Super Meeple change les règles du jeu ! Comment l’éditeur parisien de (gros) jeux compte et bypasser et bousculer la distribution en 2025.
Article écrit par Gus. Rédacteur-en-chef de Gus&Co. Enseigne à l’École supérieure de bande dessinée et d’illustration, travaille dans le monde du jeu depuis 1989 comme auteur et journaliste.
Super Meeple : vers la vente en ligne pour les jeux Experts
En bref :
- Super Meeple se tourne vers la vente directe pour pallier la faible distribution de ses jeux experts en boutiques.
- Les marges réduites sur les jeux complexes et la forte concurrence expliquent la frilosité des boutiques.
- L’éditeur mise sur le web, les précommandes et sa communauté pour assurer l’avenir de ses jeux.
Combien de fois avez-vous arpenté les rayons de votre boutique de jeux, frustré de ne pas trouver ce titre expert que vous convoitiez tant ?
Est-ce que vous aimez les gros jeux ? Ceux qui prennent 1, 2, voire 3h de partie ? Qui vous demandent de comprendre et de gérer des règles souvent balèzes ? Nous oui. Dans le milieu très diversifié du jeu de société, où chaque titre a sa niche, mais alors clairement, Super Meeple s’est imposé comme un phare pour les fans de jeux complexes, dits « experts » (coucou Black Forest). Connus pour leurs rééditions de jeux classiques avec une touche de modernité et leurs propres titres originaux, Super Meeple a récemment « fait la une » en annonçant ce mardi 7 janvier sur sa page Facebook vouloir prendre un virage stratégique vers la vente en ligne, visant à contrer la réticence croissante des détaillants à stocker ces jeux spécialisés.
Il faut être lucides, les jeux experts, souvent caractérisés par des mécaniques de jeu complexes, des durées de jeu longues et une courbe d’apprentissage abrupte, ont plutôt été difficiles à vendre dans les environnements de vente au détail que l’on pourrait qualifier de… tradi.
Les boutiques, poussés par le besoin d’un roulement rapide et d’une solide « bankabilité » (pas sûr que ce terme n’existe, mais oui, j’ose), ont tendance à privilégier les jeux avec un attrait plus large, comme les jeux familiaux ou les jeux dits « casual ». Cela laisse les éditeurs comme Super Meeple dans une impasse, car leurs produits principaux ne correspondent pas toujours aux préférences des boutiques.
La réalité économique derrière la frilosité des détaillants
Pour comprendre la réticence des boutiques, il faut se pencher sur les chiffres. Super Meeple a révélé une réalité économique peu reluisante : « Une boutique n’a pas besoin de nouveaux jeux experts pour vivre, et la large offre de nouveautés contribue aussi à cette baisse de régime » a déclaré l’éditeur. Même sur des jeux localisés, et non sur leurs créations originales, la rentabilité de Super Meeple est « faible ».
L’éditeur a détaillé un exemple concret : pour 2 000 copies d’un jeu localisé vendues à 70 € en boutique, leur marge brute n’est que de 7 €, tombant à environ 5,5 € après prise en compte des coûts de traduction et de transport. Cela signifie qu’ils doivent vendre 1 600 copies pour atteindre le seuil de rentabilité. En comparaison, dans ce même exemple, le détaillant réalise une marge brute de 23,3 €, le distributeur 7 € et l’État français 11,70 € (via la TVA). Ces chiffres mettent en lumière le déséquilibre de la répartition des profits et expliquent en grande partie pourquoi les boutiques sont peu enclines à prendre des risques sur des jeux experts à faible rotation.
Les arcanes de la distribution
Pour mieux comprendre la situation de Super Meeple, il est essentiel de plonger dans les coulisses de la distribution des jeux de société. Le distributeur joue un rôle d’intermédiaire crucial entre l’éditeur, qui crée et produit le jeu, et le vendeur, qui le propose au client final. Il distribue les jeux aux différentes boutiques grâce à un réseau plus ou moins étendu.
