À peine rentré, on retourne dehors... Cet épisode de « Parlons pratiques ! » interroge l’impact de la classe dehors sur les pratiques et postures des enseignants. Les échanges entre Sylvain Wagnon, professeur des universités en sciences de l’éducation, et Laurent Reynaud, professeur de SVT en lycée, permettent de faire dialoguer l’histoire de cette pédagogie, ses évolutions et les apports de la recherche. Deux témoignages viennent éclairer et étayer cette table ronde : Graham Cloke, enseignant d'une « Forest School » en Angleterre qui élargit notre regard à l’international pour le 1er degré, et Carine Vigneau, professeure d'EPS qui propose des pistes concrètes accessibles à tous.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.

Chaque dernier mercredi du mois, découvrez un nouvel épisode de « Parlons pratiques ! » sur votre plateforme de podcasts préférée. Suivez-nous, écoutez et partagez…


Retrouvez-nous sur :

Extraclasse.reseau-canope.fr

Apple Podcasts

Spotify

Deezer

Google Podcasts

Podcast Addict


Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé.

Émission préparée par : Hélène Audard et Régis Forgione

Réalisée grâce à l'appui technique de : Emelyne Jouglet (Réseau Canopé Occitanie) et Nadjim Mioudi (Réseau Canopé Île-de-France)

Animée par : Hélène Audard et Régis Forgione

Remerciements au groupe de travail « École dehors »

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance

Mixage : Simon Gattegno

Traduction : Aurélie Dulin

Secrétariat de rédaction : Nathalie Bidart

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr

© Réseau Canopé, 2021


Transcription :

HÉLÈNE AUDARD : À peine rentrés en classe, nous vous proposons de sortir, sortir de la classe, de l’école, du collège et même du lycée, pour mieux y revenir. Car les professeurs et les élèves qui ont vécu cette expérience ne sont pas tout à fait les mêmes après.

RÉGIS FORGIONE : Le contexte sanitaire a remis un coup de projecteur sur « l’école dehors ». Pourtant, depuis la « classe promenade » de Célestin Freinet jusqu’aux « Forest Schools » nordiques, ce n’est pas nouveau.

HA : Alors pourquoi, et comment faire classe dehors aujourd’hui, en ville comme à la campagne ? Comment en faire plus qu’une sortie : une manière d’enseigner régulière, pérenne ? Et quels sont les effets sur les apprentissages ?

RF : C’est ce que nous allons demander à nos invités, Sylvain Wagnon et Laurent Reynaud. Et nous allons aussi un peu voyager puisque nous avons recueilli des témoignages du côté de l’Angleterre et des Landes.

HA : Sylvain Wagnon, bonjour. Vous êtes professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier. Vous êtes spécialiste de l’histoire de l’éducation, notamment des pédagogies alternatives. Et vous allez publier prochainement un livre sur l’école dehors.

RF : Laurent Reynaud, bonjour. Vous êtes professeur de SVT au lycée Jacques Feyder à Épinay-sur-Seine, en région parisienne, où vous expérimentez différentes modalités d’enseignement dehors dans le cadre de votre discipline, mais aussi de projets coopératifs.

HA : Alors pour commencer, Sylvain Wagnon, en tant qu’historien de l’éducation, la première question qu’on aurait envie de vous poser, c’est qu’on observe un retour en force de ces pratiques – d’école dehors, école en plein air, on peut les appeler de différentes manières… Mais en réalité, quoi de neuf sous le soleil ?

SYLVAIN WAGNON : Oui, ce qui est intéressant, c’est qu’effectivement, le confinement et l’après-confinement ont évidemment développé un engouement pour l’école dehors. Mais on s’aperçoit que c’est un mouvement extrêmement ancien, c’est un mouvement international, c’est-à-dire que tous les pays d’Europe du Nord, et l’Angleterre, ont une tradition d’avoir un enseignement en lien avec la nature. Mais il faut penser que la France aussi. C’est-à-dire qu’au XIXe siècle, l’école publique incite ses instituteurs à sortir à travers des classes promenades, qui seront retravaillées aussi par le pédagogue Célestin Freinet. Et puis aussi ces fameuses leçons de choses qui permettaient, notamment en sciences, d’aller sur le terrain, de regarder, d’observer des paysages. Mais c’est un mouvement aussi, et nous y reviendrons, qui a été fortement développé par les pédagogues dits d’éducation nouvelle, au début du XXe siècle. Là aussi, c’est un mouvement international… Il y a la phrase d’Ovide Decroly, qui est un pédagogue belge d’éducation nouvelle, qui disait que « la classe, c’est quand il pleut ». Ce qui sous-entendait justement une grande complémentarité entre des apprentissages qui pouvaient se faire en classe et aussi de tenter le plus possible d’enseigner et d’apprendre à l’extérieur, c’est-à-dire au contact de ce qui était pour lui la vie, le concret, à partir d’un potager ou d’un jardin.

