Le documentaire de Raoul Peck, Ernest Cole, photographe, offre un éclairage incontournable sur la vie et l’œuvre d’un artiste sud-africain dont les clichés clandestins ont révélé au monde les horreurs de l’apartheid. Lauréat de L’Œil d’or au Festival de Cannes 2024, le film retrace la trajectoire de ce photojournaliste téméraire, à travers ses luttes, son exil et sa résilience.
Une interview de David Marmier pour la radio du cinéma
Ernest Cole, témoin des horreurs de l’apartheid
Né en 1940, Ernest Cole s’est emparé de l’appareil photo comme d’une arme. À l’âge de 27 ans, il publie House of Bondage (Maison de servitude), un ouvrage saisissant qui exposait les injustices du régime ségrégationniste sud-africain. Ce livre-choc, censuré dans son pays, est devenu une référence mondiale du photojournalisme. Pour pouvoir publier ses images, Ernest Cole doit fuir l’Afrique du Sud en 1966. L’exil, pourtant, n’atténuera pas sa colère face à la complicité des puissances occidentales avec l’apartheid.
Raoul Peck raconte comment les politiques des années 60 et 70, qu’elles soient américaines, européennes ou sud-africaines, ont échoué à protéger les populations opprimées. Des chefs d’État tels que Ronald Reagan, Margaret Thatcher ou Jacques Chirac s’opposaient au boycott de l’Afrique du Sud, invoquant de fallacieux arguments économiques. Le documentaire interroge cette hypocrisie à travers la voix d’Ernest Cole, incarnée par celle de Raoul Peck, et explore les échos contemporains de ces luttes.
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Une vie marquée par l’exil et l’injustice
Contraint à l’exil, Ernest Cole a vécu entre New York et l’Europe, sans jamais retrouver ses repères. Ses photos continuent de capturer l’essence des inégalités sociales, qu’il s’agisse des townships sud-africains ou des rues de Harlem. Pourtant, malgré son talent reconnu, il meurt seul et dans la misère en 1990, victime d’un cancer du pancréas. Raoul Peck souligne dans son film la double peine de l’exil : l’arrachement à sa terre natale et l’invisibilisation progressive de son œuvre.
Le réalisateur a été approché par Leslie Matlaisane, neveu d’Ernest Cole, qui souhaitait restituer à son oncle la place qui lui revenait dans l’histoire de la photographie. Ce travail s’inscrit dans la lignée du précédent documentaire de Peck, Je ne suis pas votre nègre, où il redonnait vie à l’écrivain afro-américain James Baldwin.
Une enquête sur 60 000 négatifs oubliés
En 2017, un trésor inattendu est découvert : 60 000 négatifs de Ernest Cole, retrouvés dans une banque suédoise. Ces images, qui incluent des clichés inédits du livre House of Bondage, enrichissent le documentaire en révélant l’ampleur de son travail. Le film de Raoul Peck mêle ces archives à des témoignages de proches et de contemporains, tout en explorant les zones d’ombre de leur sauvegarde.
Le rôle de ces négatifs dépasse le simple héritage artistique. Ils deviennent un outil de mémoire collective, et permettent de revisiter une période sombre de l’histoire et d’interroger le silence du monde face à l’injustice.
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Un portrait artistique et politique
Raoul Peck dresse un parallèle entre son propre parcours et celui d’Ernest Cole. Tous deux ont été façonnés par les luttes pour la justice sociale, que ce soit en Haïti, en Afrique ou aux États-Unis. En choisissant de raconter l’histoire d’Ernest Cole à la première personne, le réalisateur s’immerge dans l’intimité de son sujet, rendant palpable sa douleur et sa colère.
Le documentaire explore aussi la dimension artistique de Cole, influencée par des figures telles qu’Henri Cartier-Bresson. À travers des compositions visuelles puissantes, Ernest Cole a capté l’indifférence des Blancs et la souffrance des Noirs, mais aussi des instants de grâce. Sa quête perpétuelle du regard de l’autre témoigne d’une humanité résiliente, cherchant des preuves de cohésion malgré l’adversité.
Un film et un livre, une double mémoire
Ernest Cole, photographe est également un livre publié aux éditions Denoël/Velvet Film. Il prolonge le documentaire en offrant une expérience visuelle complémentaire. Raoul Peck explique que cette dualité, entre film et ouvrage, permet de cristalliser la mémoire de Cole sous différentes formes, rendant justice à la richesse de son œuvre.
Commander Ernest Cole, photographe.
Photographie: David Marmier pour la radio du cinéma