🐟 Entre gestion et préservation, Conservas vous met aux commandes d’une flotte de pêche. Un jeu solo intelligent qui questionne notre rapport aux ressources.


Romain Virtuel

Auteur et game designer biberonné au jeu de Go et au jeu de rôle. Affection pour les jeux solo. Goût prononcé pour la SF. Vends cartes Magic ayant servi de sous-bock. Autres chroniques sur Le Miroir des jeux.

Conservas

Conservas

⚠ Avertissement : Dans un souci de transparence envers notre communauté, nous tenons à préciser que cet article reflète notre opinion personnelle sur le jeu. Nous n’avons reçu aucune contrepartie de la part de l’éditeur du jeu. Nous avons acquis et testé le jeu de façon indépendante, sans lien commercial avec son éditeur. Les avis présentés ici représentent notre analyse honnête et impartiale du jeu, basée sur notre propre expérience.


En bref :

  • Un jeu solo de bag-building qui simule la gestion d’une flotte de pêche
  • Une mécanique intelligente qui force à réfléchir à l’équilibre entre profit et durabilité
  • Une progression bien pensée sur 12 scénarios avec un matériel soigné

Remplir ses cales ou préserver les océans ? Voici enfin un jeu qui pose la vraie question. Conservas, un jeu de bag-building en solo qui vous emmène bien plus loin qu’en haute mer.

Avec plus d’une centaine de titres à son actif sur BGG, Scott Almes a notamment développé la gamme au succès planétaire Tiny Epic. En France, vous le connaissez peut-être pour avoir croisé certains de ses jeux emportés par le tsunami des nouvelles sorties : D’Orge et de Blé (Deep Print Games, 2022) ou encore Almanac: Sommet Cristallin (Kolossal Games, 2022).

Mais si Almes est un vieux marin du game design, il l’est encore plus du jeu solo. C’est notamment lui qui a signé plusieurs des mini-jeux de portefeuille de la gamme Micro Games (L’Île aux prédateurs, Au Griffon fonffon, Leçons de pêche), mais aussi quelques solides titres de la « Solo Hero Series » de Renegate Games Studio (Origames en France) : Warp’s Edge, Wraith & The Giants mais surtout La mort aux trousses que nous avions déjà remarqué dans notre analyse des jeux en solitaire. Son prochain titre de poche, A Nice Cuppa (Button Shy, 2024), est un nouveau jeu solo mignon comme un cupcake et particulièrement malin dans son association méca-thématique.

C’est donc entre les mains d’un maître du design de jeux solo que vous vous embarquez avec Conservas (Salt & Pepper Games, 2024, disponible pour le moment en anglais/espagnol). Accrochez-vous, la pêche s’annonce fructueuse.

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L’expérience du jeu

Dans Conservas, vous dirigez l’intégralité de la chaîne de production de conserves, de la pêche en haute mer jusqu’à la revente au marché. L’objectif est, pour chacune des douze configurations proposées, d’atteindre les objectifs de rentabilité et de biodiversité (c’est-à-dire, en termes mécaniques, de maintenir un certain nombre de poissons dans la mer).

Le jeu s’articule autour de sa phase principale de pioche de sac, ou de bag-building comme on dit dans le jargon. Le sac représente la mer. À l’intérieur se trouvent des jetons-poissons. Et chaque jour de pêche, vous allez « pêiocher » cinq poissons par bateau dans votre flotte.

Cette pêioche (oui, je déclare ce terme officiellement adopté) est à répartir entre la cargaison de votre bateau, aux emplacements limités (ce que vous allez effectivement gagner), et le grand bleu (ce que vous rejetez à la mer). Attention cependant : vos bateaux doivent tous rentrer les cales pleines, ce qui signifie que plus votre flotte sera importante, plus vous prélèverez une portion significative de poissons de la mer-sac… qui ne pourront pas se reproduire !

L’intérêt du jeu réside dans la réussite de votre pêche en apportant certaines combinaisons de poissons au marché pour gagner de l’argent, acheter d’autres bateaux ou encore des améliorations… tout en préservant le renouvellement du stock de poissons dans le sac. Celui-ci se régénère simplement à la phase d’entretien : chaque « poisson » (sardine, poulpe, moules ou Saint-Jacques) que vous laissez en mer vous permet d’ajouter autant de jetons de son espèce dans le sac, moins un (donc s’il vous reste 2/3/4 sardines en mer, vous en remettez 1/2/3 en plus dans le sac).

Conservas matosWeb

Tension dans les filets

Comme dans tout jeu en solitaire, la tension provient de votre gestion du hasard. Ici, c’est la pêioche qui représente cet aléa. Il est tentant de sortir de l’eau une belle prise qui rapportera gros au marché : cela signifie plus de bateaux et une meilleure capacité de gestion. Mais attention : si vous ne remettez pas à l’eau les bons poissons au bon moment, votre sac risque de s’épuiser de certaines espèces, voire de se vider complètement avant que vous n’ayez pu remplir toutes vos cales… Et là, c’est la défaite (pour le joueur comme pour l’océan).

