🌆 Architecture, stratégie et histoire s’entremêlent dans ce jeu. Devenez l’urbaniste de Chandigarh et relevez le défi de Le Corbusier !


Clément

Article écrit par Clément. Adepte des jeux rapides, son pire ennemi est le paralyseur. Spécialiste des jeux de plis, des casse-têtes et des ours. Il a deux chats, trop de plantes et une mémoire défaillante. Devise : « Faut que ça poppe ! »

Chandigarh

Chandigarh

⚠ Avertissement : Dans un souci de transparence envers notre communauté, nous tenons à préciser que cet article reflète notre opinion personnelle sur le jeu. Nous n’avons reçu aucune contrepartie de la part de l’éditeur du jeu. Nous avons acquis et testé le jeu de façon indépendante, sans lien commercial avec son éditeur. Les avis présentés ici représentent notre analyse honnête et impartiale du jeu, basée sur notre propre expérience.


En bref :

  • Un jeu de société qui transforme l’héritage de Le Corbusier en expérience ludique
  • Des mécaniques de jeu mêlant programmation et placement
  • Un jeu expert masqué en jeu familial

Entre vos mains repose le destin d’une ville nouvelle, chaque tuile placée vous rapprochant du rêve moderniste de Le Corbusier.

Apparu dans la première moitié du XXe siècle, le modernisme est un courant artistique qui s’est décliné de différentes manières. La plus connue est sans doute l’architecture, car c’est aussi la plus visible, son influence étant encore très présente dans le monde qui nous entoure. Née en Italie en 1910, l’architecture futuriste se développera sous la dictature fasciste, puis influencera les grands architectes, directement ou indirectement, et se déclinera en divers courants, qui se réclameront ou non héritiers du futurisme, celui-ci étant marqué par le soutien mussolinien.

Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, les grands projets se multiplièrent. La reconstruction des villes européennes, tout d’abord, des villes comme Le Havre ou Dresde ayant été rasées par les bombardements. Puis le réaménagement des centres-villes historiques, peu adaptés à l’apparition de l’automobile, alors considérée comme le moyen de transport du futur. C’est l’époque des projets d’autoroutes à six voies jusque dans le centre des villes, projets qui n’ont heureusement pas tous abouti. Il existe également un autre type de projet : les villes nouvelles. Des cités sans existence préalable, qui sortent de terre sur des terrains vierges. Si les villes nouvelles européennes sont surtout des cités-dortoirs, les années 50 vont voir la création de deux capitales : Brasilia, capitale fédérale du Brésil, et Chandigarh, capitale de l’État du Pendjab, en Inde. La construction de Chandigarh est confiée à Le Corbusier, et celle de Brasilia à Oscar Niemeyer, architecte brésilien, disciple du premier, et s’inscrivant comme lui dans le style international, officiellement héritier du Bauhaus, mais fortement influencé par le futurisme italien.

Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, est un architecte franco-suisse, né en 1887 à La Chaux-de-Fonds et mort en 1965 en France. Inventeur de l’unité d’habitation, il proposera également « une architecture moderne » en cinq points (pilotis, toit-terrasse, plan libre, fenêtre en bandeau, façade libre). Actif dès les années 1910, il dessine et conçoit plusieurs villas et ateliers en Suisse, avant de passer à des constructions plus conséquentes dans les années 30, tels que des bâtiments publics ou des immeubles d’habitation. Mais c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que l’architecte va déployer son œuvre, avec les Maisons et Cités Radieuses, à Marseille, Rezé et Briey. La consécration arrive en 1950, avec la commande du plan de la ville nouvelle de Chandigarh, en Inde. Il dessine le plan en damier et quelques bâtiments publics, mais c’est son cousin qui se chargera du suivi du chantier.

Connu pour son utilisation du béton et des espaces blancs, Le Corbusier est hygiéniste : « On fait propre chez soi, puis on fait propre en soi. » Mais il est aussi attiré par le fascisme italien, et ses liens avec les idéologues de la droite nationaliste française ainsi que son antisémitisme sont bien documentés. Le Corbusier se félicite en 1940 de la défaite française et se réjouit du « grand nettoyage » à venir. Vichyste convaincu, il essaie de porter sa vision de l’urbanisme au service de la « Révolution nationale » du Maréchal Pétain, mais sans succès. Déçu, il rentre à Paris et rejoint Alexis Carrel, eugéniste convaincu. Le Corbusier, aidé par André Malraux, échappe à l’épuration de 1945 en se faisant passer pour une victime de Vichy. Mais il ne reniera jamais ses idées et continuera à mépriser les « populations parasitaires » et les « habitants stériles ».