En France, la distribution est principalement basée sur la vente directe, et non le dépôt-vente comme cela se fait dans l’industrie du livre. L’éditeur confie un stock de jeux au distributeur, qui les propose aux boutiques en prélevant une commission sur chaque vente, généralement entre 20% et 35%. Cette commission sert à couvrir les frais de fonctionnement : salaires des commerciaux, déplacements, publicité, transport, et éventuellement les frais de douane.
La relation entre éditeur et distributeur est donc cruciale, et parfois, source de tensions. Certains éditeurs rapportent parfois des retards de paiement importants de la part de distributeurs, une pratique qui met en péril leur trésorerie.
La boutique, quant à elle, achète généralement les jeux au distributeur en achat ferme, à un prix représentant 40 à 50% du prix de vente final. Si la marge de la boutique semble importante, il faut prendre en compte ses frais fixes (loyer, personnel, charges) et le risque lié aux invendus.
Quelques chiffres pour illustrer la répartition des gains : Imaginons un jeu vendu 50 € en boutique.
- La boutique l’aura acheté environ 28 € au distributeur, et revendra donc a 50€.
- Le distributeur prendra une commission d’environ 9 € (environ 32%).
- L’éditeur touchera environ 19 €. Il devra ensuite déduire la TVA (environ 3,80 € en France), les royalties de l’auteur (environ 1,20 €) et les coûts de fabrication, d’illustration et de logistique.
Au final, la marge nette de l’éditeur par jeu est souvent mince. Très mince. Sans parler de l’auteur ou autrice. On vous renvoie aux chiffres plus haut pour les jeux Super Meeple
Il faut noter que de plus en plus, certains acteurs du secteur, comme les groupes possédant à la fois des branches d’édition, de distribution et de vente en ligne, le cas d’Asmodee qui contrôle toute une filière, de la création à la vente en passant par la distribution. Ils optimisent alors ainsi leurs marges en contrôlant toutes les étapes de la chaîne. Il n’est d’ailleurs pas rare que des éditeurs vendent directement leurs jeux lors de salons comme Essen ou Cannes, court-circuitant ainsi le distributeur et augmentant significativement leurs profits sur ces ventes. C’est justement ce que Super Meeple cherche désormais à faire en 2025.
Un appel à l’engagement des boutiques
Il est important de clarifier un point essentiel de la démarche de Super Meeple : la vente directe ne signifie pas l’exclusion des boutiques. Au contraire, l’éditeur souhaite les impliquer davantage, mais différemment. « Toutes les boutiques auront accès aux jeux, » précise Super Meeple. « Simplement, elles n’auront que ce qu’elles ont précommandé. Elles ne pourront pas en prendre lorsque le jeu sera sorti. »
Prenons un exemple concret : sur une production de 2 000 exemplaires, 300 pourraient être vendus en précommande directe aux particuliers. Parallèlement, les boutiques auront également la possibilité de précommander. Si elles précommandent au total 1 000 boîtes, elles recevront ces quantités à la sortie du jeu. Les 700 boîtes restantes seront alors disponibles sur le site de Super Meeple et via d’autres plateformes de vente en ligne.
L’objectif est d’inciter les boutiques à se positionner plus clairement sur chaque jeu. Soit elles croient au potentiel du jeu et en précommandent un volume significatif, soit elles s’abstiennent ou n’en prennent qu’une ou deux copies. Super Meeple souhaite ainsi rompre avec le « positionnement passif » qui consiste à commander un minimum d’exemplaires, attendre de voir si le jeu fonctionne, puis recommander si nécessaire.
« L’idée c’est toujours de trouver un équilibre entre la prise de risques et la marge, » explique l’éditeur. « Actuellement, tous les risques sont chez nous pour un gain très faible. » Cette nouvelle approche vise donc à rééquilibrer la balance.
Super Meeple souligne qu’il ne s’agit pas d’une attaque contre les boutiques, dont ils comprennent la prudence, notamment face à la multiplication des sorties : « Elles préfèrent acheter 40 Skyjo qu’elles sont sûres de vendre plutôt que 6 Black Forest au succès incertain. C’est tout à fait normal. » L’éditeur cherche simplement une solution viable pour pérenniser son activité et continuer à proposer des jeux experts de qualité.
