognitives, on va mettre l'enfant en situation de réussite pour lui dire que maintenant les outils cognitifs, il les a et il peut les utiliser dans ses apprentissages et dans sa vie quotidienne.

RF : Justement, on va stimuler nos fonctions cognitives… parce que Simon produit pas mal de jeux, et on a eu la chance d'en voir quelques-uns avec Hélène et on vous encourage à aller voir sur les réseaux ce qu’il peut produire et partager… on va donc se soumettre à un exercice. Pour ne rien vous cacher, il y a un jeu que Simon a produit, qui s'appelle Picnic Panic, qu’il a transmis à Rémi. Je propose que Simon explique en quelques mots aux auditeurs en quoi consiste son jeu. Et que justement Rémi fasse l'exercice de l'analyse des fonctions cognitives exécutives travaillées dans ce jeu-là. À vous la parole Simon, c'est quoi Picnic Panic ?

SL : Alors, je vous emmène faire un petit pique-nique. Malheureusement ce pique-nique est envahi par une horde de mouche. Il va falloir éliminer ces mouches pour s’accaparer la précieuse nourriture. Picnic Panic c'est un jeu que j'ai développé pour travailler l'identification des mots dans le lexique des aliments.

HA : Rémi, il y a un objectif de travail sur le lexique. Mais, il y a d'autres dimensions. Dites-nous un peu la teneur de votre analyse de ce jeu ?

RS : Je trouve le jeu très intéressant, notamment au niveau de la dimension attentionnelle, puisque ça va solliciter énormément l'attention visuelle pour aller rechercher les séquences de lettres. Ensuite, l'élève va devoir utiliser différentes stratégies d'identification des mots. Une stratégie par décodage, on va associer chaque son à chaque lettre. Et puis une stratégie de reconnaissance de la forme orthographique directement. Mais cette reconnaissance est un peu parasitée, parce que dans toutes les séquences de lettres, il y a des mouches. Il faut trouver la meilleure stratégie pour pouvoir retrouver la bonne forme orthographique. Il faut pouvoir inhiber les informations qui sont erronées, retrouver l'information qui est juste. Et être le plus rapide, donc toujours chercher un compromis entre vitesse et précision. Parce que si je vais vite et que je réponds n'importe quoi, je ne vais pas pouvoir piocher un aliment. Les contraintes sont à la fois sur l'attention, sur la recherche de stratégie, sur la vitesse qui sollicitent plusieurs aspects des fonctions exécutives. Et le jeu est vraiment intéressant sur cet aspect-là.

RF : À l'aune de la grille d'analyse que vous proposez Rémi dans votre ouvrage, ce fameux diagramme araignée avec toutes les dimensions exécutives et cognitives d'un jeu, est-ce qu'un bon jeu doit comporter toutes ces dimensions-là ? Est-ce ça qui va en faire un bon jeu ou est-ce dans le panaché de différentes typologies de jeux qu'on va travailler différentes compétences et qu'on va faire avancer, progresser les élèves ?

RS : Vous avez raison, ça va être difficile de trouver un jeu qui va permettre de travailler toutes les fonctions cognitives et toutes les fonctions exécutives. L'intérêt des grilles c'est de pouvoir analyser les points forts que le jeu va solliciter. En fait, les chercheurs qui travaillent sur le cerveau et sur les sciences cognitives ont montré que, quand on entraîne le cerveau sur un jeu ou sur une tâche, il ne va s'améliorer que sur ce jeu ou sur une tâche très proche. Donc, pour pouvoir optimiser les bénéfices du jeu, il faut avoir des jeux très différents, une pratique ludique riche et variée pour pouvoir solliciter l'éventail des fonctions cognitives et des fonctions exécutives.

RF : Je vous propose d'écouter un enseignant qui intègre le jeu dans sa pratique pédagogique en lycée professionnel. Il s'agit de Pierre Girard Giacco, professeur au lycée Sévigné de Tourcoing en CAP ATMFC, assistant technique en milieux familial et collectif. Et on en reparle juste après.