L’œuvre du Corbusier a eu une influence indéniable sur l’architecture moderne, et plusieurs de ses bâtiments ou ensembles de bâtiments ont été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2016. Parmi ceux-ci figure le complexe du Capitole, groupe de bâtiments publics de Chandigarh, symbolisé par la main ouverte.

Le jeu

Chandigarh, le jeu, nous propose de prendre la place d’urbanistes chargés de mettre en œuvre le plan du Corbusier dans cette ville nouvelle.

Le jeu se déroule autour d’un plateau formé de 16 tuiles disposées en carré (ou non, selon la volonté des joueurs et joueuses). Chaque tuile représente un quartier de la ville et comporte au centre de 3 à 5 emplacements pour bâtiments, chaque emplacement étant sur un côté de la tuile. Le pourtour des tuiles représente des rues, dans lesquelles les joueurs et joueuses vont se déplacer (à la jonction des tuiles ou sur le tour du plateau). Chaque rue formée par la grille reçoit une valeur, ainsi que le pourtour de la ville.

Chaque joueur et joueuse reçoit un architecte, qu’il ou elle place au milieu de la grille sur le carrefour central, et 5 jetons de la même couleur (appelés superviseurs) qu’il ou elle garde de côté pour le moment.

On dispose ensuite des cartes projets le long du plateau. Chaque carte projet contient 5 zones :

  • La zone distance, en haut à gauche, qui donne le nombre de déplacements possibles
  • La zone valeur, en haut à droite, qui donne la valeur de la carte si le contrat est rempli
  • La zone contrat, au centre, qui détermine le contrat à remplir pour marquer les points lorsque la carte est défaussée
  • Les zones bâtiments, en bas à droite et à gauche, qui déterminent les bâtiments que le joueur ou la joueuse pourra obtenir

Les bâtiments sont de 4 types, de couleurs différentes :

  • Bleu, pour les bâtiments publics
  • Jaune, pour les bâtiments commerciaux
  • Rouge, pour les bâtiments religieux
  • Vert, pour les parcs

Il y a 18 bâtiments de chaque type. Les contrats sur les cartes projets font référence aux types de bâtiments et à leur placement :

  • Dans la même tuile
  • Dans des tuiles adjacentes ou en diagonale, quelle que soit leur place dans le secteur
  • De chaque côté de la rue, face à face
  • Sur un emplacement adjacent à la rue formant le tour de la grille

Il y a 36 cartes projets, avec des combinaisons différentes (couleurs et contrats).

À son tour, un joueur ou une joueuse peut effectuer une des deux actions suivantes :

  • Se déplacer et construire
  • Prendre une nouvelle carte projet et marquer des points
Chandigarh plateau

Se déplacer et construire

Pour se déplacer, le joueur ou la joueuse doit d’abord faire la somme des distances sur les cartes devant lui ou elle, qui lui indiquera le nombre total de déplacements possibles. Un déplacement correspond au passage d’un carrefour à un autre sur la grille, y compris sur le tour. Il n’est pas obligatoire d’utiliser tous les déplacements, et il est interdit de revenir sur ses pas. De même, il n’est pas possible de finir son tour sur un carrefour déjà occupé, mais il est possible d’y passer.

La construction se fait après chaque déplacement. Le joueur ou la joueuse peut alors poser un de ses bâtiments sur tout emplacement disponible adjacent aux côtés des tuiles formant le carrefour.

Dans le cas où le bâtiment posé remplit le dernier emplacement disponible de la tuile, le joueur ou la joueuse pose alors un superviseur au centre de la tuile, qui lui « appartient » alors.

Par ailleurs, si un spécialiste est sur la tuile et que le bâtiment construit est de la même couleur, le joueur ou la joueuse gagne alors le droit d’activer le pouvoir du spécialiste et déplace le spécialiste sur n’importe quelle autre tuile non complète. Les spécialistes sont au nombre de 4, un de chaque couleur. Ils permettent d’avoir des bonus (de construction, de déplacement, de score ou de tirage), activables à chaque tour, à partir du moment où le joueur ou la joueuse a gagné ce droit. Tous les joueurs et joueuses peuvent activer les spécialistes, il n’y a pas d’avantage ou de limite.

