💼 Du Monopoly à la réalité : comment Hasbro a joué et perdu avec l’argent des investisseurs et doit faire face à une action en justice.


Gus

Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.

Hasbro dans la tourmente : Les dessous d’une class-action

En bref :

  • Une class-action historique vise Hasbro pour avoir prétendument trompé ses investisseurs sur l’état de ses stocks
  • La perte estimée s’élève à 831 millions de dollars en valeur actionnariale
  • L’affaire révèle les fragilités de l’industrie du jeu post-pandémie


Pour écouter cet article :

« Ne passez pas par la case départ, ne recevez pas 20 000 francs » : cette règle du Monopoly prend un tout autre sens pour Hasbro, qui fait face aujourd’hui à une class-action dévastatrice.

« On ne joue pas avec l’argent des investisseurs. » Cette phrase résume bien la situation et la tempête que traverse actuellement Hasbro, le géant américain du jeu de société. L’éditeur du Monopoly, et de Magic, et de Donjons et Dragons, entre autres, se retrouve paradoxalement dans une situation qui rappelle son jeu le plus célèbre : acculé par ses créanciers et confronté à une class-action majeure intentée par le Fonds de Pension des Pompiers de West Palm Beach et potentiellement dévastatrice.

Hasbro se retrouve aujourd’hui dans une position peu enviable : celle d’accusé dans une class-action d’envergure. Cette situation sans précédent révèle les coulisses, parfois tumultueuses, de l’industrie ludique et soulève des questions cruciales sur la transparence des entreprises cotées en bourse.

Les faits : Une partie qui tourne mal

L’histoire commence durant la pandémie, période dorée pour les jeux de société. Face à une demande explosive, Hasbro augmente massivement ses stocks. Jusque-là, rien d’anormal. Cependant, selon la plainte déposée par le cabinet Bernstein Litowitz Berger & Grossmann au nom du Fonds de Pension des Pompiers de West Palm Beach, l’entreprise aurait délibérément induit ses investisseurs en erreur sur la réalité de sa situation.

Le préjudice est estimé à pas moins de 831 millions de dollars en valeur actionnariale, un chiffre qui donne le vertige et explique l’ampleur de la réaction des investisseurs.

Au cœur des accusations contre Hasbro

La plainte, qui vise à obtenir le statut de class-action, met en lumière une série de décisions et de communications jugées trompeuses par les plaignants. Alors que la demande commençait à s’essouffler après la période pandémique, Hasbro aurait continué d’affirmer que ses niveaux de stocks élevés étaient nécessaires pour atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement.

Une stratégie de communication qui, selon les accusations, masquait une réalité bien différente : celle d’une surproduction massive dépassant largement les besoins réels du marché.

La chronologie d’une débâcle annoncée

Le début de l’année 2023 marque un tournant décisif dans cette affaire. En janvier, Hasbro annonce une baisse vertigineuse de 17% de son chiffre d’affaires. Cette nouvelle est suivie d’une décision dramatique : le licenciement de près de 1000 personnes, soit 15% des effectifs de l’entreprise. Dans la foulée, le directeur des opérations, Eric Nyman, quitte précipitamment ses fonctions, ajoutant une couche supplémentaire d’inquiétude chez les investisseurs.

Mais c’est en octobre 2023 que la situation devient véritablement intenable. Lors d’une communication financière, Gina Goetter, directrice financière de Hasbro, révèle un élément qui fait l’effet d’une bombe : l’entreprise doit débourser 50 millions de dollars pour gérer ses stocks excédentaires, incluant ce qu’elle appelle pudiquement des « coûts d’obsolescence » – un terme qui désigne en réalité des produits dévalués ou tout simplement invendables.

Une bataille juridique qui s’intensifie

L’affaire prend rapidement de l’ampleur avec l’entrée en scène d’autres cabinets d’avocats prestigieux. Kirby McInerney LLP dépose une plainte similaire auprès du tribunal fédéral de New York, tandis que Faruqi & Faruqi, LLP commence à enquêter sur les pertes subies par les investisseurs, particulièrement ceux ayant perdu plus de 100 000 dollars. The Schall Law Firm joint sa voix au concert des plaignants, appelant les actionnaires lésés à se manifester avant janvier 2025 pour participer à l’action collective.