Black Forest : Vous en reprendrez bien une tranche ?
La réponse de Super Meeple ? La vente directe
Et là, bim. On apprend cette semaine sur FB que l’éditeur parisien Super Meeple a pris une mesure décisive pour contourner les défis de la vente au détail traditionnelle en améliorant sa plateforme de vente en ligne. Voici comment ils compte procéder désormais en 2025, dès avril / mai :
Présence en ligne améliorée : Reconnaissant la puissance de la portée numérique, Super Meeple a investi dans l’amélioration de sa boutique en ligne, la rendant plus conviviale et garnie de titres et d’éditions exclusifs. Cette initiative garantit que les fans et les nouveaux venus ont un accès direct à leurs jeux sans l’intermédiaire d’un détaillant qui pourrait ne pas voir la valeur de ces produits.
Engagement direct : Grâce aux médias sociaux et aux campagnes de marketing direct, Super Meeple s’engage avec son public de manière plus personnelle, en écoutant les commentaires et en adaptant ses offres. Cette ligne de communication directe leur permet de s’adapter rapidement aux besoins et aux préférences des joueurs et joueuses.
L’impact sur l’écosystème du jeu de société
La stratégie de Super Meeple ne vise pas seulement à se préserver, mais aussi à remodeler la manière dont les jeux experts atteignent leur public :
Accessibilité accrue : En réduisant la dépendance à l’égard de la vente au détail physique, les jeux experts deviennent plus accessibles à ceux qui se trouvent dans des zones où les boutiques de jeux locales pourraient ne pas les stocker en raison d’un espace de rayon limité ou d’une demande du marché perçue comme faible.
Construction de la communauté : Leur approche favorise une communauté plus forte et plus engagée autour de leurs jeux, ce qui peut conduire à une croissance organique par le bouche-à-oreille et les événements communautaires, en ligne et potentiellement en personne.
Éducation du marché : En offrant plus de contenu éducatif et de soutien, Super Meeple contribue à cultiver une base de joueurs et de joueuses plus large et plus informée pour les jeux complexes, ce qui pourrait influencer les futures décisions des détaillants.
Seriez-vous prêt à acheter un jeu expert en préco directement auprès de l'éditeur (Super Meeple, ou autre) ?- Oui, absolument !
- Peut-être, cela dépend du jeu et des avantages offerts.
- Non, je préfère voir le jeu en boutique avant d'acheter.
- Je ne suis pas intéressé par les jeux experts.
Regard vers l’avenir
Le passage de Super Meeple au renforcement de son canal de vente en ligne est une initiative plutôt audacieuse dans un secteur où la présence physique dans les magasins a historiquement été essentielle. Cependant, avec l’essor des communautés de joueureuses en ligne et le marché de niche du public expert, cela pourrait créer un précédent sur la manière dont les éditeurs de jeux de niche gèrent la distribution à l’avenir.
À l’avenir, il sera intéressant de voir si cette stratégie ne fait pas que soutenir, mais aussi accroître l’influence de Super Meeple dans le secteur du jeu de société. D’autres éditeurs suivront-ils le mouvement, ou cette stratégie se révélera-t-elle être une solution unique pour un éditeur connu pour son dévouement au goût des connaisseurs en matière de jeux ? Seul le temps nous le dira, mais pour l’instant, Super Meeple bouscule certainement le modèle de distribution traditionnel avec une approche axée sur nous, les joueurs et joueuses.
Gardez un œil sur le parcours de Super Meeple, qui continue d’innover face aux défis de la vente au détail, en veillant à ce que l’art du jeu complexe trouve sa place sur la table de tous les passionnés.
Super Meeple nous prouve qu’il n’y a pas que les jeux familiaux dans la vie, et que même les jeux experts les plus balèzes, les plus passionnants, les plus retors peuvent trouver leur public… en ligne !
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