[Extrait de l'épisode « Les Énergies scolaires #21 - Oser le jeu en lycée professionnel » du 15 septembre 2021]

« Quand j'ai commencé à construire des jeux, j'ai commencé avec des choses très basiques. C'est compliqué de se lancer dans la construction de jeux. Au début, on est un peu perdu, on n'ose pas trop. Et puis commencer par des choses qu'on connaît. Donc là, j'ai une boîte d'un Memory, j'enseigne l'entretien du linge en milieu familial, et on a les étiquettes à savoir déchiffrer avec tous les codes. Il y a des codes très simples, que tout le monde connaît et puis, il y en a qui sont très compliqués. J'avais commencé par construire une petite boîte de Memory. Finalement, faire des cartes me demandait comme matériel mon imprimante personnelle et une petite plastifieuse, c'est un matériel qui est très léger. C'est le genre de jeu que j'aime beaucoup parce que ça peut aussi bien arriver sur une introduction de cours, que sur de l'évaluation de connaissances, que sur de la différenciation pédagogique avec deux élèves qui termineraient avant et qui leur permet de réviser des choses plus difficiles pour eux. »

[Fin de l'extrait]

RF : À l'écoute de cette capsule qui fait vraiment le lien avec la première partie de l'émission – là où vous nous disiez tous les deux que finalement le jeu c'est pour tout le monde, en tout cas, la pédagogie par le jeu peut s'adapter à tous les publics –, cet enseignant est en train de nous dire qu'en plus, ça s’adapterait à n'importe quel moment d'une séquence pédagogique ? 

SL : Effectivement, le jeu en classe peut être utilisé sur les différents temps d'une séquence d'apprentissage, sur des temps de découverte par exemple, pour mettre en exergue des concepts, sur des temps plus structuraux. Parce que le jeu va avoir un caractère répétitif et permettrait aux élèves d’automatiser des procédures. Et puis, on peut également utiliser le jeu comme rappel pour stimuler des connaissances antérieures.

RF : Rémi, de votre côté c’est quelque chose que vous voyez pratiqué à n'importe quel moment ? Alors vous, c'est plus particulier dans vos pratiques, mais, on imagine aussi qu’il y a différents temps d'intervention et que potentiellement l'intégration du jeu peut être faite dans ces temps-là ?

RS : C'est vrai que nous, on va intervenir avec des enfants qui présentent des troubles des apprentissages, qui vont être déjà en difficulté pour la lecture, l'écriture, le langage ou les mathématiques. Si on leur propose d'entrée de jeu des choses très proches de leurs difficultés, ça va être difficile d'obtenir leur adhésion au temps de rééducation. On va d'abord utiliser le jeu pour vraiment créer une bonne relation avec l'enfant, le mettre en confiance. Et comme on l'a dit précédemment, ça va permettre aussi de travailler les fonctions cognitives dont il a besoin, pour ensuite pouvoir travailler le cœur de la rééducation à proprement parler. C'est vraiment l'outil qui va nous aider à lui faire prendre conscience de ce qu'il doit travailler, de ce qu'il doit renforcer et en plus avec le jeu, on va avoir le plaisir et la motivation suffisante pour faire des efforts, surmonter la difficulté. Et ensuite, on va pouvoir transférer les acquis du jeu dans des situations plus scolaires et plus quotidiennes. L'intérêt, comme le disait Simon, c'est que le jeu va aider à automatiser par la suite, parce qu’on aura toujours le plaisir d'y retourner. Le fait de refaire régulièrement certaines pratiques ludiques va permettre de casser ce qu'on appelle la courbe de l'oubli, d'avoir des réactivations régulières. Et ces réactivations régulières aident à l'automatisation des connaissances et des compétences.

HA : Il y a une chose importante, c'est la phase du jeu et ce qui se passe ensuite, une forme d'institutionnalisation des compétences, des connaissances qu'on a acquises lors du jeu. Simon, vous pouvez nous en parler ?

SL : Ce qu'il faut garder en arrière-plan, c'est que le jeu n'est pas une fin en soi. Il est important aussi que les élèves en aient conscience. Quand je leur propose un jeu ce n'est pas seulement le temps du divertissement, mais c'est parce qu'il y a des objectifs d'apprentissage derrière. Il faut que les élèves en aient bien conscience. Et bien sûr, il y a la question du transfert, comme disait Rémi tout à l'heure, puisque le jeu reste une pédagogie de détour et à un moment donné, il faut revenir à des choses plus scolaires. Et là, où l'on se rend compte du bénéfice du jeu, c'est au moment où l'élève est capable de faire un transfert entre ce qu'il a développé durant le jeu et puis, après, sur les contenus plus scolaires.