Le challenge de Conservas est progressivement bien équilibré entre les différents scénarios, sans toutefois renouveler significativement l’expérience de jeu d’une partie à l’autre. Chaque configuration diffère essentiellement par ses ressources de départ (argent et stock de poisson initial) et ses conditions de vente des conserves (contraintes dans la séquence de poissons à vendre, etc.).

Scott Almes avait déjà expérimenté ce système de chapitrage du jeu solo dans La mort aux trousses, avec succès. Au-delà de l’accompagnement narratif, cet effet « campagne » offre un objectif à long terme au jeu, renforçant l’aspect performance et le désir de « faire mieux que la dernière fois », caractéristiques du jeu en solitaire.

L’expérience implique de nombreuses manipulations (piocher, ajouter/retirer des jetons, gérer l’argent), transformant votre table en petit chantier naval : le premier défi est d’optimiser son espace de « travail ». Mais le matériel est très agréable, avec ses jetons aux couleurs pastel et son sac aux rayures marines, ses illustrations attachantes et son univers original. L’éditeur espagnol Salt & Paper Games sait choyer ses joueureuses.

Toujours plus

Sur le fond, ce jeu ne traite pas réellement de conserves. Si le détour thématique par la production de poisson en boîte semble une bonne idée d’homogénéisation globale, le jeu aurait tout aussi bien fonctionné avec la vente directe du poisson au marché (ce qui aurait même été plus cohérent d’un point de vue narratif). Mais l’expérience suscite une réflexion qui dépasse le portrait d’un milieu professionnel difficile, et interroge plutôt notre rapport à la pêche d’abondance.

Chaque pêioche comprend toujours 5 jetons, parmi lesquels peut se trouver l’un des jetons « eau », représentant une pêche infructueuse, en quantité variable selon le scénario. Le joueur doit alors choisir entre les poissons à remettre à l’eau et ceux à garder à bord. Mais la mécanique impose de remplir au maximum la cale de tous les bateaux, de façon systématique : tant qu’il y a du poisson, on le prend ! C’est ce qui fait qu’une flotte trop importante peut mener à votre perte : certes, vous deviendrez le roi du pétrole (ou la reine des conserves), mais votre prochaine pêche sera peut-être la dernière, faute de poisson. Par exemple, certains bateaux ont une cale de 4 emplacements, vous obligeant, si votre pêioche comprend 5 poissons rares, à en conserver 4 – limitant ainsi, voire empêchant, le repeuplement de l’espèce.

Conservas, verdict

Conservas nous confronte donc à notre propre définition du raisonnable et de la juste mesure : qu’est-ce qui nous suffit pour assurer conjointement notre survie et celle de notre environnement ? Le thème-imaginaire ici est celui des poissons, mais le jeu fonctionnerait tout aussi bien avec la coupe d’arbres (comme l’a déjà fait astucieusement le jeu éducatif Chèvrefeuille) ou l’agriculture (ce que certaines mécaniques explorent à leur façon dans le mod Catan: Global Warming).

Habituellement, les jeux de gestion de ressources ne posent pas de limite au gain : sky is the limit, comme disent les bigorneaux des marchés financiers. Cette fois, l’objectif doit être atteint en prenant en compte les paramètres internes du jeu. Ce qui menace de s’effondrer, c’est le système ludique lui-même. Si ce changement de paradigme peut sembler anecdotique, il témoigne de la diffusion, lente mais constante, d’une vision du monde qui intègre ses propres limitations. Conservas nous invite à réfléchir sur notre appétit insatiable et aveugle du gain, principale menace de notre écosystème.

On conserve (+)

  • Le dilemme avidité/survie au cœur du système de jeu
  • Une excellente progression dans le challenge
  • Une expérience de jeu fluide et plaisante

On laisse à l’eau (-)

  • De nombreuses micro-manipulations (mais c’est inhérent au jeu solo)
  • Peu de renouvellement dans les sensations de jeu au fil de la « campagne »
  • La conserve : autant vendre ses poissons directement à la criée !
Conservas visuel

Conservas est comme un bon poisson : plus vous prenez le temps de le déguster, plus vous en appréciez la finesse.

Très bon !

⭐⭐⭐⭐

Note : 4 sur 5. Conservas chez Philibert


  • Label Dé Vert : Non. Pour en savoir plus sur le label Dé Vert, c’est ici.
  • Création : Scott Almes
  • Illustrations : João Duarte Silva
  • Édition : Salt & Pepper Games pour la VO, Matagot pour la VF
  • Nombre de joueurs et joueuses : 1
  • Âge conseillé : Dès 10 ans
  • Durée : 15-30 minutes
  • Thème : Pêche et conserve
  • Mécaniques principales : Bag Builging. Pour en savoir plus sur les différentes mécaniques de jeux, c’est ici.


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L’article Conservas : Le jeu solo se conserve bien est apparu en premier sur Gus & Co.