En difficulté depuis le Covid et la guerre en Ukraine, l’économie européenne devrait connaître une année 2024 certes meilleure que l’année précédente, mais qui reste peu reluisante. Les comparaisons avec l’économie américaine, qui, elle, redémarre sur les chapeaux de roue, ne sont guère à l’avantage du Vieux Continent. La croissance américaine a ainsi atteint 2,5% l’an passé, contre 0,5% dans la zone euro. Les prédictions pour 2024 attribuent 2,6% de croissance aux États-Unis, contre 0,7 % dans la zone euro. Toutefois, l’analyse de la croissance européenne comme un tout unifié masque en réalité des divergences importantes entre les différentes économies du Vieux Continent.

Longtemps locomotive de l’économie européenne, l’Allemagne est en difficulté depuis que son modèle industriel alimenté au gaz russe bon marché est remis en cause par le découplage entre l’Occident et la Russie, suite à l’invasion de l’Ukraine. La concurrence des véhicules électriques chinois, qui viennent contester la domination des constructeurs allemands, n’arrange pas les choses. L’Allemagne devrait ainsi croître au rythme anémique de 0,1% cette année. D’autres pays européens parviennent cependant à tirer leur épingle du jeu et devraient connaître de bonnes performances en 2024 et 2025. Focus sur trois d’entre eux : le Royaume-Uni, l’Espagne et la France.

Le Royaume-Uni renoue avec la croissance grâce aux services

Certes, le Royaume-Uni ne fait partie ni de la zone euro, ni de l’Union européenne. Mais après une conjoncture difficile, le pays connaît une embellie économique, et plusieurs signaux sont au vert. Au premier trimestre 2024, l’économie britannique est en effet sortie de la récession (généralement définie comme deux trimestres de croissance négative consécutifs) avec une croissance de 0,6%, selon les chiffres publiés par l’Office for National Statistics le 10 mai dernier. Ce chiffre est légèrement supérieur à la croissance attendue, qui était de 0,4%. Le secteur des services, qui a renoué avec la croissance pour la première fois depuis un an, a particulièrement contribué à l’embellie économique outre-Manche, selon l’agence britannique.

Autre bonne nouvelle: l’inflation, longtemps supérieure à celle de la zone euro, est en avril tombée au plus bas depuis juillet 2021. À 2,3%, elle est désormais proche de l’objectif fixé par la Banque d’Angleterre, qui se situe à 2%. Dans ce contexte, il est probable que cette dernière abaisse bientôt son taux directeur: avant l’annonce des chiffres d’avril, elle avait en effet déclaré pouvoir agir en ce sens dès le mois de juin si l’inflation baissait suffisamment d’ici-là. Une baisse des taux pourrait insuffler un nouveau coup de fouet à une économie déjà en phase de redémarrage, selon Russ Shaw, fondateur de London Tech Advocates, un réseau local d’acteurs des nouvelles technologies.

«Tous les yeux sont désormais tournés vers la Banque d’Angleterre. Une baisse des taux d’intérêt viendrait soulager les consommateurs et ainsi stimuler la demande. Elle permettrait également aux start-up d’emprunter plus facilement et redonnerait confiance aux investisseurs, alors que les entrées en bourse peinent à redémarrer et que les start-up les plus matures ont des difficultés pour lever des fonds.»

À l’intersection de la finance et des nouvelles technologies, l’industrie des fintech est l’un des gros points forts de l’économie britannique. Tirant parti de l’importance historique de la finance outre-Manche, elle a su générer plusieurs pépites, comme les néobanques Revolut, qui compte plus de 40 millions de clients dans le monde, et Monzo, qui vient d’atteindre les 5 milliards de dollars de valorisation, ainsi que la jeune pousse Wize, spécialisée dans les paiements transfrontaliers et fondée à Londres par deux entrepreneurs estoniens.

La filière continue d’afficher de bons chiffres dans un contexte économique difficile pour la tech. «Le Royaume-Uni détient 10% de parts de marché mondiales sur les fintechs. En matière de financement, l’écosystème britannique est en deuxième position derrière les États-Unis, et devant toute l’Europe combinée. Ce dynamisme bénéficie à toute l’économie britannique : plus de 60% des petites et moyennes entreprises ont désormais recours aux fintechs pour se financer», clamait ainsi Janine Hirt, directrice générale d’Innovate Finance, qui défend les intérêts de l’industrie au Royaume-Uni, lors de la conférence annuelle de cette organisation en avril.

La principale incertitude planant sur l’économie britannique est celle de l’élection générale qui se tiendra le 4 juillet prochain. Tous les sondages donnent les travaillistes largement vainqueurs, inaugurant un changement de politique après 14 années durant lesquelles le pays a été géré par les conservateurs. À voir si l’impact sera positif ou négatif pour l’économie.

L’Espagne, futur pôle d’énergie verte?

Du climat à la culture en passant par la gastronomie, beaucoup de choses opposent l’Espagne et le Royaume-Uni. Les deux pays ont cependant pour point commun une certaine réussite économique dans un contexte européen général peu reluisant. Avec plus de 2% de croissance prévue en 2024, l’Espagne caracole loin en tête de la plupart de ses voisins. L’économie du royaume est notamment dynamisée par le tourisme, l’un de ses gros points forts. L’Espagne est le deuxième pays le plus visité au monde, et les données de carte bancaire indiquent que la consommation des non-résidents a cru de 5% d’une année sur l’autre au premier trimestre de cette année.