RF : Laurent Reynaud, qu’est-ce qui, pour vous, a été le déclencheur du « faire classe dehors » ? On aimerait bien savoir.

LAURENT REYNAUD : Alors, le premier des déclencheurs, c’est ma discipline. Moi, je suis prof de SVT, comme vous l’avez dit. De fait, quand on veut observer, et qui plus est des points du programme, en SVT, c’est relativement simple parce que nos objets d’étude se trouvent pour la plupart dehors. Mais en fait, faire classe dehors, ce n’est pas juste observer, c’est aussi faire. Alors après, il y a des déclencheurs plus conjecturaux, liés à l’actualité. Dans mon cas, la première hypothèse, c’est le déconfinement qui a un peu accéléré tout ça. Parce que pendant l’enseignement à distance, le point nodal, c’était l’écran, l’écran, l’écran. Alors très vite on… en tout cas moi, j’ai eu envie d’en sortir, et donc de sortir pour se sortir de ces écrans. La deuxième hypothèse, c’est une volonté : la volonté de reconnexion au vivant. Et on voit bien que ça s’exprime un peu de part et d’autre dans la société, là. Alors peut-être c’est la volonté de partager ça avec les élèves. Et enfin, peut-être une troisième hypothèse. À l’heure actuelle, le contexte éducatif – je pense qu’on peut le dire – est un peu difficile. Du coup, l’enseignant que je suis, et qu’on peut être, on se réfugie un peu là où on a encore de l’emprise, c’est-à-dire notre classe, nos pratiques pédagogiques. Et puis on a envie comme ça, parfois, de les changer et d’expérimenter, et faire classe dehors, c’est un levier qui nous permet de faire ça.

HA : Et Sylvain Wagnon, vous, ce que vous observez, de votre côté, des pratiques qui se développent depuis peut-être quelques mois : est-ce qu’il y a des spécificités à la fois dans les objectifs, dans les modalités en ce moment ?

SW : Oui, je pense que bon, il y a eu les premiers mois, et comme l’a dit Laurent, un engouement, on va dire un petit peu émotionnel et fort, d’une envie de sortir après la période de confinement. Mais je pense qu’il y a aussi, effectivement… première chose, un élément repérable. C’est-à-dire qu’on a eu envie de sortir, mais on a très vite compris – et les enseignants l’ont compris – que ça s’apprend, ça ne se fait pas immédiatement. Il y a des éléments en tout cas à prendre en compte. Et puis aussi, peut-être, l’autre élément qui est à mon avis très important, c’est de se dire qu’il n’y a pas besoin d’aller loin, c’est-à-dire qu’on peut aller dans la cour. Et il y a un mouvement, en plus, dans la plupart des communes, lié à une végétalisation des espaces scolaires, et notamment des cours de récréation. Et là, je pense à Montpellier, entre autres. Et donc, il y a cette idée aussi qu’on peut avoir un lien avec la nature tout en restant, on va dire, dans l’espace scolaire de la cour – un potager, comme j’ai cité tout à l’heure, ce n’est pas nouveau, mais c’est assez important – et puis, il y a aussi la possibilité de connaître son espace proche et que la nature, évidemment, elle est présente. Donc ça, c’est peut-être un mouvement fort. C’est de se dire que ce n’est pas parce qu’on est dans le milieu rural qu’on va pouvoir être dehors, mais aussi en ville, puisque la grande majorité de la population vit en ville. C’est un mouvement qui, à mon avis, a un fort avenir de ce côté-là.

RF : Sylvain, vous dites : « Pas besoin d’aller loin. » Moi, j’aimerais qu’on aille un peu loin, pour un premier insert audio en tout cas, qu’on aille visiter une « Forest School ». En fait, on vous propose le témoignage de ce pays où l’enseignement dans la nature est un petit peu institutionnalisé. C’est celui de Graham Cloke, qui est professeur depuis huit ans dans une « Forest School » à Petersborough, en Angleterre, dans une école privée qui propose ce dispositif pour les élèves du primaire, de 4 ans à 11 ans.