RF : Je crois qu'il y a quelque chose d'assez documenté par la recherche, en tout cas le mot utilisé c'est le débriefing qui sort vraiment les élèves de ces phases de jeu pour conscientiser et faire une espèce de pré-transfert. J'imagine que je n'utilise pas le bon mot, mais je veux bien votre avis sur ce débriefing, Rémi.

RS : C'est le chercheur Julian Alvarez qui travaille beaucoup sur l'utilisation du jeu dans des contextes pédagogiques et qui parle de cette phase de débriefing à l'issue du jeu. Nous, en langage orthophonique, on dirait que c'est une sorte de dialogue métacognitif. Le but c'est vraiment de faire prendre conscience aux élèves, aux apprenants de ce qui s'est passé dans cette phase de jeu : « Comment vous avez utilisé votre cerveau ? À quoi vous avez dû faire attention ? Quelles sont les stratégies, quelles sont les étapes de traitement de l'information que vous avez utilisées ? » Et c'est vraiment ce temps de débriefing, de dialogue métacognitif qui va permettre d'optimiser le jeu. Et ensuite, d'introduire l'objectif d'apprentissage à proprement parler.

HA : Pour terminer cette émission, on aimerait que vous proposiez des astuces peut-être, des outils, des conseils à des enseignants qui voudraient se lancer comme vous le faites, parce que je crois que tous les deux vous créez des jeux, chacun dans votre domaine professionnel. Par quoi on commence ? Les objectifs qu'on poursuit ? La création d'une mécanique de jeu ? Quels outils ? Simon, pouvez-vous nous aider sur cette question ?

SL : Oui, quand j'ai démarré la création de jeux, j'étais sur des petits jeux très simples, des jeux de domino, des jeux de Memory que l'on connaît tous, que les enfants connaissent. Et ce n’est pas très difficile à mettre en place. Donc on pourrait déjà démarrer par ça, ou alors en apportant simplement des petits éléments de jeu, des points à gagner, etc. Déjà là, on va apporter une certaine dynamique. Ça demande peu de matériel, une plastifieuse, une imprimante, des choses assez basiques. Voilà les conseils que je pourrais donner pour démarrer !

RF : Rémi, de votre côté, des pistes concrètes comme le souligne Hélène ?

RS : Simon l'a très bien dit en début d'émission, la notion du plaisir de l'enseignant est fondamentale. Donc le but, et un des moyens les plus simples, c'est de prendre des jeux qu'on maîtrise déjà bien, sur lesquels on a du plaisir. Et puis, quand on y joue, on se dit : « Tiens, ça fait travailler tel truc dans mon cerveau. Je sens que, par exemple, le jeu Panic Lab, ça ressemble aux étapes nécessaires pour la résolution d'un problème mathématique. » Et donc le moyen le plus simple, c'est de prendre un jeu qui existe déjà, le détourner à des fins pédagogiques. Déjà là, on va avoir du plaisir, parce qu'on aime le jeu. On va avoir du plaisir à le partager et les élèves vont y être très sensibles. Et ensuite on va pouvoir les faire progresser au niveau de la métacognition et le transférer sur la situation de résolution de problèmes. Une fois qu'on a un peu d'expérience, qu'on a beaucoup joué avec ses élèves, qu'on a fait de plus en plus de dialogues métacognitifs, on va pouvoir aussi avoir une autre approche, c'est de se dire : « Dans cet apprentissage, qu'est-ce que je vise ? » Par exemple pour faire un résumé, il faut pouvoir prendre un bloc de texte et puis trouver l'idée sous-jacente. Et à un moment donné, je me suis dit : « Mais, on pourrait en faire un jeu de cet exercice-là. On pourrait faire une sorte de Jeopardy! On propose des paragraphes d'un texte et pour chaque paragraphe, on se dit : "quelle est la question sous-jacente ?" » Et donc une activité purement scolaire, qui est d'identifier l'idée sous-jacente à un texte, on peut ensuite la transformer en situation vraiment amusante, vraiment ludique en s'inspirant du thème du Jeopardy! Donc deux stratégies, soit on détourne des jeux qu'on maîtrise, qu'on connaît, avec lesquels on est à l'aise et on va emmener les élèves vers un objectif précis. Soit, quand on analyse des situations d'apprentissage, on se dit : « Mais, tiens, ça, comment on pourrait le transformer en jeu ? » Et après, on propose une activité ludique vraiment spécifique pour un apprentissage cible.

