Pour clore cette série « Retour en classe », nous vous proposons une dernière table ronde consacrée au recueil de la parole des élèves en maternelle.
En cette fin d'année scolaire extraordinaire, la reprise aura pu être l'occasion d'offrir aux enfants un espace pour parler de ce qu’ils ont vécu, ressenti ou eu envie pendant et après cette expérience inédite. En quoi le recueil de la parole des élèves est-il important en maternelle ? Comment les enseignants peuvent-ils aider les enfants à exprimer leurs ressentis ? Et si cette parole de nos jeunes élèves nous offrait aussi l’occasion de refaire classe, refaire lien ? Avec nous pour en parler, Françoise Parrochia, professeure des écoles en maternelle, Stéphanie Pataud-Lacroix, psychologue de l’Éducation nationale et EDA, et Gaëlle Pavon, conseillère pédagogique départementale maternelle.

La transcription de cet épisode est disponible après les crédits.


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Extra classe, des podcasts produits par Réseau Canopé. 

Émission animée en juin 2020 par : Claude Pereira Leconte 

Directrice de publication : Marie-Caroline Missir 

Coordination et production : Hervé Turri, Luc Taramini, Magali Devance 

Mixage : Simon Gattegno

Secrétariat de rédaction : Séverine Aubrée

Contactez-nous sur : contact@reseau-canope.fr 

© Réseau Canopé, 2020


Transcription :

CLAUDE PEREIRA LECONTE | Depuis le 11 mai 2020, les 2 millions et demi d'enfants scolarisés en école maternelle ont repris progressivement le chemin de leur classe après avoir vécu près de deux mois de confinement et de continuité pédagogique. Entre protocole sanitaire, gestes barrières et distanciation sociale, ils ont retrouvé leurs camarades, leurs ATSEM et leurs enseignants. Une reprise au double objectif : rescolariser ces jeunes élèves mais surtout les resocialiser en leur permettant de reprendre contact avec ce quotidien scolaire. Elle est aussi l'opportunité d'offrir aux élèves de maternelle un espace pour pouvoir parler de ce qu'ils ont vécu, ressenti ou eu envie durant et après cette période inédite. En quoi le recueil de la parole des élèves est-il important en maternelle ? Comment les enseignants peuvent-ils les aider à exprimer leur ressenti ? Et si cette parole de nos jeunes élèves nous offrait aussi l'occasion de refaire classe, de refaire lien ? Pour en parler avec nous, nous recevons Françoise Parrochia, professeure des écoles en maternelle. Stéphanie Pataud-Lacroix, psychologue de l'Éducation nationale EDA et Gaëlle Pavon, conseillère pédagogique départementale maternelle. Bonjour à toutes les trois et merci d'être avec nous.

GAËLLE PAVON | Bonjour.

STÉPHANIE PATAUD-LACROIX | Bonjour.

FRANÇOISE PARROCHIA | Bonjour.

CPL | Pour préparer cette émission, j'ai échangé avec des collègues qui préparaient cette reprise. Ils s'interrogeaient sur ce que les élèves avaient pu vivre durant cette période et ce qu'allait être leur réaction. Les élèves sont revenus à l'école. Concrètement, Stéphanie, qu'expriment-ils ?

SPL | Alors à ce jour, les retours que j'ai pu avoir auprès des collègues qui ont accueilli les élèves — de grande section surtout, j'ai eu ces retours-là — c'est que dans tous les cas elles se sont installées en position de pouvoir les accueillir avec leurs repères qu'ils avaient précédemment, c'est-à-dire soit quand elles avaient fait des « Quoi de neuf », de maintenir leur « Quoi de neuf » et sinon elles posaient aussi quelques questions. Ou il y en a d'autres qui avaient utilisé des petites cartes sur les émotions pour les faire parler. Et en fait globalement, les enfants sont facilement revenus, ont répondu aux questions. Ils ont pu aussi dire très facilement ce qui avait été agréable pour eux pendant le confinement, ce qui avait été peut-être un peu plus difficile, mais aussi surtout ce qu'ils avaient fait pendant le confinement. À ce jour, je n'ai pas eu de retours, en tout cas sur mon secteur, d'éléments qui auraient pu vraiment questionner.

CPL | Gaëlle vous accompagnez les équipes au quotidien, avez-vous eu les mêmes retours que ceux de Stéphanie ?

