Témoignage du président de la plus importante fédération de parents d'élèves du Danemark.
Poursuivons notre tour d'Europe du déconfinement. Nous nous rendons aujourd'hui au Danemark, à Copenhague, où nous accueille Rasmus Edelberg. Alors que les petits Danois ont repris très tôt le chemin de l'école, découvrons ensemble le rôle joué par les parents d'élèves dans la gestion de cette crise.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Interview animée en avril 2020 par : Hélène Audard  

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir 

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Laurent Gaillard

Traduction : Aurélie Dulin

Secrétariat de rédaction : Séverine Aubrée

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr 

© Réseau Canopé, 2020


Transcription :

HÉLÈNE AUDARD | Quoi de neuf en Europe ? Nous poursuivons le tour de nos voisins européens : aujourd’hui au Danemark. Entré en confinement le 11 mars, le pays a été le premier à envisager de rouvrir ses écoles dès mi-avril. Pour quels élèves ? Dans quelles conditions ? Avec quels résultats ? C’est ce que nous avons demandé à Rasmus Edelberg, président de Skole-Foraeldre, la plus grosse association de parents d’élèves du pays basée à Copenhague. Et lui-même papa de deux enfants. Rasmus, bonjour. Pouvez-vous nous résumer ce qui s’est passé dans les écoles danoises depuis le début du mois d’avril ?

RASMUS EDELBERG | Oui. Après Pâques, les écoles ont ouvert pour la moitié des élèves, c’est-à-dire tous les élèves en dessous de 11 ans. Cette décision a été prise après des négociations sur les critères de sélection : à qui allions-nous ouvrir les écoles ? Aux élèves les plus âgés, parce qu’ils finissent leur cursus et qu’il est très important qu’ils aient un bon diplôme et une bonne formation ? Ou alors est-ce qu’on allait privilégier les plus petits parce qu’ils sont moins autonomes et que les parents pouvaient plus facilement travailler ? Au final, la décision a été prise de façon plus ou moins arbitraire : on a coupé la poire en deux… et on a pris les plus jeunes en premier. Cela a impliqué l’instauration de certaines règles.

- Règle numéro 1 : tous les élèves doivent être séparés d’une distance minimale de deux mètres dans les classes. Cela fait qu’il y a la place pour la moitié des élèves. On divise alors les classes en deux, on réorganise les tables et les chaises… Et là, on y arrive presque !

- Règle numéro 2 : un maximum d’enseignements doit se faire à l’extérieur. C’est problématique, principalement en ville. Actuellement, les écoles sont pleines et des appels ont été lancés. Par exemple, les jardins Tivoli à Copenhague sont utilisés comme lieu d’enseignement, mais aussi certains hôtels ou salles de conférences. J’ai également entendu quelqu’un dire que puisque le Roskilde rock festival ne va pas avoir lieu, nous pourrions utiliser cet espace géant pour faire cours en plein air ou même des églises… Tout espace ou bâtiment actuellement inoccupé est susceptible d’être réquisitionné pour l’école.

- Règle numéro 3 : une grande sévérité dans l’hygiène. Il faut se laver les mains tout le temps, désinfecter les écoles, toutes les surfaces, retirer les jouets dans les plus petites classes. Tout ceci a été rendu possible grâce à un gros effort produit pendant les vacances de Pâques, afin que les écoles soient prêtes à accueillir tous les enfants. Nous en sommes là.

HA | On parle du 11 mai pour une réouverture complète : qu’en pensez-vous ?

RE | La date du 11 mai est dans tous les esprits parce que la première ministre a statué qu’elle ne communiquerait sur aucun nouveau cadre avant le 10 mai. Car nous avons besoin de nouvelles données sur le R0 – vous connaissez le R0 ? C’est le coefficient de propagation du virus. Notre agence de santé a dit que nous ne pouvions aller au-delà de 1.2 sur l’échelle du R0, sinon on risquait de mettre à mal les structures hospitalières et on ne pourrait plus garantir un système de santé opérationnel. Puis, on commence le déconfinement partiel, en particulier dans les écoles. On doit laisser le processus se faire en trois, quatre semaines, avant de voir l’impact que cela aura sur la société. Ensuite, il faudra recueillir des données et les analyser et voir si les mesures fonctionnent bien. La première ministre recevra un nouveau rapport début mai, qui sera analysé et qui pourra dire comment, et si cela fonctionne bien. Ensuite, on avance, et si on ne peut pas, on ne peut pas. On aura des mesures politiques autour du 10, mais pas avant ; elles seront prises en fonction de l’évolution de la situation. C’est comme marcher sur une fine couche de glace : on fait un pas après l’autre. C’est ça la stratégie.