Les révélations qui ont tout changé

Le 26 janvier 2023, premier coup de tonnerre : Hasbro annonce une contraction de 17% de son chiffre d’affaires. Dans la foulée, l’entreprise dévoile le licenciement de 15% de ses effectifs mondiaux (environ 1000 employés) et le départ précipité de son directeur des opérations, Eric Nyman. Le cours de l’action chute de 8,1%, passant de 63,78$ à 58,61$ en une seule journée.

La situation empire le 26 octobre 2023, lorsque Gina Goetter, la nouvelle directrice financière, révèle que l’entreprise doit provisionner « environ 50 millions de dollars » pour :

  • Gérer les stocks excédentaires au niveau des détaillants
  • Financer des campagnes marketing supplémentaires
  • Couvrir les coûts d’obsolescence des produits

Cette annonce provoque une nouvelle chute de 11,7% de l’action, effaçant 831 millions de dollars de valeur actionnariale.

Une action en justice d’envergure

La plainte, que vous pouvez consulter ci-dessous, déposée devant la Cour du District Sud de New York, vise non seulement Hasbro en tant qu’entreprise, mais également plusieurs de ses dirigeants dont :

  • Richard Stoddart, Président du Conseil d’Administration
  • Christian Cocks, PDG
  • Deborah Thomas, ancienne Directrice Financière
  • Gina Goetter, actuelle Directrice Financière
  • Eric Nyman, ancien Directeur des Opérations

Les plaignants affirment que ces dirigeants « possédaient le pouvoir et l’autorité de contrôler le contenu des rapports de Hasbro à la SEC, des communiqués de presse et des présentations aux analystes financiers ».

November 13, 2024 – Initial Complaint_HasbroTélécharger

Comprendre la class-action

Imaginez un jeu où des milliers de joueurs et de joueuses peuvent unir leurs forces contre un adversaire plus puissant. C’est exactement le principe d’une class-action. Cette procédure juridique, particulièrement redoutée des grandes entreprises, permet à un groupe de plaignants ayant subi un préjudice similaire de se regrouper dans une seule action en justice.

Dans le cas Hasbro, le Fonds de Pension des Pompiers de West Palm Beach joue le rôle de « représentant principal ». C’est un peu comme le joueur qui lance les dés en premier. Il agit au nom de tous les investisseurs qui ont acheté des actions Hasbro entre février 2022 et octobre 2023, et qui ont perdu de l’argent à cause des déclarations présumées trompeuses de l’entreprise.

L’enjeu est colossal : avec une perte estimée à 831 millions de dollars en valeur actionnariale, cette class-action pourrait devenir l’une des plus importantes du secteur. Les avantages pour les plaignants sont nombreux : mutualisation des coûts de procédure, plus grand poids face à l’entreprise, et surtout, possibilité pour de petits investisseurs d’obtenir réparation alors qu’ils n’auraient pas eu les moyens d’engager seuls une procédure.

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  • La direction de Hasbro
  • Les conditions exceptionnelles de la pandémie
  • Les attentes excessives des investisseurs
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La réponse de Hasbro et ses implications

Face à cette tempête juridique et médiatique, Hasbro n’est pas restée inactive. L’entreprise a entrepris une restructuration majeure de ses opérations, aboutissant notamment à une réduction drastique de 39% de ses stocks sur une année. Cette correction de trajectoire s’est accompagnée d’économies substantielles, atteignant 177 millions de dollars, dont plus de la moitié provient directement de l’optimisation des stocks.

Cette affaire résonne bien au-delà des frontières de Hasbro et pose des questions fondamentales sur la gouvernance d’entreprise dans l’industrie du jeu. Elle met en lumière les défis complexes auxquels font face les éditeurs pour équilibrer gestion des stocks, communication avec les investisseurs et adaptation aux changements brutaux du marché. La transparence dans la communication financière n’est plus une option, mais une nécessité absolue, même – et surtout – en période de turbulence.

L’issue de cette bataille juridique pourrait bien redéfinir les standards de transparence dans l’industrie du jeu. En attendant le verdict, cette affaire servira certainement d’exemple dans les écoles de commerce pour illustrer l’importance d’une gestion prudente des stocks et d’une communication financière irréprochable. Elle rappelle que même dans le monde ludique du jeu de société, les règles de la finance et de la gouvernance d’entreprise ne souffrent aucune entorse.


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