GP | Oui, on a eu des retours extrêmement positifs avec des enfants contents de revenir en classe, de revoir leurs copains, même s’ils n'allaient plus pouvoir se rapprocher d'eux autant qu'ils le souhaiteraient.Et les parents aussi, contents d'une vie qui reprend un petit peu son cours normal, si j'ose dire.

CPL | Françoise, vous êtes au quotidien avec vos élèves de grande section. Avez-vous, vous aussi ressenti ce plaisir de la retrouvaille ?

FP | Oui. Oui, vraiment tout à fait. Ça a été un retour à l'école plutôt tranquille et très rapidement, la joie et le plaisir de se retrouver étaient là et partagés.

CPL | Pourtant, il y a la mise en place des gestes barrières, des mesures sanitaires et le port du masque par la maîtresse. Françoise, comment vous gérez tout ça dans votre classe et comment les élèves le vivent ?

FP | Alors c'est vrai qu'en amont on avait fait un courrier assez précis aux parents et aux enfants pour expliquer où est-ce qu'ils allaient être accueillis dans l'école, parce que dans le cadre de ma classe, j'ai changé de local pour que les enfants soient plus à l'aise et qu'il y ait les distances de sécurité autour des tables comme préconisé par....

CPL | Oui, par le protocole de retour en classe.

FP | Voilà ! Et puis on s'était toutes fait photographier avec un masque et donc on avait envoyé ces photos à nos élèves. De même que les conditions dans lesquelles ils allaient pouvoir rentrer à l'école, passer aux toilettes, etc. Donc il y avait déjà des photos et un petit texte en amont et des dessins.

CPL | Stéphanie, j'aimerais bien que nous revenions sur cette question des gestes barrières et plus particulièrement sur le port du masque. Le métier d'enseignant est un métier de la théâtralisation, surtout en maternelle. Je me pose la question : comment fait-on lorsque l'on porte ce fameux masque ?

SPL | C'est vrai qu'on s'était interrogés. C'étaient des questions qui avaient émané aussi de la part des collègues dans la préparation de l'accueil des élèves, de savoir comment exprimer leurs émotions, puisque du coup les enfants avaient l'habitude de voir le sourire des enseignants ; il y a des collègues qui se posaient beaucoup la question. Et je n'ai pas eu de retour de collègues qui ont pu manifester des enfants très ennuyés de voir leur maîtresse masquée. Je pense que du coup, ils se sont facilement adaptés et habitués. Et puis les enseignants aussi se sont préparés à accueillir les enfants ainsi, quitte à mettre en place avec eux un nouveau type de code qu'on avait déjà évoqué en utilisant peut-être plus le corporel et le gestuel.

CPL | Gaëlle, avez-vous eu les mêmes retours ?

GP | Oui, là encore finalement l'idée que les adultes se font des représentations des enfants, est des fois presque un petit peu en décalé finalement. Les enfants vivent résolument dans l'instant présent et le fait de retrouver une personne qu'ils connaissent et à laquelle ils se sont attaché, je pense aux enseignants et aux ATSEM qui sont vraiment les figures d'attachement des enfants, et bien de retrouver une présence, une voix et du coup, même un sourire, même s'il est caché parce que le sourire peut briller dans les yeux, s'entendre dans la voix, je pense que ça a suffi en fait à leur redonner le plaisir d'être à nouveau à l'école.

CPL | Vos témoignages sont rassurants. On voit que les enfants dans l'ensemble sont heureux de revenir à l'école. Alors ces questions que se posaient les enseignants étaient-elles légitimes ? Stéphanie, est-ce qu'aider les enfants à exprimer ce qu'ils ont ressenti durant cette période assez inédite était utile ? Et si oui, pourquoi ?