[Traduit de l’anglais]

« Je m’appelle Graham Cloke. On a beaucoup de chance car le site de notre école comprend un petit bois, avec des arbres plutôt vieux qui abritent différentes espèces. C’est l’endroit idéal pour que les plus jeunes puissent se perdre dans cet environnement – de façon métaphorique bien sûr ! Pour moi, la "Forest School", c’est apprendre à l’extérieur. Dans la salle de classe, il y a quatre murs et un plafond, mais quand on fait l’école dehors, il n’y a pas de limites : pas de murs, pas de plafond. Les enfants se retrouvent dans un environnement qui leur est familier et moins formel. Ils y sont très détendus. C’est comme si les contraintes induites par la salle de classe s’atténuaient quand on est dehors. On fait des activités centrées sur l’enfant. On leur donne des outils, des outils métaphoriques pour explorer, au début. Puis l’enseignant et les adultes qui accompagnent observent ce qu’ils font, ce qui suscite leur intérêt et de là, ils vont échafauder un programme et des activités basés sur leurs centres d’intérêt. L’année prochaine, nous sortirons la moitié du trimestre, soit six semaines, à raison d’une sortie par semaine, afin qu’ils puissent découvrir le bois aux quatre saisons. Alors, les effets sur les enfants : d’abord, c’est leur cours préféré de la semaine – ils adorent. Ils l’attendent avec impatience, quelle que soit la météo. L’un des effets majeurs sur les enfants, c’est la façon dont cela consolide leur confiance en l’extérieur, dans la nature, dans l’usage des outils que nous leur donnons, dans le fait de prendre des risques – encadrés bien sûr. Cela les aide vraiment dans leur développement. Et ce programme attire aussi beaucoup de parents. »

[Fin de l'extrait]

RF : Suite aux propos de Graham, est-ce que ça résonne avec vos pratiques ? Et quelle est votre réaction Laurent ?

LR : Ma première réaction, c’est que je ne suis pas vraiment sûr, en tout cas moi, par mon expérience, que les mettre à l’extérieur, spontanément, ils sont très détendus et comme on dit, réceptifs aux apprentissages. Je ne suis pas sûr du tout que ce soit aussi spontané que ça. Et du coup, je pense que ça se construit. Alors ça se construit en regardant un peu ce que d’autres ont déjà fait. Tout à l’heure, Sylvain parlait de la classe promenade dans des pédagogies Freinet. Il y a l’étude du milieu aussi. Mais je pense qu’il faut définir un peu les objectifs et, en fait, pourquoi on va faire classe dehors.

Quelles sont nos intentions ? Qu’est-ce qu’on vise ? La première, c’est qu’on va faire classe dehors pour apprendre à être curieux. En fait, la curiosité, on en parle souvent comme un constat regretté, c’est-à-dire que les élèves ne sont pas curieux, ils s’ennuient en classe, ils sont passifs. Et donc, on pourrait changer de paradigme en disant : en fait, la curiosité, on peut l’apprendre. Et comment on l’apprend ? Peut-être en rapprochant un peu les enjeux d’apprentissage qu’on explore dans la classe et le quotidien de l’élève dans le milieu de vie. Et ça, ça se voit bien, notamment en SVT, quand on aborde la biodiversité en seconde. Quand on parle de biodiversité, les élèves ont des représentations. Tout de suite, ils pensent à la forêt tropicale en Amazonie, ils pensent au pôle Nord avec l’ours blanc, etc. Et donc, ils sont préoccupés par la biodiversité. Mais en fait, tout ce qui est un peu loin de nous, c’est comme si ça ne nous concernait pas vraiment. Et je trouve qu’en fait, aborder la biodiversité juste en allant – comme le disait tout à l’heure Sylvain – pas loin, juste dans le parc à côté, le parc qu’ils traversent tous les matins et tous les soirs pour aller et partir de l’école, faire la biodiversité là-bas – regarder les espèces, voir qu’il y en a ; comparer avec la cour, voir que là, il y a moins d’espèces végétales –, c’est aussi montrer que la biodiversité, c’est dans leur quotidien et qu’ils ont une emprise dessus. C’est par exemple un élève qui, après cette activité, venait me voir en disant : « Ben alors, s’il n’y a pas trop de biodiversité dans la cour, comment on fait pour en remettre ? Est-ce qu’on ne pourrait pas faire un potager ou planter des fleurs ? » Voilà.