Mais les points forts de son économie ne se cantonnent pas au tourisme. Les exportations des services non touristiques (activités de conseil, nouvelles technologies, services financiers…) comptent désormais pour 7,6% du PIB, devant le tourisme (5%). Le pays gagne également en compétitivité sur les services, en particulier grâce à un marché du travail flexible et à l’importation de main d’œuvre qualifiée.

La croissance espagnole est aussi dopée par une consommation résiliente, en dépit de l’inflation et de taux d’intérêt élevés. Les ventes au détail ont ainsi cru de 1,9% d’une année sur l’autre en février 2024, marquant la quinzième croissance annuelle consécutive. Ainsi qu’à un marché du travail dynamique. L’Espagne a ainsi créé davantage d’emplois que ses voisins européens, à l’exception de Malte et de la Roumanie.

Et là où de nombreux pays européens font face à un marché immobilier en berne, plombé par la hausse des taux d’intérêt, celui de l’Espagne affiche une insolente bonne santé: le prix des maisons a en moyenne augmenté de 4,2 % en 2023, et la tendance pourrait se poursuivre, selon l’économiste Wouter Thierie. «Il reste de la place pour des augmentations supplémentaires, surtout si la BCE décide de baisser ses taux d’intérêt. En outre, la hausse du nombre de ménages espagnol va entraîner une pression sur le marché dans certaines régions, tirant les prix à la hausse cette année.»

Le pays bénéficie également d’une politique favorable aux affaires. L’an passé, la ville de Madrid a par exemple annoncé un crédit d’impôt de 20% en faveur des personnes investissant sur place. Le gouvernement socialiste a en outre maintenu une mesure permettant aux personnes investissant plus de 500’000 euros en Espagne de bénéficier du statut de résident, et passé une loi visant à attirer les nomades digitaux.

Enfin, l’Espagne peut compter sur une politique énergétique ambitieuse: l’un des leaders européens du renouvelable, le pays met aussi le cap sur l’hydrogène vert.

Dans un récent avis, l’agence Moody’s salue les performances économiques du royaume, évoquant un secteur bancaire résilient et un marché du travail dynamique, tout en pointant plusieurs défis à relever, comme le poids de la dette et le vieillissement de la population. À 1,19 enfant par femme, le taux de fécondité de l’Espagne est le deuxième plus faible de l’UE, derrière Malte.

La France, attractive pour les investisseurs étrangers

Certes, l’année 2023 n’a guère été reluisante pour l’économie française, qui a cru de 0,9%: c’est un peu mieux que la moyenne européenne, mais n’offre pas vraiment matière à réjouissance. La consommation des ménages, l’un des principaux moteurs traditionnels de la croissance française, n’a progressé que de 0,7% l’an passé, tandis que l’investissement des entreprises a péniblement cru de 1,2%. Pour 2024, les chiffres ne sont guère meilleurs, puisque l’OCDE estime la croissance française à 0,7% pour l’année en cours.

C’est ensuite que les choses pourraient s’améliorer, grâce à la capacité du pays à attirer les investissements. D’abord, la France a pour la cinquième année consécutive été désignée par le cabinet Ernst & Young comme le pays européen le plus attractif pour les investisseurs étrangers, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni. La dernière édition de l’événement Choose France a attiré 56 projets et 15 milliards d’euros d’investissements, un record. Après des décennies de déclin, l’industrie du pays connaît ainsi un rebond, certes timide, mais indéniable. Les chiffres de l’Insee font ainsi état de 82’900 emplois industriels nets créés entre la fin 2019 et la fin 2023. L’inauguration de sites industriels suit depuis quelques années la même tendance: «Avec 300 créations nettes d’usines depuis 2017, la réindustrialisation du pays est visible dans les chiffres», rapporte ainsi la Direction générale des Entreprises.

«On assiste à une dynamique vertueuse en faveur de l’industrie depuis quelques années, marquée par une création nette d’emplois et de sites industriels, et accompagnée par une politique volontariste du gouvernement, avec France Relance pendant le Covid puis France 2030, illustrant la volonté du gouvernement d’étendre le concept de Start-up nation numérique à la sphère industrielle. Ce mouvement est toutefois fragile. La hausse des prix de l’énergie et des taux d’intérêt consécutifs à la guerre en Ukraine sont en effet très pénalisants pour les industriels», confie Olivier Lluansi, auteur de «Les néo-industriels – L’avènement de notre renaissance industrielle» (Les Déviations, mai 2023). La baisse du taux d’intérêt directeur de la BCE, et celle des prix de l’énergie sont donc de bon augure à cet égard.

La France attire également les investissements des géants du numérique, avec 4 milliards d’euros annoncé par le géant Microsoft dans le développement d’une infrastructure cloud et IA, et 1,2 milliard d’euros par Amazon, dans l’expansion de son réseau logistique et de son infrastructure cloud, avec 3’000 emplois à la clé.

Dans la liste de ses atouts, le pays peut ajouter un taux de natalité qui, sans être excellent, demeure l’un des meilleurs d’Europe, ainsi que sur de très bons ingénieurs avec des pôles d’excellence dans des technologies d’avenir comme l’IA et le quantique. Le dérapage des finances publiques et un marché du travail rigide, entraînant un taux de chômage élevé, constituent deux de ses principales faiblesses.

 

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