SPL | Alors, en cette date, il y a déjà plusieurs jours qui se sont écoulés aussi entre les enfants et les enseignants. Il y avait beaucoup de questions sur comment accueillir cette parole le jour de la reprise. Donc c'est vrai que les enseignants se sont mis un peu à réfléchir pour rencontrer leurs élèves, comment recueillir leur parole, c'est un peu ce que j'évoquais en première partie : tous les outils qu'ils avaient à leur disposition. Ce qui semble important aussi, c'est de pouvoir s'adapter à ce que l'enfant va amener et la phase aussi d'observation des enseignants qui connaissent aussi très bien leurs élèves. À ce moment-là s'ils ressentent que l'enfant a besoin de déposer, qu'ils se mettent en disposition pour les accueillir. Je pense aussi que l'enseignant, tout en restant naturel… l'enfant ça le rassure de voir son enseignant comme d'habitude, qui ne soit pas forcément dans des questions trop insistantes parce que quand on pose des questions, on induit implicitement un type de réponses qu'on attend et l'enfant peut s'y souscrire du coup. Alors que là en se mettant peut-être plus en position d'accueil, dépositaire, sans forcément être dans la question, ça me semble plus adapté à la situation. Et la phase aussi d'observation. C'est vrai qu’on ne sait absolument pas ce qui s'est passé dans les familles. À l'heure d'aujourd'hui, tous les enfants ne sont pas non plus encore revenus à l'école. Donc ce qui est important, je pense, c’est que les enseignants connaissent leurs élèves. Ils les connaissaient… et en phase d'observation voir aussi comment évoluent leurs élèves, s'ils commencent vraiment à se poser des questions, se rapprocher aussi de leurs collègues. Nous, on pense aussi que le travail en équipe est très, très important. Déjà éventuellement s'ils se posent des questions par rapport à des enfants qui auraient pu vivre des choses : le partage avec les collègues, se tourner aussi vers les psychologues de l'Éducation nationale, et puis peut-être aussi simplement dire à l'enfant, bah voilà, moi je trouve que tu es un petit peu triste aujourd'hui ou des choses comme ça. La transparence, il me semble que c'est vraiment très très important. Et dans la sincérité aussi de la parole de l'enseignant.

CPL | Alors quand on est justement au quotidien, dans sa classe, Françoise, quels sont les signes auxquels il faut être particulièrement attentif ?

FP | J'ai envie de répondre que c'est effectivement, comme vient de le dire Stéphanie, en lien avec ce que je connais de mes élèves. Ce que je sais d'eux. Ceux qui sont timides, réservés, etc. Donc j'ai déjà cette connaissance de mes élèves qui me rend très attentive, finalement, aux signes qu'ils m'envoient. Et puis ce que j'ai fait, c'est de les rassembler autour de moi, parce que le fait qu'ils soient à distance, je trouvais que ça ne facilitait pas les retrouvailles. Donc, à l'aide de petits fanions en bois, distendus d'un mètre, je les ai invités néanmoins à se rassembler autour de moi, à faire cercle, et ça, ça a facilité aussi une proximité qui a, je trouve libéré à nouveau, la proximité et plus d'intimité. Et ça a été facilitateur de parole et d'échange.

CPL | Recueillir la parole des élèves en classe me paraît avoir une spécificité, c'est que cela regroupe tous les enfants et chacun peut écouter ce que l'autre raconte, ce que l'autre a vécu, ce que l'autre a ressenti. Gaëlle, est-ce que c'est l'une des spécificités de l'école maternelle ?

GP | Là, c'est justement la spécificité de l'école qui est mise en avant à travers cette question. L'école, c'est justement ce lieu où on apprend ensemble. Et là, de pouvoir rencontrer l'autre à travers les échanges oraux, c'est une belle occasion justement de faire le point un petit peu sur ce qu'on a vécu à travers les similitudes et les différences qu'on constate par rapport à ce que d'autres enfants et d'autres adultes aussi parce qu'il n'y a pas que les enfants à l'école, peuvent dire de leur vécu de cette période. Du coup, là, c'est aussi une belle occasion, qui a été offerte à l'école, de valoriser ce qui a pu être fait dans les familles et de toutes ces paroles positives que les enfants ont pu rapporter de choses intéressantes, qu'ils ont fait chez eux pendant cette période et que les enseignants ont une occasion en or de valoriser. Donc là, on a, à travers ses paroles d'enfants, un renforcement puissant de la relation école-famille.

CPL | Alors nous avons parlé au début de l'émission de l'accompagnement des élèves. Maintenant vous venez nous parler de celui des familles. Mais je me demandais quel accompagnement est-il donné aux enseignants pour qu'ils puissent recueillir cette parole dans de bonnes conditions ?