Le deuxième objectif, c’est réinterroger les certitudes. Souvent, il y a cette phrase de dire qu’enseigner, c’est déstabiliser, déstabiliser les certitudes pour ouvrir au doute, et donc à l’envie de comprendre et de connaître. En fait, cette belle phrase, après, comment on la concrétise ? Moi, il me semble que faire classe dehors, ça peut être un levier assez puissant pour concrétiser ça. Parce qu’on va confronter nos certitudes à l’observation du réel. Je prends un exemple avec les terminales. On fait la partie sur les plantes et donc, on observe des plantes à fleurs dans le parc. J’aime bien faire ça, montrer une fleur de pissenlit et leur demander : « Alors les élèves, est-ce que ça, c’est une fleur ? » Et là, il y a un consensus. Tout le monde partage la même certitude unanime que oui, bien évidemment, c’est une fleur. Alors, ce à quoi je réponds : « Ben non, ce n’est pas une fleur. Regardez bien, c’est un ensemble de petites fleurs, c’est une inflorescence. » Et donc là, je ne sais pas en évoquant ça, si c’est très parlant, mais en tout cas, je peux vous assurer que dans le regard des élèves, pour certains, pas pour tous, il y a quand même une déstabilisation qui s’opère. Alors vous me direz qu’on pourrait très bien objecter à ça qu’il suffit de projeter le pissenlit sur un écran blanc dans la classe et on obtient la même chose. Moi, je ne suis pas vraiment sûr parce que, c’est peut-être mon côté prof de SVT qui pense ça, mais je pense que l’observation au réel, c’est ce qui fait foi et c’est ce qui fait preuve. On ne peut pas trop le remettre en question. Par exemple, si je projette la même chose, le pissenlit, il y a plein d’élèves qui me diront : « Oui, mais monsieur, vous avez fait un photomontage », ou alors : « Le pissenlit, ça n’existe pas. » Alors là, ça prête à sourire parce que tout le monde pense bien que tous les élèves connaissent un pissenlit. Déjà, ce n’est pas vraiment sûr. Et puis la question mérite d’être posée. Quand on parle de géologie, par exemple, là on parle de roches calcaires. C’est l’agglomération de coquilles d’organismes marins qui se sont déposées sous un océan il y a 200 millions d’années. Alors là, le doute, pour le coup, et la suspicion des élèves, elle est très forte. Et montrer simplement une projection ou une petite roche en classe, ce n’est pas suffisant. Et je trouve que juste aller à la gare du Nord, regarder le sol, ou alors aller voir une roche calcaire en forêt et voir qu’il y a des fossiles d’organismes marins dedans, ça, c’est plus parlant.

HA : Sylvain Wagnon, on entend Laurent dire que ce n’est pas magique, en gros, ce n’est pas parce qu’on sort dehors, quel que soit l’âge des élèves, qu’il y a un effet magique, sur les apprentissages notamment. Qu’est-ce que disent les études sur ces pratiques d’école dehors ? Qu’est-ce qu’elles montrent et qu’est-ce qu’elles ne montrent pas, peut-être, justement ?

SW : Oui, alors l’exemple qu’on a entendu est un exemple anglais. Et d’ailleurs, c’est là que sont les études, parce que c’est un pays qui, là on voit un exemple d’une école privée, mais c’est l’école publique anglaise qui tente sur des centaines d’écoles d’expérimenter et, justement, de montrer plusieurs choses. Montrer effectivement qu’il y a des effets très positifs sur la santé, ça, c’est clair. Sur même la notion de plaisir. On voit bien que cet enseignant, quand il parle, il est assez représentatif : il y a un côté aussi plaisant de sortir, d’aller se promener, d’aller dans la nature. Et ça, c’est très clairement montré.

Il y a aussi un côté humble, c’est-à-dire aussi de montrer qu’il n’y a pas besoin non plus de chercher très compliqué, qu’on est dans une mise en condition. Ça, c’est un élément qui, à mon avis, est assez fondamental, c’est-à-dire qu’en sortant de la classe, on est aussi dans une condition un peu différente.

Et un des effets, si on veut le synthétiser, c’est quelque chose qui est aussi assez ancien, c’est une notion importante qui est celle de l’éducation intégrale. C’est-à-dire de dire que, finalement, le développement harmonieux et les apprentissages sont privilégiés quand ils sont à la fois ceux de la tête, de l’intellectuel – et on sait qu’une salle de classe, il y a des manuels scolaires, etc., et c’est intéressant de savoir –, mais aussi le corps et aussi l’affectif. Et on s’aperçoit que justement, en allant à l’extérieur, et bien effectivement, il y a des effets. Et ça, c’est un élément important.