HA | Comment ont réagi les parents d’élèves à cette réouverture plutôt précoce ?

RE | En tant que parent, c’est une expérience traumatisante quand on est soudain confronté à une crise sanitaire. Il est tout à fait normal de réagir ainsi et de se sentir inquiet. On se fait tous du souci en tant que parent, mais là, encore plus. Laisser partir son enfant dans un environnement sur lequel vous n’avez aucun contrôle, et où le danger de la maladie menace, est très anxiogène, mais les parents pensent que leur école est en mesure d’assumer cette responsabilité. Surtout depuis l’émergence de débats publics relatifs aux consignes de sécurité élémentaires pour une réouverture partielle. Et il s’avère que quasiment tous l’ont fait. Presque 90 %. On est revenu à la normale pour ce groupe d’âge des 0 à 11 ans.

HA | Est-ce que ça a été le cas aussi pour les plus jeunes enfants ?

RE | Il est intéressant de constater qu’à la maternelle, de 0 à 6 ans, l’expérience a été très différente. Parce que les très jeunes enfants sont beaucoup moins facilement contrôlables. On ne peut pas vérifier en permanence qu’ils jouent dans des groupes de 5 maximum, comme on le ferait avec des élèves de primaire. Ils s’embrassent, on a besoin de changer leurs couches… Il y a du contact physique en permanence. Beaucoup de parents ont donc dit : « C’est bien beau ce que vous dites, mais cela ne me suffit pas. Ce n’est pas une remise en cause des enseignants ou des politiques, mais simplement, en termes pratiques, je continue à penser que c’est plus sûr à la maison et qu’il y a une trop grande différence entre la maternelle et le primaire. » Pour le primaire, c’est un peu différent : je crois que ce débat a permis de construire la confiance. On a discuté, on est arrivé à des consignes de sécurité solides et il y a eu une bonne communication entre les écoles et les parents, qui ont ainsi bien compris les tenants et les aboutissants. Néanmoins, on a toujours des familles qui sont trop inquiètes pour laisser partir leurs enfants. Nous essayons de savoir si c’est un problème dû à la langue. Nous avons bien sûr des familles qui ne parlent pas danois à la maison. Est-ce que ce serait ça le problème ? ou une autre question sociale ? Voilà notre position actuelle sur cette problématique.

HA | En tant qu’association de parents d’élèves, dans quelle mesure est-ce que vous êtes sollicités dans la gestion de cette crise ?

RE | Nous avons des rendez-vous comme celui-ci plusieurs fois par semaine par Teams ou Skype avec les différents ministères, les associations de chefs d’établissement, nous, parents d’élève, les associations d’enseignants, les municipalités locales. Nous parlons à tous les acteurs, à tous les niveaux très régulièrement. Ce qui a un véritable impact sur le cadre et sa mise en œuvre. Nous partageons les idées très vite. Arriver à une réglementation est une chose, mais la mettre en œuvre concrètement en est une autre. Nous avons le pouvoir de dire : voilà comment il faudrait faire telle ou telle chose. Si nous faisons les choses ainsi, nous pensons que les parents adhéreront. C’est souvent comme ça que nous posons les choses. On ne représente pas les parents de façon formelle, comme si on était un parti politique… On est une association de parents volontaires, et en tant que telle, nous essayons d’établir des relations de confiance.

HA | Nous avons enregistré cet entretien deux semaines après la réouverture des écoles au Danemark et il était encore trop tôt pour en tirer le bilan. Que ce bilan soit positif ou négatif, c’est sans doute la méthode que l’on peut retenir : le dialogue permanent et une gestion participative de la crise.