SPL | Alors je trouve que c'est très très important. Si je me resitue au moment où on a préparé cette reprise, parce qu'on était dans un moment quand même très anxiogène et puis un protocole sanitaire où il fallait mettre en œuvre beaucoup de choses dans les conditions matérielles, c'était important de rencontrer les équipes qui le souhaitaient et leur rappeler qu'elles ont des vraies ressources en elles et que les collègues peuvent aussi compter les uns sur les autres. Recueillir un petit peu déjà leur questionnement, les mettre dans la pensée, ça nous semblait très intéressant aussi, avant d'être eux-mêmes disponibles pour accueillir la parole des enfants. Ils avaient également des vraies questions sur les questions que pouvaient leur adresser les petits de maternelle, justement sur l'absence des copains. Parce que retourner à l'école, c'est retrouver la maîtresse, mais c'est aussi retrouver les copains. Voilà ! ça permettait d'élaborer par rapport à toutes ces questions-là, et se sentir assez libre de sa parole : parce que simplement dire parfois qu'on ne sait pas parce qu'on ne sait pas… la parole étant réelle, étant fiable du coup l'enfant voilà, il est en confiance, il est tranquille, il a aussi ses repères qu'il retrouve. Et effectivement, ce que disait Gaëlle, je trouve que c'est très intéressant parce que ce partage de vécu et de valorisation de ce qui se passe à la maison, c'est important pour les enfants. Je trouvais que c'était intéressant. Mais l'accompagnement des enseignants : c'est vrai que rester aussi disponible pour eux, puis leur dire qu'on est aussi là nous, les membres du RASED, échanger aussi avec son équipe et puis nous contacter si besoin, ça nous semblait aussi très important.

CPL | On voit l'importance d'être accompagné pour accueillir la parole des élèves mais pour bien accueillir ce ressenti de ces jeunes enfants, n'est-il pas aussi important que les adultes, que les enseignants puissent aussi avoir des lieux où ils puissent exprimer ce qu'ils ont vécu ou ressenti durant le confinement ? Françoise, vous qui êtes en classe, est-ce que vous pensez que cela vous serait utile ? 

FP | Ça me semble essentiel effectivement. Et ça ne me semble peut-être pas assez développé dans les équipes ni mis en avant comme quelque chose d'important voir d'essentiel. Je le regrette à ce niveau-là. Ce que nous avons fait nous au niveau de notre équipe, c'est que nous nous sommes concertés au niveau organisationnel. Toute la partie plutôt émotionnelle, a été relativement peu présente.

CPL | Alors ça me semble important ce que vous venez de dire, Françoise. Le fait de devoir apprendre en tant qu'adulte à contenir ses émotions pour pouvoir ensuite aider les élèves à les contenir à leur tour. Gaëlle, y a-t-il d'autres conseils pratiques que vous pouvez donner à nos auditeurs ?

GP | Eh bien déjà, peut-être, de vivre l'instant présent. D'être disponible, de moins être centré dans un premier temps sur les apprentissages, ce qu'on a prévu dans sa préparation de classe, son cahier-journal. Ça, je pense que c'est, au moment des retrouvailles, la priorité elle n'est pas là, la priorité, elle est d'être présent pour l'autre. Et quand on dit présent pour l'autre, c'est pour l'enfant, pour l'accueillir, pour accueillir ses parents alors qu'on les a accueillis dans de manière très différente puisque les parents ne pouvaient plus rentrer dans les locaux de l'école. Donc ils étaient accueillis à la porte ou au portail, ce qui n'est pas la culture de l'école maternelle. Et puis d'être aussi attentif justement à ses collègues, à l'ATSEM avec qui on forme un binôme. Voilà être attentif les uns envers les autres.

CPL | Alors, Françoise, vous qui avez repris déjà depuis quelques jours, que mettez-vous en place concrètement avec vos jeunes élèves pour recueillir leurs paroles ?

FP | En fait, je reprends une habitude que j'avais hors déconfinement dans ma classe, c'est-à-dire que, par exemple, tous les lundis matin, il y a ce que j'appelle le « Quoi de neuf » qui est un moment d'échange de paroles libres sur un thème donné ou pas entre tous mes élèves, on se met en cercle, et je trouve que c'est un moment essentiel pour fédérer le groupe classe et vraiment faire que le groupe se soude et construise de la sécurité et de la confiance. Donc, ça, je l'ai maintenu et donc je le fais même chaque matin. Chaque matin, nous nous mettons en cercle et nous partageons sur là où nous en sommes. Je leur demande comment ils se sentent dans leur cœur et où ils en sont de leurs émotions. Et le soir, de la même manière, avant de nous quitter, on a une petite chanson rituelle pour se dire au revoir et on fait le bilan de comment s'est passé la journée pour chacun : ce qui a été chouette pour lui, quel a été son moment ou son activité préférée ? et ce qui peut avoir été difficile. Je trouve que c'est une façon de boucler chaque fois et de faire en sorte que la sécurité se maintienne, soit présente. Ce que j'ai fait aussi, je ne sais pas si ça répond vraiment à votre question, mais j'ai fait en sorte de maintenir le lien avec les enfants qui ne sont pas revenus à l'école. C'est-à-dire que chaque matin par exemple, je leur dis bonjour individuellement aux élèves présents, et ensuite on dit bonjour aux absents : on rappelle leurs souvenirs, on cite leur prénom, leur appartenance au groupe et ce pour quoi ils ne sont pas là. De même que je cite le prénom des deux adultes qui n'ont pas pu revenir l'une parce qu'elle est enceinte, qui est mon ATSEM, et l'autre qui est une AVS, dont les enfants dont elles s'occupent ne sont pas revenus, donc elle n'est pas présente dans notre classe. Elle est présente dans d'autres classes, mais pas avec nous. Et je trouve que ça a du sens et que c'est important pour moi et pour eux de faire ça. De faire lien. Et de la même manière quand je fais un petit bulletin pour mes élèves qui sont à la maison dans le cadre du suivi… enfin du distanciel, je fais chaque fois que je leur envoie un message, un message audio où je leur parle aussi individuellement et je cite leur prénom. Et je pense que c'est important pour maintenir le groupe.