Et je dirais, le dernier point quand même qui est un effet important aussi, c’est que, en sortant, ce n’est pas qu’on a une prise de conscience – c’est clair, on n’a pas une prise de conscience parce qu’on sort –, mais quand même. C’est-à-dire que les mots qui ont été utilisés par Laurent et par l’enseignant anglais aussi – de repérage de cette nature, de biodiversité – montrent bien que si on veut qu’il y ait une prise de conscience véritablement de cette transition écologique, c’est bon aussi de faire de cette transition écologique, ou en tout cas de cet élément écologique, un pivot de nombreux enseignements, alors qu’on ne l’a pas traditionnellement fait en France.

RF : Or, justement, transition parfaite sur le côté sensible… À partir du moment où les élèves sortent, il y a ce côté contemplation, Laurent Reynaud, et la place du sensible qui devient peut-être un peu plus prégnante qu’entre quatre murs et sous un toit ?

LR : Oui, contempler, en fait, ça peut être important. Et mettre un peu d’affect dans l’enseignement, ça peut l’être aussi. En fait, contempler, c’est quoi ? Je pense qu’on pourrait le résumer ainsi : c’est coupler deux choses, coupler l’observation rationnelle du réel et l’imaginaire un peu créatif. Et faire classe dehors, c’est justement un moyen de mobiliser cette expérience sensible. En terminale, quand on fait une activité sur les plantes à fleurs à l’extérieur, je prends toujours un quart d’heure avant la fin du cours – c’est la première séance de cours au début de l’année, donc les élèves en groupes de spécialité ne se connaissent pas – et du coup, on prend ce moment où je leur dis : « Vous avez cinq minutes, vous allez chercher un fragment de végétal qui vous correspond ou qui correspond à un trait de votre personnalité. » Ils reviennent ensuite tous ensemble et puis, collectivement, chacun quand il le souhaite, prend la parole pour expliciter son choix au regard des autres. C’est comme ça qu’une élève va montrer un pétale de bleuet et va dire : « Ça c’est moi, à la fois discrète, petite, mais tout autant colorée. » Et puis il y a un autre élève qui va dire : « Moi j’ai pris une feuille de lierre parce que le lierre, ça pousse toujours au nord. Et moi, je ne perds pas le nord. » Et cette petite présentation indirecte de soi, vis-à-vis des autres, ça peut paraître peut-être un peu anecdotique ou pas très important, mais en fait, en début d’année, je peux vous assurer que c’est un moment qui est partagé, agréable et puis chaleureux. Et en fait, en début d’année, c’est montrer que l’école, ça peut être ça, et pour certains élèves, c’est déjà pas mal. Et en fait, faire classe, ça peut être aussi ça.

HA : Alors justement, on va écouter Carine Vigneau, qui est professeure d’EPS. Et c’est exactement ce qu’elle vit. Elle est dans un petit collège des Landes et elle a profité de l’activité randonnée pour en faire plus qu’une sortie sportive : un rendez-vous avec la nature, un moyen d’éveiller la curiosité de ses élèves pour l’environnement.

« Je suis professeure d’EPS au collège d’Amou, petit collège rural des Landes. Et depuis plusieurs années, j’essaye d’orienter mes élèves vers la découverte de la nature et la reconnexion à la nature. J’ai eu envie depuis quelques temps aussi de proposer la randonnée à mes élèves. Donc c’est vrai que c’est une activité qui est très douce, qui permet vraiment d’avoir toute la classe qui se déplace en groupe sans avoir vraiment d’élèves en difficulté. Et puis, c’est vrai que les apports de cette activité… alors il y a des apports qui sont vraiment axés pour l’EPS, que je ne vais pas développer ici, mais il y a tout ce qui est être en contact avec les grands espaces et la nature. C’est vraiment pour moi quelque chose de riche et c’est vraiment quelque chose que je voulais apporter à mes élèves. Au départ, j’avais tendance à prévoir un petit peu les apports que je pourrais leur amener par petites touches, au niveau des connaissances de la nature. Donc, je me disais : « Tiens, on va s’arrêter à tel endroit. Je vais leur parler des arbres, je vais leur parler des fleurs, je vais leur montrer quelles plantes sont comestibles. » Et puis, petit à petit, je me suis rendu compte que les élèves avaient quelque part leur curiosité en éveil. Et de plus en plus, ça venait d’eux en fait. Donc, ils sont devenus super-enthousiastes et super-demandeurs. Ça venait vraiment naturellement et on prenait du temps pour s’arrêter, pour se poser des questions, pour regarder, pour sentir, pour même goûter des fois, les fleurs notamment. Suite à toute cette démarche que j’ai pu avoir – alors ça s’est beaucoup focalisé sur une classe de sixième –, quand j’ai vu leur enthousiasme, la manière qu’ils avaient d’appréhender un petit peu les choses, d’aimer jouer, courir, sauter quand je leur laissais des temps de jeu libre ou même quand on a fait des petits jeux sur le chemin, je me suis dit que ça serait peut-être intéressant de proposer des séances d’EPS assez souvent à l’extérieur. Y compris quand ce sont normalement des activités qui peuvent, qui doivent se pratiquer en salle, je me demande si ça ne pourrait pas être intéressant pour les élèves, peut-être une fois par séquence, voire deux, d’avoir l’opportunité d’aller pratiquer à l’extérieur sur des compétences ciblées et des compétences qui seraient faisables en milieu naturel. »