Chandigarh matos

Prendre une nouvelle carte projet et marquer des points

Le joueur ou la joueuse prend une des cartes projets disponibles face visible et l’ajoute à ses cartes, à droite ou à gauche des cartes déjà posées. Il ou elle prend alors les bâtiments correspondants aux deux zones bâtiments nouvellement reliées (celle de la nouvelle carte et celle de la carte déjà posée).

Si le joueur ou la joueuse a plus de 3 cartes devant lui ou elle, la carte opposée à la carte qui vient d’être posée doit être défaussée, et on compte alors les points marqués par le joueur ou la joueuse, en fonction de la valeur de la carte et du nombre de fois que le contrat est rempli sur le plateau. Tous les bâtiments comptent, qu’ils aient été posés par le joueur ou la joueuse ou ses adversaires. Toutefois, un bâtiment ne peut compter qu’une fois par carte et ne peut pas servir à remplir plusieurs fois le contrat.

À la fin du tour, la réserve de cartes projets est regarnie.

Fin de partie

La partie se termine lorsqu’un joueur ou une joueuse prend le dernier bâtiment d’une couleur. Le tour de table se termine, afin que tout le monde ait joué le même nombre de fois, et le décompte commence alors.

Chaque joueur ou joueuse peut marquer une de ses cartes projets, quelle que soit sa position. Il ou elle gagne également des points pour chaque spécialiste activé, ainsi que des points liés aux rues qu’il ou elle contrôle, c’est-à-dire les rues où il ou elle a plus de superviseurs que ses adversaires (dans les tuiles qui bordent la rue). On additionne tous ces points à ceux gagnés en cours de partie, et le joueur ou la joueuse avec le total le plus élevé remporte la partie.

Chandigarh arrière

Le matériel

Le matériel de Chandigarh est important. En nombre, avec de nombreux bâtiments, jetons score, jetons superviseurs, etc. Mais aussi en termes d’ambiance. Les bâtiments reprennent les formes des bâtiments de la vraie ville, et les tuiles composant la ville reprennent le plan quadrillé conçu par Le Corbusier. Il y a beaucoup de petits détails qui montrent une certaine envie de bien faire et un amour de l’architecture (ou de l’architecte). Le résultat est plutôt réussi, avec une esthétique léchée, agrémentée de dessins qui servent le jeu et l’accompagnent, en se mettant à son service. Les couleurs sont plutôt pastels et globalement assez harmonieuses. Les jetons ont tous des formes différentes, qui permettent de les identifier sans s’aider des couleurs (au prix d’un certain effort, toutefois).

Le livret de règles est assez complet et didactique. Mais certaines règles sont malgré tout un peu absconses, en particulier au niveau des cartes projets. De même, les spécialistes sont nombreux, et leurs pouvoirs sont décrits assez sommairement, en particulier sur le moment d’activation. Une lecture rapide des règles n’est vraiment pas conseillée.

Chandigarh, verdict

Chandigarh n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains. S’il peut sembler classique de premier abord, avec ses mécaniques de placement et de gestion de ressources, c’est dans sa gestion du score que le jeu va amener un réel changement. Il ne suffit pas de remplir un contrat pour marquer des points, il faut aussi savoir le sortir au bon moment. Et comme il n’est pas possible de le sortir comme on le souhaite, il va parfois falloir faire des choix difficiles, entre sortir une carte maintenant pour pouvoir hypothétiquement marquer des points plus tard, ou la conserver afin d’augmenter sa valeur, en prenant le risque de ne pas réussir à marquer les points si elle reste coincée au milieu de son jeu.

De même, il faut savoir faire des choix au niveau des bâtiments que l’on va prendre, afin de pouvoir avoir les bons bâtiments, ceux qui correspondent aux contrats que l’on veut scorer. Mais il faut aussi savoir gérer le stock de bâtiments restants, pour déclencher ou non la fin de partie. Il peut être intéressant de la déclencher plus tôt si l’adversaire peut potentiellement marquer beaucoup de points en deux tours. Cette gestion de fin de partie, ainsi que le choix des cartes projets lors de l’action « Prendre une nouvelle carte » vont créer une interaction relative, dans un jeu qui n’en a pas vraiment autrement. Cela force les joueurs et joueuses à rester attentifs au score et à la stratégie des adversaires. Il faudra donc savoir « lire » les intentions des autres, au travers notamment de leurs cartes projets et de leurs bâtiments. Il est possible de gêner les autres en se plaçant sur un carrefour convoité (à condition que l’autre ne puisse pas y accéder en passant) et en déplaçant les spécialistes lors de leur « prise ».