CPL | Alors Stéphanie, il y a aussi une spécificité dont on doit prendre en compte en maternelle, c'est que tous les enfants ne sont pas parleurs. Alors comment faire pour les aider à exprimer ce qu'ils ressentent ?

SPL | En même temps je trouve que c'est très intéressant ce que Françoise a dit. Et c'est vrai : pour recueillir aussi les paroles, les enfants doivent se sentir en sécurité. Et les repères, les rituels sont très très importants pour les enfants, surtout quand ils sont revenus à l'école où il y a des choses qui on a un peu changé : s'appuyer sur ce qu'on connaît rassure. Et, comme on disait aussi, les enseignants connaissent leurs élèves et le choix des outils, en général ce sont déjà des outils qu'ils ont utilisé précédemment avant cette période de confinement, permettent à leurs élèves de s'exprimer. Ça peut être aussi bien passer par du jeu, que par du corporel en travaillant autour du mime avec eux ou… des petites choses comme ça… parce que les enfants qui ont du mal à s'exprimer oralement, en général ils s'expriment beaucoup par le corps. Et tout un travail aussi au niveau du corps peut être intéressant par les collègues, mais qui, à mon avis a déjà été amorcé avant cette période de confinement. Je m'appuie aussi beaucoup sur le fait que les enseignants connaissent leurs élèves, Françoise l'a bien rappelé, et on part sur du connu, on part sur du vécu. Ça reste aussi très authentique pour l'enseignant parce qu'à partir du moment où il est familiarisé avec un outil qu'il utilise, il est beaucoup plus à l'aise avec. Et l'enfant sentant aussi cette authenticité dans la relation sera plus favorable pour exprimer des choses. Il y a aussi l'utilisation de carte de travail autour des émotions avec les plus jeunes : on peut utiliser des outils sur les émotions des marionnettes pour travailler justement, comment exprimer les choses, utiliser des médiateurs qui sont familiers à l'environnement de la classe.

CPL | Gaëlle, avez-vous d'autres conseils pratiques à nous donner ?

GP | Pour compléter les propositions de Stéphanie on peut aussi, avec les plus jeunes, réintroduire le jeu symbolique, même si, avec le protocole sanitaire, c'est sûr que c'est un petit peu plus compliqué parce que les enfants ne peuvent pas se prêter les jouets, donc ils peuvent occuper un coin jeu, on va dire seulement un par un, il faut un nettoyage, vraiment sérieux entre deux utilisations, mais ça n'empêchait pas de mettre une poupée, par exemple, entre les mains d'un enfant, et là on sait que le jeu symbolique est aussi un espace d'expression pour les enfants dont ils s'emparent en général assez aisément.

CPL | En vous écoutant depuis le début de cette émission et en repensant à l'éclairage que vous avez fait sur le recueil de la parole des élèves en maternelle, je me demandais, Françoise, si l'enjeu autour de cette parole de nos jeunes élèves n'était pas de réussir à refaire classe et tout simplement à refaire lien.

FP | Je suis complètement d'accord. Mes deux collègues Gaëlle et Stéphanie, parlaient de l'importance de valoriser ce qui s'était fait dans la maison. Mais ce qui me semble aussi parallèlement important de faire, c'est de rétablir la circulation entre ce qui s'est fait dans la maison et ce qui s'est fait à l'école et la mise en sens et en continuité qui se poursuit ou qui reprend. Et donc à ce niveau-là l'échange de paroles est important.