[Fin de l'extrait]

HA : Alors, Sylvain Wagnon, on entend à la fois dans ce que peut dire Laurent, dans ce que dit aussi Carine, la modestie de la démarche et en même temps l’envie de la pérenniser, de lui donner une certaine régularité. Et puis aussi, on entend que la forme scolaire, elle bouge un petit peu, elle est un peu plus centrée sur l’élève. Donc, qu’est-ce que vous voyez, vous, qui peut se mettre en place d’une sorte d’écopédagogie ? Et comment on pourrait trouver des leviers pour permettre ça de manière plus régulière ?

SW : Dans ce qu’on a entendu, et dans ce que vous venez dire et qui est important, c’est-à-dire qu’on ne va pas culpabiliser les enseignants – l’enseignant, il a un programme à suivre, il va faire au mieux et il fait au mieux… Mais c’est vrai qu’à mon avis, cette école, justement à l’extérieur, lui ouvre une opportunité. C’est une opportunité, à mon avis, importante. Et je redis ce que j’ai dit tout à l’heure : je pense qu’il ne faut pas aller loin, il n’y a pas besoin d’aller loin. Il faut penser que créer un potager ou même avoir des animaux en classe, ce sont des choses qui se font et ce sont des choses qui doivent être bien pensées pour redimensionner l’enseignement. Vous avez utilisé le terme de « régularité ». C’est vrai qu’on voit dans les études qu’il est bon, justement, d’avoir une certaine régularité, qui n’est pas nécessairement quotidienne, qui peut être hebdomadaire. Mais en tout cas, de prendre ce temps parce qu’on voit aussi qu’aller dehors, évidemment, c’est un temps différent. Et le terme utilisé de « forme scolaire », à mon avis, est assez fondamental. « Forme scolaire », pour dire les choses rapidement, ça veut dire qu’on s’est focalisé jusqu’à aujourd’hui sur la salle de classe, une salle de classe qui a peu changé depuis un siècle et demi, même si elle a changé, évidemment, les enseignants et les élèves ont changé. Mais en tout cas, on va dire que la salle de classe classique ici peut être repensée et en allant à l’extérieur, c’est aussi prendre conscience de son propre aménagement scolaire. On s’aperçoit que ça touche énormément d’éléments et que ça met aussi en valeur, peut-être en exergue, des éléments qu’on précise depuis tout à l’heure, c’est-à-dire l’entraide, la coopération, la solidarité qui sont aussi des valeurs qui peuvent être mises en avant lorsque l’on enseigne à l’extérieur. Elles peuvent l’être, bien sûr, dans la salle de classe, mais l’expérimentation, comme l’a dit Laurent tout à l’heure, en expérimentant sur le terrain, il est évident qu’on crée des situations aussi différentes.

RF : Laurent Reynaud, en termes d’expérimentation et de concret pour les enseignants qui nous écoutent : comment s’organise une séance ou une séquence de classe dehors ? Et est-ce que vous imaginez les choses possibles dans toutes les disciplines, par extension à la vôtre, la SVT ?

LR : Alors, comment ça s’organise déjà. Je pense qu’il n’y a pas une recette, il n’y a pas un formulaire. Ça s’organise en fonction du contexte, de là où on se trouve sur le territoire. En tout cas, je pense qu’il y a peut-être des lignes directrices.

La première, c’est de ne pas forcément viser loin et de ne pas viser vers, mais de viser à côté.