Un joueur ou une joueuse qui restera concentré sur son propre jeu, sans tenir compte des autres, ne pourra pas profiter des opportunités qui se présentent, et elles se présentent. Chandigarh est un jeu qui fait la part belle aux opportunistes, ceux qui savent adapter leur stratégie pour profiter des erreurs ou offrandes faites par les autres. Mais il faut aussi savoir planifier à plus ou moins long terme et capitaliser sur les bâtiments déjà placés.

Certaines cartes ne seront pas du tout intéressantes à prendre vers la fin de la partie, leurs conditions étant trop compliquées et risquées à ce point du jeu, alors que d’autres seront des mines de points. Identifier ces typologies de cartes et les utiliser correctement n’est pas forcément à la portée de tout le monde et demande une certaine habitude.

Chandigarh est annoncé à partir de 10 ans, mais la complexité du jeu et l’ensemble des possibilités me paraissent élevés pour cet âge. Il me semble que le jeu s’adresse plus à un public averti et pas à un public familial. Et c’est sans doute là que le bât blesse. Parce que l’éditeur paraît avoir fait le choix d’un marketing grand public, ce qui risque de créer quelques surprises.

On a aimé:

  • La profondeur stratégique qui vous fait vous sentir comme un véritable urbaniste
  • Le matériel de qualité qui rend hommage à l’architecture de Le Corbusier
  • Les mécaniques bien imbriquées qui créent des choix intéressants

On a moins aimé:

  • Le positionnement marketing un peu confus
  • Quelques règles qui mériteraient plus de clarté
  • Le temps d’apprentissage qui peut décourager les néophytes

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aimez les jeux qui font travailler vos méninges
  • L’architecture moderniste vous passionne
  • Vous appréciez planifier plusieurs coups à l’avance
  • Vous ne craignez pas de devoir relire les règles plusieurs fois

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous cherchez un jeu rapide à prendre en main
  • L’architecture vous laisse de marbre
  • Vous préférez les jeux plus directs et moins cérébraux
  • Vous avez une allergie au béton 😉

Un jeu de programmation-placement plutôt réussi, mais qui semble se tromper de cible.

Chandigarh réussit le tour de force de transformer un chapitre d’histoire de l’architecture en une expérience ludique fascinante – à condition d’être prêt à construire sa stratégie aussi soigneusement que Le Corbusier dessinait ses plans !

Très bon !

⭐⭐⭐⭐

Note : 4 sur 5. Chandigarh chez Philibert


  • Label Dé Vert : Non. Pour en savoir plus sur le label Dé Vert, c’est ici.
  • Création : Toni López
  • Illustrations : Edis Valls
  • Édition : Ludonova
  • Nombre de joueurs et joueuses : 2 – 4
  • Âge conseillé : Dès 10 ans
  • Durée : 45 à 60 minutes
  • Thème : Planification urbaine
  • Mécaniques principales : Programmation, placement. Pour en savoir plus sur les différentes mécaniques de jeux, c’est ici.


Rejoignez notre communauté :

Rejoignez notre chaîne WhatsApp


Depuis 2007, votre fidélité a façonné notre blog sur les jeux. Pour rendre votre expérience de lecture toujours plus agréable, nous avons choisi un espace sans publicité, nous entretenons toutefois des relations d’affiliation avec Philibert et Play-in, nous touchons une petite commission lorsque vous achetez un jeu depuis notre site. Notre indépendance se nourrit de votre soutien, et chaque contribution, petite ou grande, fait une réelle différence.

En donnant via Tipee, vous nous aidez à enrichir notre contenu et à partager notre passion pour les jeux de société. Votre soutien nous permet de continuer cette belle aventure ensemble. Merci pour votre générosité et pour faire partie de notre communauté dédiée aux jeux, sous toutes ses formes. Ensemble, continuons à explorer l’univers ludique !

Soutenez Gus&Co sur Tipeee

L’article Bâtissez votre Chandigarh : Le modernisme se fait ludique est apparu en premier sur Gus & Co.