CPL | Alors on parle de cet échange de paroles, Stéphanie, est-ce que vous aussi vous partagez ce point de vue que ces échanges entre les élèves et les enseignants permettent aussi de refaire classe ?

SPL | Moi je trouve que c'est important le sentiment d'appartenance au groupe classe, et c'est vrai que je rejoins Françoise, parce qu'il y a eu cet isolement pendant longtemps et se retrouver c'est aussi un moment de partage et la parole peut être utilisée comme un moyen de partager son vécu, ses émotions, mais aussi la joie de se retrouver, la joie de construire aussi des nouveaux repères puisqu’il y a des choses qui ont changé, réellement dans leur classe, encore aujourd'hui. Et tout ça, c'est vrai que c'est important. Et puis écouter l'autre, apprendre à écouter l'autre, il y a des règles qui n'ont pas changé non plus : on parle chacun son tour, on apprend à s'écouter. Alors reste, ce que vous avez souligné Claude, la difficulté pour les enfants qui ne peuvent pas parler, leur donner leur place à ceux-là en utilisant d'autres moyens ; le jeu symbolique est effectivement très important. Mais c'est vrai que j'entends bien cette histoire, Françoise, quand vous parlez de les avoir autour de soi, de bien faire aussi ce recontenant, ce contenant de groupe activement qui fait ce sentiment d'appartenance au groupe. Mais ça, je pense que c'est très très important parce qu'on a été isolé et on fait groupe, on fait classe. Et les absents il faut aussi qu'ils aient leur place effectivement dans ce groupe et je trouve que c'est très intéressant ce que vous avez dit aussi au niveau du lien avec ceux qui sont absents et comment penser à les faire exister au sein de la classe malgré leur absence physique. On a pu évoquer les projets, de faire un projet commun à la classe, et que même ceux qui étaient absents puissent quand même participer de là où ils étaient chez eux pour pouvoir contribuer à ce projet collectif, pour être à nouveau dans ce groupe classe. Alors il y a la parole effectivement qui va apparaître sur le registre langagier mais on peut s'exprimer aussi très différemment. Les enfants, les plus jeunes, sur le geste graphique ça peut être compliqué, mais sur un autre type de production aussi artistique, qui peut être une façon aussi de s'exprimer et qui peut, quand c'est collectif comme ça, redonner ce sentiment aussi d'appartenance au groupe classe qui me semble très important.

CPL | Françoise, je vois que vous souhaitez réagir.

FP | C'était sur la notion de contenance. Je pense qu'effectivement il est important de recréer de la sécurité pour que vraiment l'enfant soit accueilli dans toutes ses dimensions. Et particulièrement ses émotions et l'endroit où il en est. Son devenir d'élève. Il y a une sorte de suspension et le chemin reprend et se poursuit. Et donc qu'il puisse être accueilli dans ces inquiétudes ou dans toutes les émotions qu'il traverse, parce que de se signifier comme ça dans la classe lui permet d'être accueilli dans son identité de petit humain avec tous ses aspects. Et ça, c'est grandir aussi et mûrir que de mieux se connaître et de mieux se connaître grâce au pair, grâce à l'adulte, grâce aux liens et à la parole, aux outils qui sont donnés pour s'accueillir encore mieux et plus en sécurité.

CPL | Alors, pour conclure ce que nous nous disons depuis le début de cet échange, je me demandais aussi si ce recueil de la parole n'était pas aussi un moyen de construire la citoyenneté des élèves. Gaëlle, qu'en pensez-vous ?

GP | C'est exactement ce sur quoi je cheminais et je me dis que finalement, cet épisode nous aura permis de mesurer à quel point l'école fait partie de la vie des familles, de la vie des enfants, qu'en ciblant l'école comme lieu d'épanouissement et lieu de langage, on voit bien à travers toutes nos discussions, qu'on est bien là, au cœur des missions et des objectifs que s'est fixé l'école et que tout ça en fait à l'école, c'est permis, grâce à la rencontre de l'autre et là on mesure en fait toute la puissance du vivre ensemble que l'école apporte et que quand on est chacun confiné dans sa maison, forcément c'est beaucoup plus difficile et il ne se passe pas les mêmes choses.

CPL | Merci à vous trois et merci à ceux qui nous écoutent. C'était « Recueillir la parole des élèves en maternelle » un épisode d'Extra Classe.