Ensuite, la deuxième ligne directrice, peut-être, c’est de faire sauter un peu cette crainte, et c’est tout à fait normal, hein, c’est-à-dire quand on sort dehors, on ne sort pas avec quelques élèves, on sort avec toute une classe et donc, la gestion du groupe à l’extérieur est compliquée. C’est compliqué, ça fait peur et c’est parfois, à mon avis, l’obstacle majeur. Mais en réalité, ça force à une évolution de posture qui est le lâcher-prise. Et ça, ça s’accompagne aussi parce que dehors, on fait l’expérience de ce qui n’est pas prévisible. C’est-à-dire qu’on ne peut pas tout prévoir, pas prévoir comment des élèves vont réagir, on ne peut même pas prévoir ce qu’ils vont observer concrètement, précisément. Et ça aussi, ça force au lâcher-prise. Et le lâcher-prise, il est important parce que ça permet, à nous, enseignants, aussi de se réinterroger, de ne pas rester confortés dans une… comment dire, un cours qu’on va dire chaque année de la même manière. Et donc, du coup, ça permet aussi de se confronter à des choses qui ne sont pas prévisibles ; et donc, d’accompagner les élèves à eux aussi se confronter pour faire évoluer leur pensée.

Mais moi, je pense qu’il y a quand même un certain nombre de risques qu’il faut prendre en compte bien avant de préparer une séance, pour ne pas tomber dans deux écueils qui me semblent un peu graves.

HA : Oui, des écueils que vous imaginez de quels types ?

LR : J’en vois deux. Moi, j’ai l’impression qu’en expérimentant la classe dehors, on chemine sur une ligne de crête. D’un côté, il y a un précipice qui pourrait se résumer comme ça : on fait cours dans la nature, mais pas avec la nature. Donc, en gros, on exporte nos manières de faire, notre cours à l’extérieur. Et puis voilà. Moi, ça m’arrive de le faire en sortie dans la forêt, quand on fait de la géologie. Il y a des moments où je me sens obligé de redire aux élèves de tous revenir et je vais leur faire un petit moment de cours pour leur expliquer quelque chose. Ils sont là, assis, j’ai mon ardoise et puis je fais un petit schéma. Et là, il y a un élève qui me dit : « Mais monsieur, pourquoi on fait pas ça en classe ? » Et alors là, je suis un peu bloqué, je ne sais pas quoi lui répondre. Et ça, je pense que c’est un petit problème, parce que si on ne revoit pas nos pratiques pour les adapter au dehors, on risque de perdre des élèves, notamment, par exemple, ceux qui ne sont pas formés à être très concentrés. Il y a des élèves comme ça, qui se dispersent assez facilement. En fait, dehors, il y a beaucoup plus de distractions que dans la salle de classe et donc, il y a une sorte de zapping attentionnel qui peut être exacerbé.

Et l’autre écueil, je pense, c’est Rousseau qui disait : « Si on met l’enfant dehors, ce n’est pas pour faire ce qu’il veut, mais c’est pour apprendre qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut. » Et donc, c’est pour ça, là aussi, je pense qu’il faut structurer un peu ce qu’on va leur faire faire à l’extérieur. On ne peut pas juste les mettre dehors en misant sur une espèce d’osmose spontanée qui va émerger comme ça. Tout à l’heure, la collègue disait que la curiosité vient d’eux. Alors, c’est sûr qu’il faut s’effacer un petit peu pour qu’ils puissent, eux, agir. Mais on ne peut pas non plus miser sur le fait que ça vienne d’eux, parce que c’est prendre le risque aussi que des élèves qui n’ont pas de bagage culturel pour mettre des mots, par exemple, sur ce qu’ils voient ou ce qu’ils contemplent… Moi, je pense que certains de mes élèves, si je les mets dehors et que j’attends que ça vienne d’eux, la plupart vont rester sur leur téléphone portable. Donc je pense que c’est quelque chose qui s’organise aussi. Et c’est ça qui est intéressant au final, c’est qu’on essaye en permanence de ne pas basculer dans l’un ou l’autre des précipices et ce n’est pas évident, et c’est du tâtonnement. Des fois, on se plante. Et en fait, c’est pour ça qu’il n’y a pas de pédagogie efficace pour faire classe dehors, il y a juste du tâtonnement, de l’essai. Parfois, c’est frustrant, mais c’est toujours motivant.

HA : Sylvain Wagnon, vous souhaitiez réagir aussi ?

SW : Oui, je dirais ça de la même façon. Mais je dirais que le risque, il est à prendre. Il est à prendre parce que finalement, si on reste dans la situation actuelle, où on est, très clairement, on n’y arrive pas. Il faut aussi voir la situation comme elle est, c’est-à-dire qu’en réalité, pourquoi il y a cet engouement ? Pourquoi beaucoup d’enseignants le veulent aussi ? C’est parce qu’ils sentent très bien que notre système a certains éléments… Sans être à bout de souffle, en ce moment, on sent que la forme scolaire a des normes qui sont aussi des freins et des dérives, du point de vue de la réussite scolaire, même si le mot n’est pas le meilleur. Donc, je pense que le risque est à prendre.