RF : On parle là des mécaniques du jeu qu'on peut intégrer dans ses pratiques pédagogiques. Et est-ce que, à l'inverse de la question d'Hélène justement sur les bonnes idées, les bonnes pratiques, il y a de fausses bonnes idées ? Parce que si je reviens à la petite blague de début de podcast sur le Scrabble, ça peut être aussi contre-productif de se dire « forcément ça va être ludique », et ça ne l'est pas, et les élèves ne sont pas dupes et sortent tout de suite de ces mécaniques-là. Quelles sont peut-être une ou deux fausses bonnes idées ou des points sur lesquels vous avez fait marche arrière sur l'apprentissage par le jeu ?

RS : C'est la dimension plaisir. J'ai la même expérience que vous Régis sur le Scrabble, ça m’a assez traumatisé. Si on impose un jeu sur lequel on n'a pas de plaisir, forcément ça va mal se passer. Un des obstacles qu'on pourrait identifier dans la pratique ludique, c'est un peu la pression sociale. Je me souviens, parfois on avait des enseignants qui avaient envie de sortir des sentiers battus et qui proposaient une situation de jeu. Et puis les élèves ont une sorte de conformisme, on attend la leçon classique, on sait qu’on ne va peut-être pas forcément être au top au niveau de l’attention, alors que là on va être obligé de participer au cours, etc. Parfois, la pression sociale va être un peu bloquante à la fois chez les élèves et aussi chez l'enseignant. Parce que dire à ses collègues en salle des professeurs « aujourd’hui, sur mon cours d'histoire, je les ai fait jouer sur un jeu de rôle où ils devaient espionner la Grèce antique pour Darius et connaître les caractéristiques de la Grèce antique », ça ne fait pas sérieux. Alors que c'est un outil extrêmement puissant. Je trouve qu’un des freins aujourd'hui dans l'expansion du jeu à des fins pédagogiques, c'est cette pression sociale qui est parfois chez les élèves, parfois chez les enseignants, chez les adultes.

HA : Pour terminer cette émission, pour de bon cette fois, je vais vous demander une inspiration, ce que vous aimeriez partager avec nos auditeurs et auditrices.

SL : Pour moi, ce serait la suite des films d'animation Disney, Pixar. Toy Story a marqué mon enfance où dans cette histoire, les jouets ont une vie cachée et ont une dévotion envers leur propriétaire, un petit garçon qui se prénomme Andy. Et je me retrouve dans ce personnage par l'attachement qu'il a envers ses jouets, par l'imaginaire qu'il développe en croisant leurs univers. Et je suis touché aussi par le fait que ce petit garçon, qui devenu grand, a beaucoup de reconnaissance envers ses jouets, ses jeux d'enfant qui lui ont permis de grandir.

HA : Merci Simon. Et vous, Rémi ?

RS : Moi, une inspiration, c'est une orthopédagogue à Québec. Un orthopédagogue c'est un professionnel qui est un peu entre un enseignant spécialisé et un orthophoniste, en tout cas, dans la façon dont on exerce en France, et qui a développé tout un travail d'entraînement des fonctions exécutives par l'utilisation du jeu de société. Si vous tapez « OptiFex », « Optineurones », elle a un site internet, une chaîne YouTube où elle explique comment elle détourne des jeux de société pour solliciter les fonctions cognitives et les fonctions exécutives des élèves. Et puis notre autre inspiration avec Sylvie Jacques, ce sont les travaux du chercheur sur l'attention, Jean-Philippe Lachaux, qui a développé avec des enseignants un programme sur l'attention à l'école, et tous les outils utilisés dans ce programme Atole sont pertinents pour analyser les jeux. C'est un outil hyperpuissant pour analyser les situations de jeu et pour ensuite faire le transfert avec les apprentissages et ce qui peut être proposé en classe.

RF : Vous avez compris qu'on a eu affaire à deux passionnés de jeu. On a parlé beaucoup de plaisir et en termes de pédagogie, on sait combien c'est important. Mais on a parlé aussi de détournement de jeux, de pédagogie par le détournement, d’objectifs pédagogiques, de débriefing. Il y a tout un travail autour de l'apprentissage par le jeu. En tout cas, on a pris beaucoup de plaisir de notre côté à échanger avec vous, Simon et Rémi, un grand merci à tous les deux.