Ensuite, il faut le prendre de façon très modeste parce qu’effectivement, tenter, expérimenter, ben oui, on se plante. Mais si on ne fait rien, on ne se plante pas, ça, c’est clair. Mais on ne réussit pas non plus.

Et puis, dernière chose, pour rebondir sur ce qu’a dit aussi Laurent. Moi je pense que le mot de « complémentarité », c’est-à-dire que, effectivement, on ne va pas dehors pour aller dehors. Sinon, mieux vaut rester à l’intérieur. Il a raison, le gamin. Par contre, si on va dehors en sachant pourquoi on y va, pourquoi ça nous apporte quelque chose de nouveau, alors là, ça devient nécessairement bénéfique. Alors c’est vrai que les SVT, c’est la discipline qui est la plus aisée quelque part, on voit des choses dans un manuel scolaire, c’est peut-être mieux de les voir en direct, c’est clair. On voit bien que d’autres matières sont moins habituées à ça. En histoire, oui, on va voir un monument, etc. Mais est-ce qu’on profite du chemin par exemple, pour aller ? Est-ce que quand on va à la piscine, en EPS, on profite aussi du cheminement où on voit certaines choses ? Est-ce que justement, en français, on ne profite pas aussi d’autres éléments ? On voit bien que toutes les matières sont à repenser, évidemment, à différents niveaux. C’est clair que dans l’EPS, la notion de corps est importante et donc, on voit bien que c’est une discipline qui prend en compte ce genre de choses. Donc, tout le monde ne part pas avec le même bagage et certaines disciplines sont presque un peu habituées à ce genre de choses. Mais on voit bien que ce risque et cette complémentarité entre la salle de classe, qui est un lieu important d’apprentissage, et l’extérieur sont un moyen de développer certains éléments et ce serait un peu, à mon avis, gênant de ne pas l’utiliser aujourd’hui.

HA : Justement, pour que les collègues puissent se lancer, les inspirations, c’est important. Je vais vous demander à tous les deux une référence, une inspiration, une personne que vous auriez envie de partager.

LR : Oui, alors bon, moi, ce qui m’a inspiré, c’est la revue des Cahiers pédagogiques, le numéro de juin [n° 570] notamment, mais plus généralement cette revue. Mais le numéro de juin, qui est justement sur ce dossier « Apprendre dehors ». Et on voit plein d’initiatives, d’essais, de tâtonnements partagés, de collègues. Et j’ai trouvé ce numéro à la fois inspirant, motivant et puis rassurant aussi.

SW : Je vais prendre une référence et une inspiration. Je pensais que Laurent allait utiliser Célestin Freinet, eh bien moi, je vais dire qu’il nous faut en tout cas un pédagogue d’éducation nouvelle. Et là, je vais prendre un pédagogue d’éducation nouvelle mais aussi un libertaire, Francisco Ferrer, puisqu’on commémore aujourd’hui, enfin ces jours-ci, les 120 ans de la création de son école. Et ce pédagogue catalan qui a créé une école de libre-pensée véritablement, dans une Espagne catholique et monarchiste, précisait que pour lui, l’éducation dehors, et l’éducation dans sa totalité, étaient émancipatrices et que finalement, on aurait réussi le jour où les élèves ne penseraient pas comme nous. Et puis l’autre élément, c’est peut-être aussi une référence et une inspiration. Ces jours-ci sort le rapport du GIEC et, je l’ai dit tout à l’heure, je pense que la notion de transition écologique, ce n’est pas simplement dans l’enseignement, c’est une question beaucoup plus globale dans notre société. Et on voit très, très bien que les enseignants sont des citoyens, des citoyens aussi engagés, et qu’il est temps de prendre cette prise de conscience écologique, qui n’est pas simplement aujourd’hui une exigence, mais qui est une vraie nécessité.

RF : Qu’est-ce qu’on retient de cette émission ? Hélène, moi j’ai envie de dire : de l’engouement, du lâcher-prise, de la prise de risque, une forme scolaire un peu engoncée, et puis on ouvre les fenêtres et on expérimente l’école dehors en toute humilité, en toute modestie. En tout cas, on sent bien ce côté d’oser se lancer. Merci à tous les deux.

LR : Merci.

SW : Merci.